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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Hiroshima nôto" (notes de Hiroshima) paraît en 1965. Alors jeune écrivain, Kenzaburo Oé se rend à Hiroshima pour assister à la 9ème Conférence contre les armes atomiques. L'évènement est décevant, et les dissensions entre les participants nombreuses. L'écrivain prend peu à peu ses distances et va alors se rapprocher des hibakusha (terme sous lequel on désigne les victimes des bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki). Ces rencontres vont profondément le marquer. Au travers des témoignages recueillis, Kenzaburo Oé va faire le choix d'écrire leur histoire au travers de récits, de notes et de réflexions.

Ainsi, comment a-t-il été possible de bombarder des populations civiles, d'organiser leur anéantissement avec une arme atomique ? Au-delà des terribles séquelles physiques et psychologiques, l'auteur va chercher à comprendre quelles ont été les premières intentions des victimes, passé le terrible effroi qu'elles ont ressenti à l'instant de l'explosion de la bombe. Il cherche également à voir comment s'organisent les premiers secours dans ce paysage de dévastation. Sans beaucoup de moyens, civils et médecins agissent avec une volonté surhumaine, une obstination à se relever qui semble dépasser la mort elle-même.

Interroger l'Histoire pour comprendre aussi quelles ont été les actions du pouvoir politique japonais d'alors avec ses manquements, ses errements dans l'aide aux victimes. Comprendre également l'influence des autorités américaines en place après la capitulation de septembre 1945.

Kenzaburo Oé interroge le présent mais aussi l'avenir : qu'avons-nous tous retenu de cet évènement tragique? Hiroshima et Nagasaki font aujourd'hui partie de nos manuels d'histoire. Les images d'archives des deux villes en champs de ruines, les clichés des victimes, le visage et le corps marqués par les brûlures et les radiations, recevant des soins marquent nos esprits. Oui, qu'avons-nous retenu de ces évènements tragiques ? Les moyens et les conditions d'une paix dans le monde semblent aujourd'hui aller de soi. Hiroshima et Nagasaki semblent comme une parenthèse refermée dans L Histoire...

Sans doute nous souvenir que les conditions d'une paix dans le monde sont encore aujourd'hui instables, qu'il nous faut sans cesse revenir aux témoignages des victimes, des rescapés, des médecins (comment oublier dans ce récit le rôle du docteur Shigetô?) mais aussi à tous ces êtres bouleversants qui n'ont pas pu, pas su se relever des bombardements... Dans ce récit, Kenzaburo Oé nous donne à comprendre un humanisme certes fragile, mais bien réel. Une lecture vraiment édifiante.
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En 1965, Kenzaburô Oé se rend à Hiroshima pour écrire une série d'articles autour de la Conférence contre la prolifération des armes nucléaires qui s'y tient. Un voyage grave à plus d'un sens. Pour l'auteur, c'est prendre de la distance avec un vécu personnel bouleversant, la naissance de son fils handicapé, et se plonger dans un univers opaque, insondable: Hiroshima vingt ans après les bombes. Que reste t'il de la ville? Beaucoup. Et rien. Et dans la brèche: le surgissement furieux de la vie et de la dignité humaine.

Ce qui ne devait être qu'un voyage professionnel, et le suivi de conférences autour de l'armement nucléaire, à l'époque des essais de la Chine, allait devenir un parcours initiatique au pays de la résistance humaine, des ressources de ceux qui « restent ».

Hiroshima, c'est l'histoire d'un combat, de la résistance de milliers de victimes, dont le sort mis des années à être reconnu. En 1945, un communiqué de la commission de l'armée américaine annonce officiellement que « Tous ceux qui devaient mourir des suites de la radioactivité dégagée par l'explosion atomique sont morts, et on ne constate plus d'influence physiologique des radiations résiduelles ». Occupé pendant sept ans par l'armée américaine, le Japon allait connaître la censure autour de ces dommages pourtant inédits et mal connus, et il allait falloir attendre 1954 pour que le terme « hibakusha » apparaissent pour désigner les « atomisés ».

