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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
1987. Un crime raciste dans une Amérique qui ne se parle pas. Dans ce quartier de Red Rock, Pascayne, New-Jersey, la jeune Sybilla Frye est retrouvée agonisante dans le cave d'une usine désaffectée. Elle est noire, elle a à peine quinze ans, elle avait disparue depuis plusieurs jours... Quand on la retrouve, elle accuse des blancs, cinq ou six hommes, dont probablement des flics, de l'avoir séquestrée, d'avoir abusée d'elle et de la l'avoir ligotée et abandonnée ...

Comment la police (blanche) pourrait-elle enquêter sur cette affaire ? Vingt ans après les émeutes qui ont vu la ville s'embraser, la moindre étincelle peut raviver la méfiance mutuelle. Et de la méfiance à la haine il n'y a qu'un pas ...

Peinture d'une société cloisonnée, hargneuse, violente, Sacrifice nous plonge profondément dans la construction du ressentiment communautaire, victimaire, d'une partie de la société, les plus démunis, noirs aux emplois les moins qualifiés, femmes violentées ou au mieux abandonnées, femmes noires dont les perspectives sont quasi nulles.

Mais Sacrifice nous retourne aussi, car derrière ce fait divers horrible, il y a la manipulation, la récupération, la construction et la diffusion de l'information (à une époque où le web 2.0 n'existait pas) pour des fins pas aussi humanitaires qu'il y paraît dans cette Amérique de la lutte pour les droits civiques, de l'extrêmisme exacerbé qu'il soit blanc-nazi ou afro-américain radical.

Une lecture difficile par son contenu, par son contexte, mais très profond dans sa peinture de la société à cette époque et dans ce lieu. Encore un très grand roman.


Lien : http://animallecteur.canalbl..
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Je ne saurais dire que ce livre constitue un chef-d'oeuvre, celui-ci étant le premier que je lise de Joyce Carol Oates, premier rendez-vous ô combien réussi, mais c'est la meilleure oeuvre littéraire récente qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps. Tout y est : la virtuosité du style et des effets, la fluidité, la concision (le livre fait 350 pages en édition "normale", il en fera probablement une cinquantaine de moins en édition de poche), la finesse psychologique et la compassion tout en maintenant avec les personnages un retrait à la fois respectueux de ceux-ci et du lecteur, amené à tirer par lui-même ses propres conclusions d'une histoire dont les clés ne seront pas totalement révélées (quoique largement).
Ce roman s'inspire très étroitement d'un fait divers réel, à savoir l'affaire Tawana Brawley qui, à la fin des années 80, avait secoué les Etats-Unis. Oates reste fidèle aux événements réels de cette affaire (hormis les noms et lieux changés et quelques détails comme le fait que le pasteur et l'avocat, frères jumeaux dans le livre ne le soient pas dans la réalité) durant la majeure partie du livre, ne s'en écartant très notablement que dans les cinquante cinq dernières pages, qui révèlent l'"intention" ultime de l'auteure.
En 1987 Tawana Brawley, Sybilla Frye dans le roman, fut retrouvée ligotée, blessée, couverte d'excréments de chien et d'inscriptions racistes sur le corps à proximité de son domicile, une petite ville qui fut, vingt ans plus tôt, l'épicentre d'émeutes raciales et qui, en dépit de promesses politiciennes, ne s'en remit jamais tout à fait, ressemblant toujours à une banlieue dévastée dont certains immeubles n'ont jamais été reconstruits. Dans cette bourgade les tensions entre la population quasi exclusivement noire (les blancs ayant fui depuis les dernières émeutes) et la police, dominée par des blancs dont le racisme ne fait pas mystère, sont grandes. Les déclarations de Tawana/Sybilla sont inconhérentes, elle et sa mère refusant finalement de collaborer avec la police en laquelle elles disent n'avoir aucune confiance, mais la fille a tout de même eu le temps de prétendre qu'au moins un policier faisait partie du groupe de ses agresseurs. L'affaire ne tardera pas à être récupérée, dans tous les sens du terme, par un pasteur charismatique en mal de publicité (et d'argent) et un avocat célèbre pour sa défense des droits civiques noirs (dans la réalité ils étaient deux et non apparentés au pasteur). Toutefois un tout aussi célèbre leader d'un mouvement noir et islamique, facteur selon lui de véritable libération des afro-américains et de l'église chrétienne "esclavagiste", veille, alors que les outrances du pasteur et ses déclarations à l'emporte-pièce (allant jusqu'à accuser l'assistant du procureur qui avait innocenté un policier accusé d'avoir participé à l'agression d'avoir lui-même participé à l'agression !) et les incohérences relevées entre les rares déclarations de la victime confrontées à d'autres témoignages rendent inévitable la constitution d'un "grand jury" qui devra trancher la question de savoir si cette affaire n'aurait pas été, en réalité, une mise en scène.
Dans la réalité, le grand jury se tint et conclut, au terme d'une enquête extrêmement minutieuse, à une mise en scène sans que les raisons de celle-ci aient jamais (encore aujourd'hui) été mises au jour. Les avocats impliqués seront rayés du barreau et condamnés à des dommages et intérêts à verser à l'assistant du procureur mis en cause. le pasteur se rétablira de l'affaire et est toujours une "figure" de la scène médiatique étasunienne qui n'a jamais franchement reconnu son erreur. Les parents de Tawana (sa mère et son beau-père) continuent d'affirmer que leur fille a été une victime maltraitée parce que noire et que, ont-ils affirmé, ils auraient dû être "millionnaires" à la suite de l'affaire. Quant à Tawana, elle vit sous un autre nom dans un autre Etat où elle exerce une activité d'infirmière. Récemment sa trace a été retrouvée et des saisies sur salaire ont commencé à être pratiquées, Tawana n'ayant jamais donné suite à sa propre condamnation à des dommages et intérêts. L'assistant au procureur a laissé entendre qu'il pourrait laisser tomber sa prétention au paiement des dits dommages et intérêts en échange de la "vérité" sur cette affaire mais Tawana a toujours conservé un silence buté, affirmant ne plus jamais vouloir en parler. Elle s'est convertie à l'islam après l'affaire mais ne semble pas en avoir une pratique extrême.
C'est de cette réalité résumée dans le paragraphe qui précède que s'éloigne Joyce Carol Oates dans les 55 dernières pages de son livre, renouant alors pleinement avec le genre romanesque, ce qui précédant ayant plutôt tenu du document fictionnalisé. Et c'est là aussi que se situe son tour de force et que se révèle son intention. Car, à vrai dire, je ne comprenais pas trop pourquoi cette célèbre romancière blanche s'était risquée à reconstruire par le menu une affaire qui n'a guère servi le mouvement des droits civiques de la population noire, c'est le moins qu'on puisse dire, surtout en cette période actuelle qui voit notamment le regain du mouvement "white supremacist" aux Etats-Unis. La romancière ne se risquait-elle pas, en déterrant cette histoire, sur un terrain dangereux ? Mais non car les 55 dernières pages sont extraordinaires en ce sens que la romancière continue à utiliser quelques éléments de la réalité pré-décrite pour construire un dénouement qui s'en écarte très notablement et faisant apparaître le racisme dans toutes ses composantes, des blancs vis-à-vis des noirs et des noirs vis-à-vis des blancs (la fameuse remarque de l'un des protagonistes selon laquelle le racisme est un fléau sauf quand il tourne à (leur) avantage), et dans toute son immense et désespérante complexité, le communautarisme religieux compliquant encore la donne par ailleurs plus présente que jamais dans les Etats-Unis d'aujourd'hui. le tout sans réflexions grandiloquentes en aparté, sans pathos et sans imposer un dénouement clair de l'intrigue, mais écrit d'une plume brillantissime (bonne traduction) et empreinte d'une profonde compassion, sans trop avoir l'air d'y toucher.
Une toute grand réussite. Ce livre était mon premier Joyce Carol Oates, et certainement pas le dernier !
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La question raciale tellement pertinente, comme en écho aux manifestations et émeutes de cet été 2020. Partant d'un terrible faits divers ce roman m'a profondément marqué tant par certaines situations finement décrites que par l'écheveau de manipulation qui embrasse cet épisode.
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La scène s'ouvre sur les cris d'une mère à la recherche de sa fille. Celle-ci a disparu et personne ne semble l'avoir vue. La mère perdue alpague les passants en leur montrant la photo de sa chère Sybilla.
Le deuxième chapitre est la découverte de la jeune fille. Elle est retrouvée battue, laissée pour morte, salie d'excréments et des injures racistes ont été écrites sur son corps.Elle est emmenée à l'hôpital et très vite la mère Ednetta veut que sa fille sorte. Quitte à ne pas faire d'examens ni de soins approfondis.

