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«Cette chose étrange en moi» Orhan Pamuk (680p, Gallimard).
On le sait, la réception d'un livre, sa lecture, sont affaire de contexte, pas seulement de texte. Ainsi, avoir la chance de découvrir ce roman (car c'en est un, sous-titré « La vie, les aventures, les rêves du marchant de boza Mevlut Karatas et l'histoire de ses amis et Tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par les yeux de nombreux personnages » - ouf, il faut être au moins Prix Nobel pour oser un sous-titre pareil), ou du moins en lire la seconde moitié lors d'un voyage à Istanbul tient du rêve. Suivre aujourd'hui, en octobre 2017, les traces de Mevlut dans le quartier de Sisli (où il retrouve en 2002 Samiha à la fin du livre)… au pied de la Trump Tower (ça ne s'invente pas), oser la boza (achetée en supermarché, je n'en ai pas trouvé chez des camelots) et la trouver assez gouteuse, croiser des centaines de Mevlut qui poussent leur charriot de petits pains, de marrons ou de pois chiches grillés qu'ils vendent à la criée (sans hélas pouvoir trop causer avec eux), s'arrêter aux côtés des pêcheurs à la ligne à tous les ponts de la mégalopole, tout cela n'amène guère à un point du vue aussi lucide que détaché, et pousse sans doute à l'emballement.
Mais revenons à notre sujet, qui n'est pas un carnet de voyage mais bien une note de lecture. C'est donc un pavé de près de 700 pages qui ne lasse pas, même si parfois, rarement, j'ai trouvé quelques longueurs inutiles (exemple, mais il y en a d'autres, la longue page 85 de salutations au père et à son fils venus vendre des yaourts). L'écriture est déliée, sans accrocs, très vivante avec beaucoup de dialogues. le parti-pris de l'auteur de permettre régulièrement à chaque personnage de prendre la parole à la première personne du singulier, parfois même en s'adressant au lecteur, est assez original, éclairant parfois des points de vues différents sur la même anecdote.
On suit donc pendant plus de 40 ans Mevlut, arrivé de sa lointaine et très campagnarde Anatolie jusqu'à Istanbul en 1969 à l'âge de 12 ans pour y suivre en principe sa scolarité secondaire, mais surtout pour aider son père à vendre dans les rues du yaourt à la louche, puis de la boza, boisson traditionnelle à base de céréales fermentées (et donc parfois très légèrement alcoolisée, ce qui ne va pas sans quelques accommodements discrets avec une religion très présente dans la vie des personnages). Au fil de ses pérégrinations, on l'accompagne à l'école avec laquelle il prend de plus en plus ses distances, au service militaire aux lointaines frontières de l'Est où, comme par miracle, il échappe le plus souvent aux coups les plus violents des gradés, dans la poussée de son chariot de vendeur qui est sa seule richesse, dans son appartement de terre battue dans un bidonville, dans les liens tissés avec ses filles...
Mais on l'accompagne aussi dans sa profonde et sincère quête d'amour ; ayant à peine croisé, lors d'un mariage, les yeux sombres d'une très belle, très jeune et lointaine cousine, il en est tombé éperdument amoureux, et pendant des années, va lui écrire des lettres passionnées, avant d'aller, à 25 ans l'enlever à sa famille et à son village pour l'épouser, sur les conseils d'un cousin plus ou moins bienveillant. L'enlèvement se fera de nuit, jusqu'au moment où Mevlut se rendra compte qu'il y a maldonne sur la personne. Notre héros fera avec, avec sa générosité, son fatalisme, sa sincérité. C'est la scène inaugurale du roman, qui en donne la tonalité générale. Et l'on verra comment Mevlut, esprit droit et loyal, parfois borné et enfermé sur son univers étriqué, se débrouille avec les évènements et les pièges de la vie dans un pays secoué par les crises politiques et économiques, par les avatars des relations familiales ou amicales, par les croyances et les traditions pesantes. Il se laisse parfois manipuler par des gens retords, lui que son honnêteté fondamentale tient droit.
On voit enfin l'évolution d'Istanbul, une ville à laquelle Mevlut s'est finalement attaché passionnément, qui aspire littéralement des masses de paysans pauvre venus des quatre coins du pays pour y quêter du travail. Les quartiers de bidonvilles rasés pour le bénéfice des promoteurs petits ou grands et des politiques magouilleurs et corrompus laissent place à des tours où les liens ancestraux et familiaux se distendent
Tout l'art d'Orhan Pamuk consiste à nous mettre en empathie avec ses principaux personnages, avec leurs difficultés de vie, leurs joies, leurs peines, leur idéalisme. Sous sa plume, on comprend mieux leurs limites, leurs abandons à des croyances, à des traditions qui leur servent de boussole dans un monde en plein chaos, et de quoi se nourrit par exemple un machisme rétrograde.
Lire « Cette chose étrange en moi », qui est finalement la quête d'amour de Mevlut, c'est faire un beau voyage dans le temps et dans l'espace, mais c'est hier à peine et c'est juste à côté. C'est une épopée épique de héros modestes, il ne faut pas s'en priver, même si c'est un périple assez long.