Face à ce silence, à ce déni, ce sont des milliers de malades, non pris en charge, non accompagnés, qui allaient mourir, à Hiroshima et autour, dans l'incompréhension, ou pire, dans l'appréhension de ce qui pouvait arriver par la suite….en témoigne cette histoire d'un homme atomisé, qui plutôt que d'attendre ressentir en lui les signes terribles de la dégénérescence allait préférer mettre fin à ses jours que de vivre sous une telle épée de Damoclès. le suicide. Ils furent des centaines à le préférer plutôt qu'aux regards de pitié ou de crainte, sur leurs corps suppliciés et déformés.

Vivre. Mourir. Suicide. Survie. Vie.

Primo Levi, en évoquant ces souvenirs de camps de concentration dans « Si c'est un homme » souligne également la question difficile du témoignage, et de l'impossibilité de parler exactement d'un événement où les seuls à même de parler de l'horrible exactitude de la chose sont morts. Qui parlera pour les hommes morts dans les camps? Ceux qui n'ont pas été libérés? Qui parlera pour les hommes morts dans le foyer même de choc de la bombe? Qui saura ce qu'il s'est passé au point d'impact?

Avec les radiations, les données deviennent encore plus vicieuses….la mort s'infiltrant lentement dans le corps..Ôé évoque le courage de ces médecins irradiés le jour du bombardement, restant sur place malgré les risques pour soigner les blessés, luttant contre une échéance déjà infiltrée dans le corps du patient mais aussi du médecin.

Ôé cite cette phrase d'Albert Camus, extraite de « La Peste« et qui sera notre conclusion…Ce qui m'intéresse…c'est de savoir comment on devient un saint. – Mais vous ne croyez pas en Dieu. – Justement. Peut-on être un saint sans Dieu, c'est le seul problème concret que je connaisse aujourd'hui« .