Une policière est amenée à enquêter sur cette abominable agression mais elle ne rencontre pas l'aide nécessaire de la part de Sybilla. Celle-ci se mure dans un silence et ne communique finalement que grâce à quelques post-it sur lesquels elle écrit :
FLICS BLANCS - PORTE UN BADGE - CHEVeux JAUNES - AGE 30 - BLANCS - TOUS BLANCS

Un choc pour la policière. Des policiers blancs mêlés à une sombre affaire de viol? Ca fait remonter à la surface quelques sales souvenirs, surtout dans cette partie de l'Amérique, le New Jersey, qui a vécu les émeutes des années 60.

La mère et la fille quittent l'hôpital et ne donnent plus de nouvelles. Elles ne portent pas plainte et s'isolent de tous. Cette policière ainsi que d'autres personnes aimeraient intervenir dans cette affaire mais face au mutisme de cette jeune victime ainsi que celui de sa mère, il est impossible de faire avancer l'enquête.

Un révérend entend parler de cette affaire et sent le bon filon pour faire passer ses messages anti-blancs, se disant militant des droits civiques. Il séduit la mère avec de douces paroles et convainc Sybilla de se montrer. La difficulté est que les médias ont l'air de s'en fiche de cette histoire. Tour à tour, de chapitres en chapitres, des voix viennent témoigner à propos de ce drame: des enquêteurs, des membres de la famille, un avocat et des témoins.

Nous sommes en 1987 et pourtant ce roman offre une vision très contemporaine de ce qu'il se passe de nos jours en Amérique. Et dans une certaine mesure, dans le monde, avec l'influence des extrémistes religieux.

Quel bonheur de retrouver ma Joyce Carol Oates dans ce roman qui m'a quelque peu déstabilisée. Pas de manichéisme, tout le monde a une part sombre et de lourds secrets. Peu à peu Oates nous montre les vrais visages de Sybilla et sa mère, l'affreux souhait de Anis, le beau-père de Sybilla, l'orgueil et le désir de pouvoir de ce révérend.

Plusieurs fois dans ce roman, l'histoire des droits civiques est expliquée et j'ai apprécié d'en savoir encore plus, notamment sur ces fameuses émeutes.

Encore une fois, l'auteure dissèque la machine américaine en nous proposant des anti-héros et des personnes qui sont happées par leur réalité et leur désespoir.
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