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Je n'avais jamais lu de roman d'Orhan Pamuk avant et c'est une très belle découverte.
Ce qui m'a frappée, c'est l'incroyable pouvoir évocateur de son écriture. Mevlut, qui a rejoint son père à Istamboul pour l'accompagner dans la vente ambulante de yaourt, puis, plus tard, de boza, vit dans des torrents d'odeurs, de couleurs, de textures, sans qu'il y ait ostentation dans la manière de décrire de Pamuk. Il dit et nous percevons.
Le destin de Mevlut est rapporté en polyphonie, comme si son histoire était racontée en présence de témoins, vivants et morts, qui interviennent parfois dans la conversation, contredisant celui qui vient de s'exprimer, mais non pas comme dans une conversation ; plutôt comme une collecte de propos. On a parfois l'impression que Mevlut n'a pas de chance, plus souvent qu'il est porté par la volonté des autres et annihilé de sa propre inertie. Et cela va dans le sens de son bonheur : quand il épouse une femme à laquelle il ne songeait point, c'est bien elle qui lui apporte le bonheur, c'est le métier "par défaut" qu'il exerce qui correspond à son tempérament profond, celui où on le voit entreprenant, souriant... et pourtant, les malentendus ont parfois des conséquences tragiques.
J'ai beaucoup aimé aussi l'évocation d'Istamboul au XXème siècle, j'ai énormément appris tant sur les modes de vie que sur les événements historiques majeurs qui ont traversé cette ville.
Une belle découverte.
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Je dois admettre qu'à la lecture du résumé, je n'étais pas particulièrement emballée par ce roman. Éprouvant déjà du mal à me plonger dans la biographie de personnages historiques qui pourtant me fascinent, je me voyais difficilement suivre avec palpitation les tribulations d'un vendeur de yaourt et de boza (boisson traditionnelle fermentée). Je me suis néanmoins laissée tenter pour le plaisir de découvrir un auteur turc, ma connaissance en matière de littérature turque approchant du néant. Et je peux déjà d'ores et déjà vous dire que je me félicite de ma curiosité.

L'histoire d'un marchand ambulant, de celle de sa famille et de ses amis dans la Turquie de 1969-2012

Dès la première page, l'auteur arrive en effet à créer un climat de complicité qui vous enjoint à vous poser confortablement afin d'arpenter virtuellement les rues d'Istanbul et de découvrir la vie de Mevlut et de ses amis. A cet égard, je trouve le titre complet du livre beaucoup plus parlant que son raccourci : Cette chose étrange en moi. La vie, les aventures, les rêves du marchand de boza Mevlut Karatas et l'histoire de ses amis et tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012, vue par les yeux de nombreux personnages.