Emma Breton
Lien : http://madamedub.com/WordPre..
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Cet essai est un témoignage émouvant du soudain basculement dans l'horreur et l'incompréhension des survivants ou des "pas encore morts, mais qui le seront tôt ou tard, vu l'état dans lequel ils se trouvent", un matin du 6 août 1945 à Hiroshima. L'auteur rapporte le peu d'intérêt que suscita cet événement dans les esprits d'un monde formaté par les discours partisans du temps de la guerre froide. le Japon sera muselé pendant 10 ans pour qu'aucune critique ne puisse s'exprimer contre ce premier bombardement atomique sur des cibles civiles. C'est aujourd'hui à la fois un précieux document historique et une réflexion philosophique sur les notions de dignité, d'humiliation et de honte.
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Je n'ai que peu de choses à dire sur ce livre. Il est superbe et bouleversant.
Kenzaburô Oé a reçu le prix Nobel de littérature en 1994. Cette récompense a-t-elle permis de faire découvrir au plus grand nombre son oeuvre ? Je l'espère. Comme Underground d' Haruki Murakami, il devrait être lu par tous ceux qui ont la prétention d'écrire un livre en recueillant des témoignages. Parce qu'il est nécessaire, pour cela, de laisser la parole aux autres, de ne pas juger, ceux qui choisissent de se taire, ceux qui parlent, crient leur révolte. Au contraire, il est nécessaire de s'interroger toujours, de montrer ce que certains auraient voulu tenir secret. Les survivants d'Hiroshima, les secouristes, les médecins firent face. du mieux qu'ils purent. Avec ce qu'ils avaient. Vingt ans après, les conséquences de ce jour-là font toujours partie de leur vie.
Oé reste-t-il impartial ? Non, et l'existence de cette série d'article le prouve. Il salue le courage de tous, du jeune homme qui affronte la leucémie qui le gagne, vingt ans après les bombardements à ces jeunes femmes défigurées qui exposent leur visage au grand jour – ne plus se cacher. Il parle des médecins, souvent impuissants face aux conséquences du bombardement, de la difficulté à se faire soigner pour les malades, de refaire sa vie en dehors d'Hiroshima – comme si tous étaient condamnés à rester sur les lieux de leur supplice. Il n'est pas impartial, mais il se garde bien de digression sur tout ce qui n'aurait pas trait à Hiroshima, au contraire de certains auteurs français (je ne citerai pas de nom), qui ne peuvent s'empêcher de parler de leurs dernières paires de chaussures ou d'un trajet au taxi.
Notes sur Hiroshima est un livre nécessaire et très beau.
Lien : http://deslivresetsharon.wor..
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Kenzaburô Ôé a reçu le prix Nobel de littérature en 1994; il nous offre ici des essais écrits à Hiroshima, au contact de la population, expérience qui dit-il, a complètement transformé sa vie: "C'est cela qui a forgé la vision de l'homme, de la société, du monde, présente dans mon oeuvre ultérieure." L'auteur s'est intéressé aux hibakusha, les victimes atomisées, les personnes ayant subi le bombardement; en 1963, c'était alors un jeune romancier de vingt-huit ans qui est allé faire un premier reportage à Hiroshima sur une réunion politique mondiale ( la neuvième conférence ) visant à l'abolition des armes nucléaires. Il y est retourné de nombreuses fois, approfondissant ses connaissances et ses rencontres; de nombreux témoignages viennent appuyer ses propos: il ne faut pas oublier l'effroyable, mais, ceux qui l'ont vécu ont le droit de ne pas vouloir parler; la notion de dignité humaine (le sens de ce mot lui a été révélé par la littérature française); l'immense disponibilité des médecins, même blessés ou presque mourants, pour soigner les victimes alors même qu'ils ne savaient pas comment le faire ... Kenzaburô Ôé dit son admiration et son affection aux habitants d'Hiroshima dans un livre magnifique, très humain et boulversant. Son but, en tant qu'écrivain:" me tenir en bordure du monde, me mettre en quête des moyens permettant de contribuer de façon décente et humaine à la guérison et à la réconciliation de l'humanité entière ..."

Lien : http://www.les2bouquineuses...
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En 1963, le futur prix Nobel de Littérature Ôe Kenzaburô n'est âgé que de 28 ans – pourtant, il est déjà un écrivain reconnu, récompensé par le prix Akutagawa cinq ans plus tôt ! Sur le plan personnel, toutefois, il est alors dans une mauvaise passe – notamment du fait de la naissance de son fils Hikari, lourdement handicapé, et dont les chances de survie paraissent très faibles. C'est dans ce contexte difficile qu'il se voit confier par une revue la tâche de couvrir la neuvième Conférence mondiale contre les armes nucléaires, à Hiroshima – la ville ravagée par le premier bombardement atomique de l'histoire de l'humanité, dix-huit ans seulement auparavant. le romancier se fera journaliste – et connaîtra là-bas une expérience tenant presque de la révélation religieuse, et qu'il sera amené à reporter sur le tragique cas de son frêle enfant.



Ces deux événements conjoints décident en effet pour une large part de la carrière ultérieure de l'auteur – qui mettra sans cesse en scène un père confronté au handicap de son enfant, tout en éclairant cette relation au prisme d'une éthique supérieure que l'auteur a décelé dans la vie même des hibakusha, les victimes irradiées du bombardement atomique. Mais, au-delà de la seule littérature de fiction, les voyages accomplis par l'auteur à Hiroshima entre 1963 et 1965 (il y en aura bien d'autres par la suite) décident également de son engagement militant : il a trouvé, dans le sort des hibakusha, une cause qu'il fait dès lors sienne, et qui s'étendra progressivement – contre les armes atomiques, contre la guerre, contre le nucléaire civil, contre le révisionnisme, etc. Les Notes de Hiroshima, qui compilent les sept reportages rédigés entre 1963 et 1965, agrémentés d'une introduction et d'une conclusion, sont dès lors un titre crucial dans la bibliographie de l'auteur : le reportage « de commande » est tôt devenu passionnel, vibrant, et le lecteur le ressent dans sa chair, comme sans doute l'auteur lui-même ; la communication de cette puissante émotion n'est pas le moindre atout de ce livre étonnant.



