Citations sur Les Evasions particulières (159)
Depuis quelques années, avec le premier choc pétrolier et la montée du chômage, l’image d’un bonheur prospère et d’une satiété éternelle se fissurait lentement. Mais sur les murs des immeubles, du métro, des aéroports et des gares, dans les journaux, au cinéma, à la radio, à la télévision, jour et nuit, des mots, des voix, des images leur disaient tout ce qui leur avait manqué. Alors ils achetaient ce dont ils n’avaient jamais eu besoin. Ils se croyaient heureux. Ils étaient simplement obéissants.
C’était un silence que l’on entendait à Paris pour la première fois, un silence heurté par les bâtons frappés sur le sol, cette menace qui avançait avec « les vingt-deux » du Larzac, des hommes des femmes des enfants, qui avaient marché vingt-quatre jours, plus de sept-cents kilomètres.
Elle n’en revenait pas de ce mouvement qui venait de se créer et qu’elle appelait « l’oxymore » : les jeunes giscardiens. Quand la jeunesse avait-elle cessé de demander l’impossible ?
(page 407)
Anonymes et braillards, c’est ainsi que le Président en son palais devait les considérer, mais ici (le Larzac), ces milliers de gens qui défendaient les moutons contre les canons, le blé contre les armes, avaient tous le même âge, celui de vivre, et ils venaient du même endroit, la terre, celle des champs et celle des villes. Sabine sentait l’énergie que diffusait chaque corps, cette alliance spontanée, cette solidarité, ces milliers de Parisiens, et aussi de provinciaux descendus des trains le matin-même.
(pages 286-287)
J'ai entendu mes parents faire l'amour.
Tu as de la chance, moi je les ai toujours entendus faire la gueule.
Quelle horreur ces appartements. Est-ce que les architectes imaginent que les pauvres ne font jamais l'amour?
Ils construisent pourtant de sacrées cages à lapins.
Ils ont essayé d'être discrets, pourtant.
Ils étaient discrets, mais juste à côté...
« J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques, à voter pour moi, à s’inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle ! » et il termine par : « Tous ensemble pour leur foutre au cul ! » C’est pas génial ? C’est Coluche. On aurait presque envie d’en faire une chanson, tu ne trouves pas ?
« J’ai eu le sentiment, ce matin, que le peuple de Paris, que le peuple français, avait conscience de ce que c’était que d’élire un nouveau président de la République. » Giscard dit cela et on comprend qu’il va falloir s’habituer à cette voix de roi, à cette prononciation outrée, des mots comme de la mitraille, la bouche en cul-de-poule.
Le matin se levait, alourdi déjà par la brume de chaleur. Au loin, la montagne Sainte-Victoire attirait le regard avec un orgueil éternel, traçant entre la terre et le ciel une forteresse d’ombre et de lumière.
(page 193)
Elle ressemblait à une femme sans rêves ni curiosité, une femme dont la fatigue invisible s'était accumulée depuis plus de quarante ans, pour surgir d'un coup, comme une attaque, un jet d'acide.
La famille lui avait manqué sans qu’elle le sache, comme un paysage, une odeur que l’on a aimés et dont on s’est détourné par étourderie, inconscient du vide laissé en soi par leur absence.