Le peigne
— Si tu trouves un pou, tu auras un sou, dit mon grand-père. Il pose sur la toile cirée une pièce de vingt zlotys et un peigne aux dents serrées.
Tête charnue : je la regarde d’en haut, debout sur un tabouret. Le peigne laboure la peau. Là où il passe, il laisse des traits blancs qui très vite se gorgent de rose. La tête se penche. Grand-père somnole.
Quelques jours plus tard, il a des mains de cire.
— Vas-y, n’aie pas peur, embrasse-le. Ils me poussent doucement vers l’avant.
— Embrasse-le sur la main
Je m’approche et je l’embrasse. Sa peau est comme s’il n’y en avait pas : ni chaude, ni molle. Personne n’habite sous cette peau. L’emballage vide des chocolats, je pouvais le garder. Je ressortais la boîte et je la sentais, alors les pralines me revenaient en tête l’une après l’autre. L’emballage vide de grand-père, il faut l’enterrer. Mais on peut garder une chose qui lui appartenait.
— Prends ce que tu veux.
Je veux le pull.
— Il sent la transpiration, tu es sûre que tu veux cette loque ?
Sur un fil est étendu le pull que l’on a nettoyé de grand-père. Encore mouillé, il se défroisse de grand-père. Je ne veux pas de ce pull, plus maintenant.
Sans demander si je peux, je prends le peigne. Sans demander, donc je vole, mais je n’ai pas honte. Il y a encore un peu de grand-père dedans. Je te prends, peigne, pour mémoire.
/ traduit du polonais par Cécile Bocianowski
La pierre
Ni les marrons fourrés dans ses poches, ni les pommes volées ne pèsent tant à l’enfant que la tristesse. Le travail de la tristesse consiste à venir et à être là. Rien d’autre. Le reste revient à l’homme — s’il la reçoit, la tristesse grossira comme une boule de neige qui roule. Elle collera chaque pensée.
C’est l’été, à présent. L’enfant est dans le jardin, la bouche béante, d’où fume sa sidération face au monde. La tristesse est à côté de lui. Elle ne fond pas. Elle ne sue même pas.
L’enfant le sait, il le sait de quelque part : aucune chose ne s’appartient. Ni la rayure sur l’abdomen de l’abeille, ni le brin de ficelle de chanvre, ni la feuille qui tombe, Ils sont une partie du tout. Comment faire pour voir le tout, si autour de soi on ne voit que les choses et que chacune veut être découverte ?
L’enfant sent de l’excitation. Cela commence dans la tête, descend entre les jambes, chatouille comme si on le touchait avec une plume. Touchait là-bas. Il le sait il veut le tout. Il sait aussi qu’il ne pourra l’atteindre sans découvrir chaque chose séparément. Personne ne saurait passer une telle immensité à travers le moulin de ses mains et de ses sens. Impossible. La boule de tristesse se repaît du mot glacial « impossible ».
L’enfant ferme la bouche. Il se traîne jusqu’à la maison. En chemin il trouve une pierre.
/ traduit du polonais par Cécile Bocianowski
La tristesse m’enseigne
La tristesse m’enseigne que je sers à vivre.
— Quand tu manges, dit-elle, rappelle-toi de mâcher et d’avaler, c’est tout. Parce que, vois-tu, les cheveux poussent sans ton aide, on respire et on dort tout seul, et les yeux savent quoi faire pour se fermer. En fait, tu n’as besoin de toi pour presque rien.
Donc en marchant, je remue les jambes et, assise, je presse le tabouret qui grince. Quand je suis assise ainsi, la vue m’utilise pendant des heures pour regarder.
/ traduit du polonais par Cécile Bocianowski
La voisine vient tous les jours. Elle boit un café et fait sortir l'ancien temps qui stagne au fond d'elle comme du marc au fond d'une tasse. Elle y verse de l'eau pour la centième fois. Les souvenirs sont de plus en plus ténus, mais on peut toujours les faire infuser.