Tintin au pays des philosophes
Tintin le héros des jeunes de 7 à 77 ans comme on disait à l'époque où je découvrais ces aventures.
Vingt-trois albums parus entre 1930 et 1976 qui font ici l'objet de réflexions philosophiques de la part de philosophes connus, par thèmes, bien ordonnés : de la morale, de la politique, de l'homme, de la raison du rire, de l'art.
Tintin, d'un point de vue philosophique fait l'unanimité, il est, semble t-il, spontanément bon, courageux, il est capable de partir dans une quête qui défie la raison, pour porter secours à l'autre bout du monde à son ami Tchang. Il aide le faible, combat l'injustice le tout en étant désintéressé spirituellement et matériellement.
Dans l'univers d'
Hergé il apparaît même que l'animal « bestial » (yeti, gorille) est meilleur que l'homme
Bref, un champ d'étude d'une simplicité biblique tellement le personnage lisse, positif semble un cas d'école paré de toutes les vertus.
Cet album offre par conséquent un agrément double, outre qu'il permet de revoir avec bonheur certains extraits cultes de notre héros et de ses amis il étalonne et inventorie les qualités philosophiques les plus évidentes de Tintin. de plus, la mise en page, le choix des illustrations sont très réussies et apportent à eux seuls un vrai plaisir de consultation de cet ouvrage. Il pendra sa place avantageusement à coté des albums canoniques du fringant reporter à la houpe
Néanmoins, à mon avis, deux faiblesses sont susceptibles d'être relevées.
En premier lieu, les contributions sont d'une qualité inégale, à côté de celle d'un
Michel Serres, d'autres n'ont pas un grand intérêt.
Ensuite, avec tout le respect du à ces philosophes connus et reconnus il semble en définitive que ce soit davantage l'affect attendri et bien trop respectueux qui domine leurs interventions plutôt que l'esprit philosophique critique.
Une appréciation philosophique sur le non exprimé dans les albums d'
Hergé, en seconde approche, aurait du compléter les analyses.
A cet égard, il doit être observé ainsi que la moitié de ses albums ont été écrits et publiés dans une période historique la plus dramatique qui soit, caractérisée par la crise économique, la misère, les persécutions, la guerre, les massacres de masse.
Seul, « le lotus bleu » intègre le contexte historique contemporain et avec des détails qui collent à la réalité.
Même en ne perdant pas de vue que Georges Rémi (alias
Hergé) exerçait ses talents dans un autre registre qu'un
Malraux ou un
Hemingway, cette (auto)censure questionne.
Pourquoi Tintin n'a t-il pas eu de Zorrino ou de Tchang juif, républicain, syndicaliste...journaliste, prisonnier à aider, à faire évader alors qu'il sauve un roi, un (apprenti)dictateur ?
La censure de l'occupation nazie a certes pesé pour certains albums mais pas pour l'ensemble.
Tintin n'est-il pas reporter ? Pourquoi à coté du « Tinitin au pays des soviets », n'y a t-il pas eu un « Tintin au pays des nazis », « au pays des fascistes », « au pays des franquistes » ? Guernica, les accords de Munich…. auraient pu fournir des beaux sujets de « reportage », au moins offrir des arrière plans stimulants à des aventures...
Pourquoi le communiste, le « nègre », les mafieux de Chicago ont été les seuls à être raillés, moqués à cette époque?
Ensuite, le désert de la vie sociale, affective, sexuelle de Tintin est pour le moins suspecte.
En y regardant de plus près, l'univers de
Hergé est tout sauf zen ; l'inavouable, des élans mortifères affleurent régulièrement et sont péniblement étouffés par un refoulement brutal
Hormis la Castafiore il n'y a pas de femme dans l'univers de Tintin et plus grave la sensualité, le désir, sont impitoyablement étouffés. Ils n'apparaissent que furtivement et sous une forme de souffrance, de violence à la frontière de la pathologie dans ces délires d'alcoolique ou de rêves-cauchemars. le moins que l'on puisse dire c'est que cette femme, la Castafiore ne peut que faire fuir.
Ce désert, conjugué à ces délires oniriques révèlent à l'évidence une peur de la vie, la vraie, avec ses fêlures, ses interrogations existentielles, politiques, sociales, affectives, sexuelles.
Ce constat s'agissant de Tintin est d'autant plus flagrant que
Hergé avec le capitaine Haddock, et même avec Milou n'hésite pas à introduire des failles, un « coté obscur » dans ses acteurs
Au total un univers philosophique en trompe l'oeil , Tintin n'est pas un sage ou un homme juste par choix ou parce qu'il est naturellement bon mais parce que les questions, les situations dérangeantes sont absentes, évacuées. Il n'y a par conséquent pas de choix philosophiques à faire dans l'action et/ou la réflexion.
Cela n'enlève rien ni au charme indestructible ses albums ni au plaisir de lire ce
Tintin au pays des philosophes mais sur ce terrain il existe fatalement des interrogations dont on peut difficilement faire l'économie, même si elles sont politiquement incorrectes