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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Après la plage, rien de tel qu'un bon pavé pour s'évader et se déstresser, avant la rentrée. Et celui-ci n'est pas en reste question évasion, son souffle romanesque m'a plongé dans l'ambiance turque dès les premières lignes. Ça tombe bien, je garde un souvenir impérissable de la Turquie (il y a 20 ans certes), et d'Istanbul, cette ville cosmopolite et grouillante, si folle et si charmante.

Roman épique et foisonnant où s'entremêlent tout à la fois culture, histoire, politique et évolution de la société turque, où l'on peut voir se bâtir des bidonvilles sur des collines d'Istanbul qui deviendront rivales, où l'on suit les déambulations de Mevlut aux multiples métiers, mais vendeur de boza dans l'âme : «Il sentait que le monde intérieur qui l'habitait et la rue qu'il arpentait la nuit en vendant de la boza formaient désormais un tout. Cette connaissance étonnante lui apparaissait parfois comme sa propre découverte ou bien comme une lueur, une lumière que Dieu lui avait accordée à lui seul.».
Un héros ordinaire au profil ancré dans la réalité, à la recherche simple de bonheur, attachant et empreint de naïveté. L'on fait sa connaissance lors du premier chapitre, surpris qu'il est de découvrir que la fille qu'il est en train d'enlever pour l'épouser n'est pas celle à qui il a cru envoyer tant de lettres enflammées, depuis des années. Une habitude dans ce pays, l'enlèvement d'une douce par son amoureux, quand celle-ci s'oppose aux désirs de son père, ou que la dot est trop importante pour le prétendant. La suite du récit remontera le cours de la vie de Mevlut depuis 1968, pour aller au delà, en 2012.
L'écriture au long cours et au rythme lent invite le lecteur à choisir un bon fauteuil, pour prendre son temps. La narration s'y singularise par une polyphonie aux tonalités parfois inédites: les différentes voix des protagonistes peuvent s'opposer, se contredire, ou enrichir le point de vue général et omniscient, attaché aux pas de Mevlut. Un peu comme si les différents personnages prenaient corps autour de la table de l'écrivain pour élever leur voix, et intervenaient dans le récit pour donner leur avis au lecteur. Cela rend le récit vivant, alerte et rythmé. Largement de quoi rendre le pavé plus léger.
Mais le vrai tour de force de cette saga à l'écriture simple, c'est qu'il nous plonge sans retenue dans la société turque (enfin le tour de force est relatif, il y a quand même un prix Nobel derrière). On ne la lit pas cette saga, on la respire et on la vit. J'ai été avec Melvut, sa famille, ses amis et ses emmerdes depuis le début. le genre de bouquin qui fait hésiter avec ses 6OO et quelques pages, mais on peut finir par regretter qu'il n'y en ait pas un peu plus.
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Ce roman est intense, haut en couleurs, et très bien écrit dans lequel on fait la connaissance de toute une famille et d'une ville : Istambul.

L'histoire démarre par une action en 1982 : Melvut enlève dans des conditions rocambolesques une fille dont il est tombé amoureux après avoir croisé son regard lors d'un mariage, et à laquelle il a écrit de nombreuses lettres avec la complicité d'un cousin. A -t-il enlevé la bonne personne ?

La famille est intéressante : Mustafa, le père de notre héros Mevlut a quitté son village d'Anatolie en même temps que son frère Hasan, et chacun aura un destin et des conditions de vie différents, la femme et les enfants resteront au village alors que toute la famille de Hasan viendra vivre avec lui, ce qui modifiera leur évolution dans cette immense métropole qu'est Istamboul.

Orhan Pamuk rend un vibrant hommage à Istambul, en restant toujours lucide. J'ai adoré me promener dans cette ville, dans les pas de Mevlut, la voir évoluer, sur plus de trente ans. Ce héros qui reste pur, parfois naïf, alors que règne la corruption, la roublardise est touchant même si on l'aimerait parfois plus énergique, mais il reste fidèle à ses valeurs.

