À travers les âges, une maison métaphorique située au carrefour des luttes de pouvoir et des compétitions acharnées entre puissants. Une écriture magique et politique en diable.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/03/26/note-de-lecture-la-trilogie-de-la-maison-des-jeux-claire-north/
Pas de note de lecture proprement dite pour cette belle trilogie publiée en 2015, dont les trois tomes ont été joliment traduits en français par
Michel Pagel dans la collection Une Heure-Lumière du Bélial', respectivement en mars 2022, en septembre 2022 et en janvier 2023. En effet, un article à son sujet vous attendait dans le Monde des Livres du jeudi 2 mars 2023, daté du vendredi 3 mars, à lire ici.
Vous trouverez donc ici quelques commentaires supplémentaires, comme des sortes de notes de bas de page par rapport à l'article sus-mentionné lui-même, ainsi que, naturellement, plusieurs citations et extraits des trois volumes successifs.
La « Trilogie des Jeux » nous offre, il faut le souligner, une formidable lecture ludique et politique des soubassements de toutes sortes de complotismes. Disposant de suffisamment de marqueurs de fantastique et d'exagération pour se démarquer du « trop sérieux » (et exposé ainsi aux malentendus) « Pendule de Foucault » d'
Umberto Eco, ce grand jeu-ci, à travers les siècles, s'inscrit plutôt dans la lignée des joyeuses et terrifiantes collusions tous azimuts qui rythmaient les narrations échevelées de la trilogie « Illuminatus ! »(1975) de
Robert Anton Wilson et de
Robert Shea (on pourrait songer aussi, dans un registre bien distinct, au cycle des « Falsificateurs » d'
Antoine Bello) qu'en résonance avec celle, bien différente mais tout aussi réjouissante, de
Jacques Amblard et de son «
Apocalypse blanche » (2022). Et comme le décortique avec tant de brio
Wu Ming 1 dans son « Q comme Qomplot » (2021) (poursuivant ainsi d'une autre manière le travail de fond du
Fredric Jameson de « La totalité comme complot » en 1992, voire celui de
Luc Boltanski et de son « Énigmes et complots – Une enquête à propos d'enquêtes » de 2012), et ainsi que le rappelle à l'occasion
Claire North elle-même au fil des entretiens, il n'est en effet nul besoin de mobiliser d'improbables ou délirants souterrains pédo-satanistes pour constater au quotidien ou presque les alignements d'intérêts du capitalisme tardif, les corruptions, allégeances, collusions et autres échanges de bons procédés qui forment le ciment des alliances objectives des puissants, tout à la fois rivaux et complices selon les circonstances – et les adversaires.
Claire North est férue d'histoire (elle l'a étudiée pendant plusieurs années avant de se tourner vers le métier de technicienne lumière pour le spectacle live) : même en sachant cela, son brio pour manier dans le détail sans surcharge des environnements aussi différents que la Venise du XVIIe siècle, la Thaïlande de 1938 ou le monde contemporain tissé de seigneurs de la guerre, de trafiquants, d'oligarques, de paradis fiscaux, de services secrets et de forces spéciales – pouvant céder à l'occasion à l'obsession comme au dévoiement -, notamment, est étourdissant.
Comme cela n'est pas si fréquent en littérature contemporaine (de genre ou non),
Claire North démontre une surprenante capacité de ruse lorsqu'elle manipule le point de vue de narration et le quatrième mur qui sépare celle-ci de la lectrice ou du lecteur (et elle pratique cette ruse au long cours, avec une cohérence impressionnante en attendant les dévoilements qui surviennent tardivement et logiquement).
De même, en ce qui concerne le choix et le maniement des registres d'écriture, elle semble aussi à l'aise pour élaborer monologues théorisants, dialogues riches en formules-choc et concoctions de stratégies « en chambre » (l'épisode vénitien, celui du premier volume, est particulièrement riche et réussi en ce domaine) que scènes d'action « individuelle » (la crouse-poursuite thaïlandaise, dans le deuxième volume, fourmille de moments que ne renieraient sans doute pas les meilleurs thrillers d'espionnage combatif) ou « collective » (les modalités de déploiement de « ressources » incroyablement variées, dans le troisième volume, constituent certainement un modèle du genre, tout en précision et en concision).
Ayant commencé sa carrière littéraire, sous d'autres pseudonymes, en littérature jeunesse et en fantasy,
Claire North s'inscrit pleinement dans la filiation des littératures de genre, et tout particulièrement désormais, de la science-fiction. Les autrices et auteurs qu'elle cite volontiers en entretien, influences possibles et admirations manifestes confondues, ont pour nom
Ursula K. le Guin,
Adrian Tchaikovsky,
N.K. Jemisin,
Terry Pratchett,
Neil Gaiman ou
Roger Zelazny, et elle est particulièrement consciente de l'agitation qui traverse désormais l'ancienne zone frontière entre littérature dite générale et littératures dites de genre (elle cite régulièrement les exemples de
David Mitchell ou de
Margaret Atwood, parmi bien d'autres). Et nous avons toutes et tous en tête, sur ce point, la furia scozzese du grand précurseur Iain M. Banks /
Iain Banks. Ce travail formidable de guerillera dans les interstices et les jonctions littéraires et politiques toujours à étendre (comme le théorisait si joliment il y a quelques années le
Francis Berthelot de « Bibliothèque de ‘Entre-Mondes ») nous réjouit ici au plus haut point.
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