Le reportage initial, en août 1963, est pourtant passablement désolant. le tableau dressé par Ôe Kenzaburô est même parfaitement navrant – et hélas pas si surprenant ? C'est que la Conférence mondiale, qui a lieu tandis que se négocie un traité de désarmement partiel qui accroît en fait les tensions idéologiques, est aussitôt victime de dissensions – avant même son ouverture officielle ! En effet, les « socialistes » (entendre les pro-soviétiques) et les « communistes » (entendre les pro-Chinois) ne peuvent pas se blairer et se foutent sans cesse sur la gueule ; l'autre grande faction présente à la conférence est syndicaliste, et plus indécise (les conservateurs, à l'initiative du PLD, ont leur propre organisme, absent de la Conférence). Mais ces trois sous-groupes sont semble-t-il d'accord sur un point : ils considèrent que, le pire du pire, ce sont les syndicats étudiants... Et j'ai l'impression que le jeune auteur est plutôt de leur bord (sans surprise ?). Quoi qu'il en soit, ces petits cons n'étaient pas prévus au programme, mais improvisent pourtant une intervention sur le vif – alors les « communistes » font appel à la police, laquelle charge les jeunots en train de chanter L'Internationale… Par la suite, pendant des décennies, les factions antagonistes ne se réuniront plus – chacune tenant son propre événement, dans des villes et à des dates différentes. Oui, le tableau est navrant – cocasse à sa manière, mais navrant.



Mais Ôe Kenzaburô remarque que tout ceci ne prend nullement en compte les victimes du bombardement atomique, les hibakusha. le jeune auteur a la conviction qu'ils devraient être au centre des événements, mais, dans les faits, on les ignore largement – par pudeur, par lâcheté, par mesquinerie ? L'intérêt politique seul domine, au prisme des seuls clivages idéologiques, où la mauvaise foi le dispute au fanatisme. Or les irradiés, en 1963, sont là (encore… certains d'entre eux...), sous les yeux mêmes des ardents délégués, qui ne les voient pas car, sans doute, à la vérité ils s'en moquent. Mais Ôe Kenzaburô revient à Hiroshima un an après le fiasco de la Conférence mondiale, dans l'idée de donner la parole aux victimes de la bombe ; les six mois suivants correspondront à autant de voyages et de reportages, qui déboucheront sur la publication de ces Notes de Hiroshima en 1965.



Mais Ôe Kenzaburô comprend vite que faire parler les hibakusha, même avec les meilleures intentions du monde, que sont assurément les siennes, n'est pas sans soulever quelques difficultés. de fait, pour reprendre la formule, les atomisés « sont écartelés entre le "devoir de mémoire" et le "droit de se taire" ». Ces deux tendances antagonistes sont au coeur même de la question des hibakusha. Aussi ne peut-on se contenter, quand on est un étranger à Hiroshima tel l'auteur, de débouler dans la ville avec ses gros sabots – fleur au fusil, mais fusil justement. Les bonnes intentions, comprend l'auteur, peuvent se montrer aussi agressives que les coupables maladresses de ceux qui ne perçoivent pas bien toute la portée du problème – ainsi du cas rappelé, à plusieurs reprises, de ce journaliste qui, en reportage à Hiroshima, demandait aux hibakusha ce qu'ils pensaient de son plan génial consistant à lancer deux ou trois bombes atomiques en Corée pour régler le problème…