Ce titre révèle, en partie, ce que l'auteur vous propose : découvrir une saga familiale/amicale et le contexte socio-culturel, économique et politique dans lequel elle évolue. L'auteur aborde ainsi différents sujets comme la corruption, la haine raciale et les tensions entre les différentes communautés, l'islamisme, les meurtres politiques, la question de la place de la femme dans une société où elle est en permanence sous le joug d'un homme, l'urbanisation presque sauvage et très rapide d'Istanbul, l'industrialisation et les nouvelles normes d'hygiène… Néanmoins, le roman n'ayant pas de vocation idéologique ou politique, ces différents sujets sont toujours abordés sous le prisme de l'impact plus ou moins direct qu'ils ont sur la vie personnelle et professionnelle de Mevlut et de ses amis. L'auteur ne s'attarde donc pas sur les différents événements ce qui évite d'alourdir une histoire déjà très riche.

Cette chose étrange en moi, c'est avant tout l'histoire d'un homme ordinaire, de ses amis et de sa famille. le caractère banal de notre protagoniste permet à l'auteur d'aborder des thèmes universels : les relations enfants/parents, la famille avec l'amour que l'on porte à ses membres mais également les dissensions qui peuvent séparer ses membres, l'amitié et les disputes, les soirées entre amis, les premiers questionnements sur sa sexualité, la recherche d'un travail, l'argent, la solitude, la quête de soi et du sens de la vie et bien sûr, l'amour. Nous découvrons ainsi les premiers émois amoureux de nos protagonistes, et notamment de Mevlut à travers ses lettres d'amour. Elles n'arriveront jamais à la bonne destinataire, mais scelleront pourtant pendant quelques années son destin, et son bonheur auprès d'une femme qu'il n'aura de cesse d'aimer. Je ne suis pas forcément très sensible aux histoires d'amour, mais j'ai trouvé celle de notre protagoniste plutôt belle, car parfaitement ancrée dans la réalité.

A noter que Gallimard vous propose, en fin d'ouvrage, une chronologie très bien pensée des principaux événements de la vie de Mevlut et de ses amis, entremêlée avec les faits historiques de la période 1954-2012. Je n'ai pas ressenti le besoin de la consulter durant ma lecture, mais cela peut se révéler utile si vous vous sentez perdus.

Des personnages nombreux… rendant la narration vivante

En effet, bien que la maison d'édition propose un petit arbre généalogique en début d'ouvrage, la multitude de personnages, aux noms peu communs pour des Occidentaux, pourrait effrayer, décontenancer ou simplement perdre certains lecteurs. Pour ma part, ce ne fut pas le cas, car les différents personnages interviennent suffisamment pour que leurs noms nous deviennent rapidement familiers tout comme leurs liens avec Mevlut.

J'ai apprécié que l'auteur ne se focalise pas seulement sur notre vendeur de boza, mais offre une place importante aux personnes qui ont compté dans sa vie. Il n'hésite d'ailleurs pas à leur donner la parole puisque ceux-ci s'adressent et interpellent régulièrement le lecteur. Je ne suis pas friande de ce genre de procédé, mais utilisé avec intelligence comme ici, je ne peux que l'apprécier. Cela crée une connivence entre le lecteur et les personnages, et donne un côté très vivant à la narration. J'ai parfois eu le sentiment d'entrer dans une conversation ou de suivre en direct un reportage où plusieurs intervenants échangent leurs points de vue sur un sujet et veillent à rétablir leur propre vérité.

Mevlut et Istanbul

Contrairement à son père que la vie à la ville a rendu aigri, envieux et médisant, Mevlut est ce genre de personne profondément optimiste qui voit le verre à moitié rempli plutôt qu'à moitié vide. Les différentes épreuves qu'il rencontrera le rendront parfois d'humeur chagrine et le conduiront à avoir de brusques emportements difficilement compréhensibles pour son entourage, mais il n'en demeure pas moins un homme bon, avec ses défauts et ses qualités. Tout au long du roman, il essaiera ainsi de vivre sa vie sans juger ni prendre parti tout en restant fidèle à ses valeurs. Cette neutralité lui sera d'ailleurs utile pour exercer son métier de vendeur ambulant sans trop d'encombres, et côtoyer des personnages aux opinions politiques et religieuses diamétralement opposées. Si son entourage est assez politisé, Mevlut n'aspire, quant à lui, qu'à une seule chose : être heureux. Cela peut parfois donner le sentiment qu'il se laisse porter par les événements se contentant de les constater et de s'ajuster sans vraiment anticiper, mais ça lui donne un côté rêveur et idéaliste qui le rendent assez touchant.