L'auteur découpe son histoire en plusieurs périodes, entre 1969 et 2012, et il entrecoupe son récit pour donner l'avis des différents protagonistes, ce qui est original et affine les différents ressentis. de plus, il s'adresse souvent au lecteur, et l'emporte, le fait participer.

On imagine sans peine cet enfant qui arpente les rues avec sa perche, ses plateaux de yaourts ou de Boza en équilibre, bien trop lourd pour lui, criant « Boo Zaa », dans les pas de son père, vendeur ambulant. le coeur de Mevlut bat au rythme de celui d'Istambul, dont il connaît le moindre recoin et il y a une telle osmose entre eux qu'ils ne font plus qu'un.

La ville a changé durant toutes ces années, les collines se sont recouvertes de maisons construites sommairement, sans permis : on borne la nuit, on rajoute des étages de manière à rendre la destruction difficile et obtenir un permis de la mairie. On retrouve les mêmes « arrangements » avec l'électricité, les lignes sauvages…

Le statut de la femme est bien abordé : les mariages arrangés, les fugues pour pouvoir y échapper, les enfants pas toujours désirés, les difficultés de la vie de tous les jours… les personnages féminins sont très différents et ma préférence va à Rayiha qui s'épuise dans la préparation du pilaf que Mevlut va vendre dans les rues, tout en s'occupant de la maison, des filles, et dont la sagesse, le sens des réalités et la lucidité viennent contrebalancer la « naïveté » de son époux…

Orhan Pamuk décrit les coups d'état, la montée de l'intégrisme, le tremblement de terre mais ne cite et ne juge personne, c'est au lecteur de se forger son opinion. Il évoque les communautés qui ont dû fuir : les Grecs chassés de la ville en une seule nuit, ou le sort réservé au Kurdes, Alevis qu'on accuse d'avoir placé une bombe à la mosquée pour se livrer à des expéditions punitives…

Il m'a fallu une cinquantaine de pages pour bien entrer dans l'histoire et me familiariser avec les noms turcs : noms de famille mais aussi noms des quartiers d'Istambul, de certaines spécialités… et ensuite, l'immersion a été totale, je n'avais plus envie de le lâcher et je tournais les pages au ralenti pour faire durer le plaisir.

L'auteur nous facilite la tâche en nous proposant d'entrée un arbre généalogique des familles de même qu'un glossaire comprenant leurs noms et les pages les plus importantes qui leur sont consacrées ainsi qu'un récapitulatif chronologique mêlant l'histoire d'Istamboul à celle de la famille.

Je suis sortie subjuguée de cette lecture, littéralement envoûtée, tant l'écriture est belle, musicale, pleine de poésie. J'ai adoré ce roman et je pourrais en parler pendant des heures, tant les thèmes abordés sont riches et multiples. Conquise par cet écrivain, qui a reçu le Nobel en 2006, je vais continuer à explorer son oeuvre. Un seul regret, avoir attendu si longtemps…
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Petit point minuscule parmi la foule cosmopolite d'Istanbul, Mevlut arpente la ville au cours de longues marches nocturnes en criant "Boza ! Boza !".
Fuyant la misère économique de son village d'Anatolie, sa famille est arrivée dans la capitale lorsqu'il avait 9 ans pour vendre des yaourts puis de la boza et depuis il s'obstine à vendre cette boisson fermentée chaque soir, même si les clients se font rares.
Emboiter le pas de Mevlut, de 1968 à 2012, c'est avoir peur des chiens errants, peur de ne pas ramener assez d'argent pour vivre, quitter chaque jour une misérable habitation pour aller arpenter les rues d'Istanbul, pratiquer plusieurs petits métiers.
C'est une histoire universelle, quitter la campagne pour tenter d'avoir une vie meilleure, enlever une jeune fille pour l'épouser. Un peu rêveur et foncièrement honnête, sans autre ambition que de vivre une vie simple avec sa famille, Mevlut voit la ville se transformer sous ses yeux au fil des ans. Cette passionnante saga familiale, dans laquelle vie sentimentale et professionnelle s'entremêlent et font face aux évolutions politiques, sociologiques, économiques, culinaires, culturelles et religieuses du pays, est aussi un beau roman d'amour. Les vieilles traditions familiales ont la vie dure mais les femmes veulent s'émanciper, les bidonvilles comme celui où Mevlut vivait seront bientôt détruits pour laisser place à de grands immeubles, on achète des yaourts industriels plus conformes aux normes d'hygiène, les vendeurs ambulants sont chassés, la ville ne cesse d'évoluer…
La corruption règne, heureusement l'entraide familiale permet de survivre.
La narration très vivante, alternant les points de vue des différents personnages qui s'adressent directement au lecteur avec des retours en arrière, lève progressivement le voile sur les évènements au cours des multiples rebondissements de ce gros pavé qui se lit avec un grand plaisir. Orhan Pamuk nous rend tous les personnages très attachants ainsi qu'Istanbul que l'on découvre envoutante et grouillante.
Je remercie chaleureusement les Éditions Gallimard et Babelio pour la découverte de Cette chose étrange en moi.