C'est que, Ôe Kenzaburô en est convaincu, quand on n'est pas un hibakusha, on ne perçoit pas bien l'ampleur du drame qui s'est joué le 6 août 1945 à Hiroshima. Rapidement après l'explosion de Little Boy, le nom de la ville est connu dans le monde entier, et dès lors irrémédiablement associé à la bombe atomique. Mais, aux yeux de l'auteur, on n'évoquait en fait de la sorte que la puissance incroyable de l'arme nucléaire – pas la tragique réalité des malheurs qu'elle avait provoqués ; or c'est bien de cela qu'il faut parler. Il faut parler des victimes de Hiroshima comme on parle des victimes d'Auschwitz (sans qu'il s'agisse de faire la course entre les deux cauchemars, espérons-le) : et, à en croire Ôe Kenzaburô, ce n'est tout simplement pas le cas au milieu des années 1960.



Pour cela, il ne faut pas seulement parler des victimes, mais parler avec elles, et leur laisser la parole – si elles le souhaitent, donc. Or la censure américaine pendant l'occupation, puis la pudibonderie intéressée des autorités japonaises ensuite, ont instauré une chape de plomb sur les événements de Hiroshima – parler de tout cela était difficile, sinon impossible. Exceptionnellement, un Hara Tamiki (voyez Hiroshima, fleurs d'été) avait pu s'exprimer, mais la « littérature de la bombe atomique » (genbaku bungaku) des premiers temps rencontrait bien des difficultés avant publication – la mairie même de Hiroshima, sous la pression des politiques, soucieux de ne pas déplaire à l'ami américain, avait dû renoncer à faire paraître un éloquent recueil de témoignages. Cette censure plus ou moins franche, un journaliste du nom de Kanai la subissait de plein fouet, et il s'était dédié à la dénoncer. C'est un des « héros » de ce livre, d'autant que son activisme dépassait le seul champ journalistique.



L'autre héros, plus marquant encore, est le Dr Shigetô, irradié lui-même, et qui mène les opérations au sein de « l'hôpital de la bombe atomique » à Hiroshima ; lui et ses collègues mènent les premières recherches sur les séquelles du bombardement atomique – et notamment sur les très nombreux cas de leucémie qui ont suivi, dans un contexte de totale ignorance, ou presque, quant aux effets de l'irradiation. Au-delà des soins apportés aux victimes – il en meurt toujours plus, des hibakusha à proprement parler, mais aussi leurs enfants, pas encore nés le 6 août 1945, et c'est bien là le plus terrible dans cette histoire (Ôe Kenzaburô conclut son essai en mentionnant les récits de science-fiction apocalyptiques où la génétique même des hommes est bouleversée par l'holocauste nucléaire) –, au-delà des seuls soins, donc, l'approche scientifique du problème implique de se livrer à des études statistiques, rendues compliquées par le manque d'implication des autorités ; d'autant qu'elles semblent ne pas « comprendre » que le problème dépasse les seules villes de Hiroshima et Nagasaki : les hibakusha ont pu bouger après le drame – ils sont nombreux à avoir gagné Tôkyô, Ôsaka, que sais-je, et, dans ces villes, on ne sait rien du mal des atomisés, on ne le prend pas en compte car on ne sait tout simplement pas de quoi il s'agit ! Il n'y a en effet aucune communication ou presque à cet égard dans la communauté médicale, les articles sont rares, et l'administration plus que frileuse... La situation est encore pire à Okinawa : les Ryûkyû sont toujours sous le contrôle des Américains à cette époque… Et lesdits Américains, à Hiroshima même, ont certes mené des études sur les effets de l'irradiation, avec une institution dédiée, mais à relativement court terme, et dans une perspective purement « documentaire », disons, détachée de tout soin. Les hommes tels que Kanai ou Shigetô se battent sur tous ces fronts – pour comprendre, pour informer, pour traiter, pour prévenir.