Le roman nous permet de découvrir la vie de notre vendeur de boza et de ses amis, mais, tout au long du livre en filigrane, il y a Istanbul. Istanbul et ses rues, Istanbul et son foisonnement, Istanbul et son urbanisation, Istanbul et ses constants changements, mais surtout Istanbul et Mevlut dont la vie semble intrinsèquement liée à cette ville comme si elle était un peu sa vieille amie. Alors qu'il aurait été assez humain de rejeter toutes les évolutions de la ville en se réfugiant dans un passé idéalisé, Mevlut se contente de les observer tout en continuant à faire ce qui le rend véritablement heureux : arpenter les rues le soir en vendant de la boza, parler avec des clients et sentir ce vent de liberté qui s'offre à lui. Et peu importe que les clients se tarissent et que l'activité ne soit pas rémunératrice… Mevlut apparaît alors au lecteur ainsi qu'à la plupart de ses clients, comme l'un des derniers représentants du passé et des traditions dans une Istanbul sans cesse renouvelée.

Enfin, j'ai beaucoup aimé la profusion des détails donnés par l'auteur, car ils permettent de se plonger complètement dans la vie de Mevlut et de sa famille et dans les rues d'Istanbul que l'on voit évoluer. Ils sont ainsi indispensables pour comprendre les personnages et le contexte dans lequel ils évoluent et rendent, paradoxalement, ce roman de plus de 600 pages facile et agréable à lire.

En conclusion, avec Cette chose étrange en moi, Orhan Pamuk nous offre une très belle saga familiale dans une Istanbul en pleine évolution urbaine, culturelle, politique… Si le livre aborde différents thèmes allant de la corruption à la place de la femme dans la société turque en passant par l'urbanisation sauvage d'Istanbul, son intérêt principal réside ailleurs. Il réside dans la parole donnée à un protagoniste banal qui n'est pas un héros, qui n'est ni riche, ni méchant, et dont le seul objectif dans la vie est simplement d'être heureux. Et si, sous l'apparente naïveté de Mevlut dont l'entourage aime à se moquer, se cachait finalement une certaine sagesse ?

Je conseillerais ce roman à toutes les personnes qui aiment les histoires où les nombreux détails font la richesse du récit et où le voyage est plus important que la destination.
Lien : https://lightandsmell.wordpr..
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J'ai abandonné Orhan Pamuk après la lecture de deux de ses romans: D'autres couleurs qui m'avait beaucoup ennuyé et Neige que j'avais trouvé très anxiogène, asphyxiant. Je le redécouvre avec son nouveau roman, nouveauté de la rentrée littéraire 2017, et je dois dire que je suis plus que ravie. J'ai, en effet, beaucoup aimé ce roman. Il est riche, généreux, intelligent, très bien pensé, écrit et construit. Les voix sont multiples, elles posent une dynamique au récit qui n'ennuie jamais. le personnage principal, Mevlut, se révèle quant à lui très attachant. Sa bonté, sa sensibilité, sa fidélité, son humanité et son attachement à son activité pourtant concurrencée par la modernité m'ont quelque peu attendrie, en effet. J'ai aimé son histoire, j'ai aimé l'accompagner dans les rues d'Istambul. Kurde de Turquie, je ne me suis pas sentie étrangère au monde décrit. Je me suis retrouvée « chez moi », dans un environnement social et culturel familier. C'était, pour moi, chaleureux. Et en plongeant dans la petite histoire de Mevlut et d'Istambul, c'est celle de la Turquie que j'ai relu. Très bien pensé, ce roman est, pour moi, une petite pépite dorée qui me « réconcilie » avec Orhan Pamuk. Son talent prouvé et apprécié, je lirais d'autres de ses oeuvres passées.
Lien : http://kanimezin.unblog.fr/2..
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Merci à Babélio et aux éditions Gallimard pour ce livre que j'ai lu d'un trait, autant qu'il est possible pour un pavé de 685 pages !