Cependant, si l'admiration de l'auteur pour ces deux hommes et quelques autres vibre dans ces pages, la révélation peu ou prou mystique de Ôe à Hiroshima est d'un autre ordre – c'est au contact des autres hibakusha, les plus ou moins anonymes, qu'elle s'accomplit. Les femmes défigurées par les chéloïdes qui tiennent la revue Hiroshima no kawa, par exemple... Ce vieil homme alité dans son hôpital, mais qui sort brièvement pour bénir la Conférence mondiale contre les armes nucléaires – en laquelle il voudra croire jusqu'au bout... Ce jeune homme qui, malgré la leucémie, travaille comme un fou, avec une application presque maniaque – mais qui épouse aussi une jeune femme, tous deux sachant qu'il ne fera pas long feu…



De fait, la veuve se suicide rapidement après le décès prévisible de son époux. Dans un autre lit de l'hôpital, il y a cet autre vieil homme qui a multiplié les tentatives, échouant toujours et, bougon, contraint d'attendre que la maladie l'emporte. La question du suicide s'immisce dans le drame de Hiroshima – inévitablement. Et pas seulement, supposé-je, en raison d'une morbidité censément particulière à la culture japonaise (je vous renvoie à La Mort volontaire au Japon, de Maurice Pinguet), même si Ôe Kenzaburô note qu'il est heureux, si l'on ose dire, que Hiroshima ne soit pas une ville de culture chrétienne – vilipendant le suicide comme une atteinte inqualifiable aux droits du créateur… Les hibakusha ont le droit de partir comme ils le souhaitent. Mais ce n'est pas seulement cela, donc – peut-être sa connaissance de la littérature française contemporaine et de la philosophie notamment existentialiste a-t-elle joué ? Je ne m'y connais guère pour ma part, et dis donc peut-être des bêtises, mais, à la lecture de certains passages de ces Notes de Hiroshima, j'ai pensé, du moins, aux mots de Camus dans le Mythe de Sisyphe : « Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. » Et il s'agit bien, pour Ôe Kenzaburô, d'un problème philosophique – et à dimension morale. Car l'auteur, sans condamner le moins du monde ceux qui se suicident (et il rapporte avec émotion et compassion bien des cas, on l'a vu), voue une profonde admiration à « ceux qui ne capitulent jamais ».



Son expérience de Hiroshima le bouleverse dans ses conceptions morales – et il écrit pour partie au moins dans l'espoir que d'autres vivent à sa suite la même expérience. C'est qu'il a trouvé, en la personne des hibakusha, l'archétype même de la « dignité humaine » ; par surprise – il n'est pas dit qu'il croyait auparavant qu'une telle chose puisse exister. Mais oui : les irradiés sont l'humanité dans ce qu'elle a de plus « authentique », un qualificatif qui revient souvent – notamment, mais pas seulement, pour désigner l'excellent Dr Shigetô. Leur souffrance, et la variété de leurs réponses à cette souffrance, sont autant d'exemples à bien appréhender – c'est dans leur abnégation que l'auteur croit reconnaître ce qui devrait, à ses yeux, constituer, s'il en faut une, l'essence même du Japon. La communication de leur expérience n'en est que plus salutaire – et Ôe Kenzaburô est d'autant plus disposé à répandre l'évangile muet des irradiés que ces échanges avec autant de morts en sursis (une humanité au carré, sous cet angle ?) ont rejailli sur sa situation personnelle : le rapport à Hikari, l'enfant handicapé, et qui ne survivra probablement pas…



(Non seulement il survivra – il est toujours vivant à ce jour –, mais il deviendra un compositeur apprécié.)



On adhérera, ou pas, à ce discours. Pour ma part, il est bien des points, dans l'argumentaire d'Ôe Kenzaburô, qui me laissent au mieux sceptique – peut-être en partie parce que je n'ai pas un Hikari sous les yeux, certes. Je n'ai en tout cas pas fait d'expérience m'amenant à appréhender de la sorte la dignité humaine – et n'attache pas de plus-value éthique à l'abnégation de « ceux qui ne capitulent jamais » ; quand le discours de l'auteur verse un tantinet dans l'essentialisme, même connoté positivement, je ne peux tout simplement pas le suivre – et son insistance sur le caractère « unique » et pire que tout du drame de Hiroshima ne me convainc pas toujours, a fortiori quand l'auteur met Auschwitz dans la balance.



Cependant, tout cela n'est absolument d'aucune importance – car cela ne m'empêche pas de saisir combien Notes de Hiroshima est un grand livre, et un beau livre. Il est ici un point sur lequel je me dois d'insister : à la lecture de ce seul compte rendu malhabile, on pourrait croire que la philosophie de l'auteur mériterait bien des guillemets – qu'elle ne serait finalement qu'un énième et fade avatar de tant de « perles de sagesse » à dix balles, comme en commettent tant de pseudo-sages pseudo-littérateurs, les Paulo Coehlo, les Bernard Werber, les Pierre Rabhi dans un autre registre, tous les tâcherons du « développement personnel » et j'en passe. Rien de plus faux : la réflexion d'Ôe Kenzaburô dans ce livre est bien autrement subtile, d'une manière que je ne saurais tout simplement pas rendre dans pareil compte rendu de lecture.



Mais il est un autre élément à prendre en compte, crucial à mes yeux : Notes de Hiroshima est un grand livre au plan littéraire – il est bien l'oeuvre d'un grand écrivain. Dans la forme comme dans le fond, ce livre vibre d'une passion de tous les instants – l'émotion résonne dans le style, et l'ensemble émeut profondément ; non pas sur le mode d'un pathos presse-bouton (le sujet même n'était pas sans risque à cet égard), mais avec une sincérité parfaite et admirable. J'y ai trouvé, alors que je ne m'y attendais pas vraiment, la valeur proprement littéraire qui m'avait échappé, récemment, dans Hiroshima, fleurs d'été de Hara Tamiki.



Notes de Hiroshima est un très beau livre – plus subtil qu'il n'en a l'air, et puissamment émouvant. Sous le reportage journalistique perce l'expérience philosophique qui décide d'une carrière, et d'une vie familiale. Un ouvrage très touchant, et probablement crucial dans la bibliographie du jeune alors Ôe Kenzaburô, bien loin de deviner sans doute qu'il serait un jour le second prix Nobel de Littérature japonais – or les Notes de Hiroshima ont probablement leur part dans cette prestigieuse récompense.
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Août 1963 Kenzaburô part en reportage a Hiroshima pour la 9ième conférence mondiale contre les armes nucléaires et découvre les hibakusha "les victimes de la bombe". Ceux ci ont été les oubliés, ceux qui le 6 aout 1946 ont vu leurs existences basculer dans l'horreur et la mort, ceux a qui on a interdit de parler pendant la mise sous tutelle du Japon par les états-Unis jusqu'en 1951. Kenzaburô Ôé va partir a leurs rencontres et recueillir leurs témoignages pour leur permettre de faire connaitre leur combat contre l'oubli et pour la dignité. Aux yeux des japonais mais aussi du monde entier, ces oubliés vont devenir des êtres humains qui ont souffert et qui souffre toujours de leurs blessures mais aussi du regard que l'on porte sur eux. Grâce a Kenzaburô on va découvrir leurs vies quotidienne et le combat qu'ils mènent pour que soit reconnu les dommages qu'ils ont endurés et qu'ils endurent toujours. Il va aussi donner la parole a ceux qui se battent au jour le jour pour soigner les blessés de Hiroshima, ces médecins qui sont les premiers a découvrir l'horreur de l'arme nucléaire et qui vont se rendre compte que Hiroshima ne va pas se limiter a ceux qui ont été irradiés lors de ce 6 aout 1946 mais que la "malédiction" va se transmettre aux générations suivantes.