Orhan Pamuk est un auteur que je lis volontiers, toutefois, le titre un peu bizarre ne m 'aurait peut être pas attirée.  En revanche le sous-titre est beaucoup plus explicite :

 La vie, les aventures du marchand de boza

et

l'histoire de ses amis et tableau de la vie à Istanbul entre 1969 et 2012 vue par les yeux de nombreux personnages

Présenté ainsi, le livre correspond à toutes mes attentes, et ne m'a pas déçue.

Ce livre choral met en scène une famille : deux frères arrivent d'un village d'Anatolie dans le début des années soixante à Istanbul pour chercher fortune en vendant du yaourt et de la boza.  Leurs fils,  trois cousins tombent amoureux des trois filles d'un marchand de yaourt revenu dans leur village....années d'apprentissage des cousins, service militaire, mariages....Amours agitées, enlèvements ou fugues. Les mariages arrangés sont-ils plus heureux que les mariages d'amour? La jeune fille qui porte foulard est elle plus sage? Pendant une quarantaine d'année la famille grandit, des enfants naissent en ville, s'éloignent du village mais la communauté reste soudée. La solidarité des anciens villageois est encore très forte.

Pamuk raconte  la vie du peuple des marchands des rues venus de leur village d'Anatolie chercher fortune en vendant du yaourt le jour et de la boza le soir. de bonne jambes, une perche et des plateaux pour livrer jusque dans les cuisines la marchandise fraîche.

Au fil de la saga, la vie quotidienne évolue. Les marchands des rues subissent la concurrence des produits transformés par l'industrie agroalimentaire. Les yaourts sont conditionnés dans des pots, les glaces se vendent partout dans des congélateurs et Mevlut doit renoncer à fabriquer et vendre ses glaces artisanales...les autorités font aussi la chasse aux vendeurs de rue. La charrette où il vendait du pilaf aux pois chiches est saisie et détruite....

Certains villageois ont quitté le commerce des rues pour celui, beaucoup plus lucratif, de la construction immobilière, de la spéculation des titres de propriété, devenant des personnages considérables qui s'entouraient d'associés, cherchant des appuis politiques ou religieux.

C'est aussi le récit de la construction des quartiers périphériques d'Istanbul, les villageois s'installaient sur des terrains inoccupés, sans titre de propriété, construisaient une cabane, puis une maison de parpaing qui, au fil du temps s'élevait sur plusieurs étages....en 2012, sur ces collines on construit des tours de 20 étages.

Mevlut et son père, arpentaient tous les quartiers de la ville. le lecteur les suit dans leur course quotidienne dans Istanbul. Au fil des années, le centre de la ville se modifie. Les immeubles où vivaient les Grecs chassés en 1964 puis avec la guerre à Chypre, se dégradent, une nouvelle population remplace Grecs, Arméniens et Syriaques. En 1999, le séisme met dehors les habitants. 40 ans d'histoire turque défilent, coup d'état militaire, arrivée sur la scène politique des religieux.... 

"Mevlut se rappela que cette vue sur la ville était exactement celle qu'il avait observée du sommet de la colline lorsqu'il était arrivéà Kültepe. D'ici, il y a quarante cinq ans on apercevait les usines, les autres collines qui se couvraient rapidement de bidonvilles du bas vers le haut. A présent Mevlut ne voyait plus qu'un mer d'immeubles de hauteurs diverses?-...."

La richesse de ce livre tient  dans les détails : on assiste à la fabrication de la boza, du pilaf. On imagine les odeurs, les saveurs, les cris des marchands de rue. On entre dans les intérieurs des héros du livre mais aussi des clients. Pamuk fait vivre tout un monde au quotidien. 


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Ce roman débute par l'acte de bravoure de Mevlut, un acte fou pour un garçon turc : il enlève la jeune fille dont il est tombé amoureux à un mariage. La vue de ses yeux a suffi à lui inspirer pendant trois ans des lettres enfiévrées. Son cousin l'aide dans cette expédition pour amener la belle de sa campagne à Istanbul, où ils vont vivre ensemble.
Une surprise l'attend.
Pamuk revient ensuite sur la propre arrivée de Mevlut à la capitale, ses débuts dans la vie partagée avec son père, la vente dans les rues le soir de la boza, yaourt au goût léger d'alcool. Son père est souvent en colère, se disputant sans cesse avec son frère. Les deux frères ont délimité un terrain, sur lequel ils ont construit ensemble une maison à pièce unique, dans un bidonville. Puis le frère a choisi un autre terrain, ils ont à nouveau construit une maison. Voilà comment Istanbul s'est développée et peu à peu les terrains ont été reconnus par les maires, avec ou sans pots de vin. Et ces gens sont devenus « riches » de ces parcelles insalubres. Mais ce manque de transparence a créé certains conflits.

La narration est originale : un des personnages raconte puis l'auteur reprend le récit. Jamais ennuyeuse, elle est lente, pour mieux apprécier cet étrange univers, cette ambiance, ces règles, et ressentir d'autant mieux les évènements vécus par les personnages, l'évolution de la société, l'influence de la politique et le poids des moeurs. Pamuk nous détaille avec une immense délicatesse les rapports familiaux.
Cette merveilleuse lecture à rebours de nos rythmes modernes est un genre de méditation sur le temps qui passe, l'acceptation des changements, comme voir ses filles adorées partir de la maison...
Lien : http://objectif-livre.over-b..
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Orhan Pamuk, un auteur que j'apprécie énormément. Un prix Nobel largement mérité.
Ici, il s'agit d'une fresque où le héros est Mevlut né dans un village d'Anatolie, vient s'installer avec son père à Istanbul pour deux raisons : y étudier et y vendre du yaourt et de la boza.
Nous le suivrons tout au long de sa vie : amis, études, travail, famille etc
Contrairement à d'autres qui se sont installés en même temps que lui à Istanbul, il n'a jamais visé l'opulence, la richesse; le bonheur lui a suffi.
Une belle écriture qui permet de lire cette brique d'environ 800 pages sans jamais s'ennuyer.
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Avec « Cette chose étrange en moi », Ohran Pamuk a écrit un livre à la mesure de son prix Nobel de littérature.
Il présente une grande fresque narrant le destin d'un jeune turc, Mevlut, de 1968 à 2012. le roman s'ouvre sur le rapt d'une jeune fille que Mevlut veut épouser… Sa surprise est grande de constater qu'elle n'est n'est pas celle qu'il convoitait. le livre s'achève sur un constat optimiste : il a été heureux avec son épouse.
Orhan Pamuk imprime à l'histoire de Mevlut , de ses proches un souffle qui permet au lecteur de vivre les difficultés quotidiennes de ruraux installés dans un bidonville, de mesurer la pauvreté et les dures conditions de travail du vendeur de yaourt et de boza( boisson fermentée peu alcoolisée). le récit est profondément humain, les relations entre les personnages restent empruntes de sincérité, de dissimulations et de pudeur. Si les épreuves se succèdent, l'espoir est toujours perceptible : l'installation à Istanbul est le départ d'une vie meilleure.
La capitale Istanbul est l'autre acteur du livre. Mevlut assiste au développement tentaculaire de la capitale qui passe de trois à treize millions d'habitants. Installés sur les terrains limitrophes, les nouveaux arrivants y construisent des baraques qui forment bidonvilles, intégrés peu à peu à la ville sous la coupe de spéculateurs et des mafieux.
Les changements sociologiques et politiques se succèdent. Arméniens et grecs sont chassés de la ville, les diverses communautés, kurdes, alévis … se côtoient sans concession. Coup d'état militaire, montée de l'islamisme font « vivre » l'histoire de la ville et de la Turquie.
Le rythme du roman est relancé par les témoignages et aveux des personnages. le lecteur est interpellé, une connivence s'établit avec les histoires personnelles.
Au final, un beau livre qui permet au lecteur de « vivre » une ville et un destin.