Que le prix Nobel de littérature décerné en 1994 a Kenzaburô Ôé ne vous empêche de lire ce livre car ce livre de témoignages et de réflexions sur le nucléaire nous permet de comprendre l'horreur ressentie par les rescapés d'Hiroshima. Un livre d'une grande qualité littéraire et dont l'humanisme qui l'imprègne donnent aux lecteurs un sentiments de révolte. Révolte pour l'utilisation d'une bombe de grande destructions sur des innocents pour hâter une reddition pourtant inévitable et révolte pour le sort réservé des rescapés et leur isolement.

Un livre fort émouvant et fondamental qui dépasse le cadre du Japon et qui pose la question de savoir ce que l'on a retenu de la catastrophe nucléaire.
Lien : http://desgoutsetdeslivres.o..
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C'est lors d'un reportage sur la neuvième conférence mondiale contre les armes nucléaires que Kenzaburô Ôé croise ces hommes et ces femmes, agonisants, défigurés, rescapés de ce funeste 6 août, écartelés entre "devoir de mémoire et droit de se taire". Il ira à leur rencontre, mais à celle aussi des médecins qui luttent courageusement contre le "syndrome des atomisés". C'est à tous ces héros silencieux qu'il rend ici un hommage poignant et digne.
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Lorsque Kenzaburô Ôé arrive à Hiroshima en août 1963, le but de son voyage est simplement, sans projet plus profond, de faire un reportage sur la neuvième Conférence mondiale contre les armes nucléaires. Et c'est le choc : il découvre ce dont il ne se doutait pas, ce à quoi il n'avait pas pensé. Il ne pourra plus jamais être comme tous ceux qui oublient ce que fut Hiroshima , et il ne sera plus le même. Ce qu'il nous fait comprendre, c'est que penser Hiroshima conduit, que nous le voulions ou non, à changer la vision que nous avions de l'homme et de son devenir. Ce livre est à lire absolument, il traite de ce qu'il est fondamental de comprendre pour nous qui sommes de l'après-Hiroshima.
Le début est un peu plus théorique et traite d'informations dans lesquelles nous pouvons nous égarer un peu. Mais ensuite, les notes, et de plus en plus à mesure des retours successifs dans la ville, se chargent d'un message profondément humain. Ôé nous donne à comprendre l'horreur incommensurable à travers les vies des hibakushas qu'il rencontre. Ce qu'il nous fait particulièrement ressentir, c'est combien nous sommes dans une autre dimension que toutes les catastrophes provoquées précédemment par l'homme : la mort continue son oeuvre souterraine, année après année, et les atomisés continuent à souffrir, à vivre dans la terreur de tomber malade, à mourir, et on ne peut pas savoir quand cela cessera… En lisant ce qui est dit sur ces effets souterrains que nous ne dominons pas, je ne peux pas m'empêcher de faire l'inévitable rapprochement avec le nucléaire civil : l'épée de Damoclès est sur nos têtes, car personne ne peut être sûr que l'humanité dominera à terme ce qu'elle a mis en marche…
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Notes de Hiroshima" est un recueil de textes écrits entre 1963 et 1965 par le futur prix Nobel de littérature (en 1994). Partant
d' abord du récit de la Conférence mondiale contre les armes nucléaire à l'été 63 et des divisions des acteurs de ce mouvement, les textes d' Oe s'intéressent ensuite à diverses personnes concernées par "Hiroshima"( les "hibakusha", le directeur de l'hopital des irradiés, un journaliste local s' intéressant à la prise en charge médical par l'état et à la publication du témoignages des victimes...). A travers ces divers portraits et récits, l'auteur nous parle de la "dignité humaine " au regard de ce qui s'est passé dans cette ville et du parcours des victimes du bombardement, qu'elles aient mis fin à leurs jours ou qu'elles vivent reclus, cachant leurs corps irradiés ... Poignant à lire ....
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