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Quelle chose étrange que cette chronique romancée qui tient tout à la fois d'une présentation de la société turque et surtout de la classe laborieuse, de la relation amoureuse et de la vie réelle( mais aussi rêvée) de Mevlut, vendeur de boza, courant après la fortune sans jamais la rattraper!
C'est étrange comme la plume de l'auteur a su rendre cette atmosphère si particulière qu'on ne trouve qu'à Istanbul, ville cosmopolite s'il en est ; ce mélange propre au caractère turc , fait de fatalisme et de combativité idéaliste ( tel que je le re-connais dans la communauté turque que je fréquente)
C'est une vraie fresque poétique que nous livre là Orhan Pamuk
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Orhan Pamuk est un auteur turque, né à Istanbul en 1952 et gagnant du prix Nobel de littérature 2006. Vous connaissez mon appétence pour les Nobel : Orhan Pamuk était donc dans ma liste d'auteurs à lire.

J'ai découvert l'oeuvre d'Orhan Pamuk par "La femme aux cheveux roux", livre rencontré par hasard chez un bouquiniste de seconde main. Cette entrée en matière m'a beaucoup plu : la fable oedipienne d'un petit puisatier et de son Maitre, immergés dans la province Turque. Petit livre (300 pages environ), j'ai décidé d'en lire d'avantage.
Mon choix s'est arrêté sur "Cette chose étrange en moi", publié en 2014. C'est le deuxième livre publié après son prix Nobel.

Dans ce livre, la nourriture est omniprésente. J'ai trouvé 3 niveaux de lectures pour illustrer en quoi le livre est rattaché au thème, sans pour autant vous résumer l'histoire.

1. Tout d'abord, la nourriture est le fil rouge du récit.

Mevlut est un vendeur de boza. La boza, c'est une boisson de céréales (quinoa, blé, maïs...) fermenté et servi avec des pois-chiches grillés en amuse-bouche. La boza contient un peu d'alcool dû à la fermentation : c'est en partie ce qui la rend apprécié de l'Empire Ottoman, qui à l'époque vivait sous la prohibition d'alcool.
Dans les années 1960, la boza se vendait par des marchands itinérants, une grande perche sur le haut du dos et deux gros paniers de part et d'autre : l'un contenant la boza, l'autre les pois-chiches. A la nuit tombée, les vendeurs de boza déambulaient dans les rues, criaient "bozaaaaaa" et se faisaient invités chez les stambouliotes de toutes classes. le marchand de boza n'était à l'époque pas une attraction : c'était un conteur d'histoire, un symbole d'authenticité et de traditions ottomanes.
Mevlut, comme son père, vend de la boza. Il perpétue la tradition est il est heureux.

2. Ensuite, la nourriture est l'argument social et historique de la Turquie moderne.

Orhan Pamuk raconte les défis que rencontre Mevlut à continuer son activité de vendeur de boza avec les évolutions des habitudes de consommation (le raki, les glaces...), les technologies (les frigidaires, les pots en verre...), le contexte social local (l'agrandissement tentaculaire d'Istanbul, la corruption, la religion...) et le contexte géopolitique.
D'ailleurs, Mevlut a très peu d'avis sur tous ces sujets. A l'inverse de ses cousins ou des gens qu'il rencontre, il est plutôt passif et s'exprime peu. Pour illustrer, je vous conseille la lecture de l'extrait relatant de l'"Homme au char" de la place Tian'anmen en 1989.

3. Enfin, la nourriture est traité comme un "acteur" de la narration.

Orhan Pamuk utilise la nourriture comme un personnage à part entière, tantôt en fond tantôt au premier plan. Je suis tenté de dire que c'est le personnage principal du livre : il est utilisé sur chacune des pages, comme l'illustre le cours extrait sur la soupe aux lentilles.
Cette scène, avec la soupe aux lentilles, est représentative de la relation entre Mevlut et son père. Elle est aussi représentative de la relation de ce père aux changements de la société.

Certains diront qu'il est lent. le rythme lent nous invite à observer la ville, les rues et les gens. Comme Mevlut qui déambule dans la ville et parle à des gens, le livre nous invite à prendre part aux discussions. le roman se veut polyphonique, chaque point de vue se confronte. Pour parcourir 40 ans d'histoires, 800 pages ce n'est pas de trop. Il faut prendre son temps ; c'est immersif.
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