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Cher Orhan,
J'ai dû garder un an ton livre sous les yeux, à portée de mains, comme un gosse qui garde la friandise pour la fin.
Je n'ai pas été déçu. A travers la vie de Mevlut, vendeur de Boza dans l'Istanbul qui t'a vu naître, tu as brossé 50 ans de la vie de ta cité , son évolution, sa croissance , ses contradictions. Tu en as profité pour nous parler de politique , toujours sur la pointe des pieds, sans prendre vraiment parti . Tu nous parles d'hommes qui confinent leurs femmes à la maison , ne jurent que par Allah, mais tombent du raki comme d'autres enfilent les perles. Tu nous parles des "gauchistes" , défenseurs des kurdes et de la liberté mais tu leur confères un rôle peu gratifiant dans ton pavé.
Finalement , tu fais de Mevlut ton héros. . Il semble être un peu comme toi. Il aime tout le monde modérément : Allah, le raki, la liberté des femmes ...Mais il est juste et ne veut léser personne .
Tu nous décris donc sa vie depuis son arrivée à Istanbul à 12 ans , et même un peu avant, jusqu'à ses 55 ans . Avec lui, la ville va se métamorphoser, les mentalités évoluer. Mais il y aura toujours cette hésitation entre occident et orient qui a toujours caractérisé Istanbul.
Ton roman m'est apparu comme une synthèse d'autres que j'ai pu lire . Cevdet Bey faisait lui aussi la part belle aux traditions turques et la difficulté à les faire perdurer aujourd'hui, Neige avait ce regard politique depuis Kars où tu nous amènes encore et le musée de l'innocence nous amenait déjà dans l'Istanbul des années 70 en pleine mutation .
Il y a aussi cette propension aux histoires d'amour qui pourraient être simples mais ne le sont jamais chez toi .

Il y a encore beaucoup de choses dans cette saga familiale. C'est un roman qu'il faut prendre le temps d'apprécier, tu ne vas que rarement à l'essentiel avouons le , mais dont on ressort avec un désir d'Istanbul immense, et une approche, originale certes, de l'histoire contemporaine de ce pays.

Bravo Orhan et merci. Continue à écrire de beaux romans (si tu peux les condenser un peu, c'est bien aussi !) , à soutenir les opprimés et à exhorter ton pays à reconnaitre le génocide arménien.
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Voici un roman que j'ai envie de qualifier d'exceptionnel. Ohran Pamuk a réussi à écrire, sous une forme très personnelle et géniale, une épopée poétique sur la vie des petites gens quittant leur campagne de l'est de la Turquie et sur l'évolution d'Istanbul. Il m'a fallu vaincre une certaine appréhension due au grand nombre de pages (j'ai aussi eu ce sentiment pour La montagne magique de Thomas Mann). Pourtant rien n'a été plus facile et agréable que de m'immerger dans le récit – j'aimerais même une suite... Qui mieux que Orhan Pamuk aura réussi à fixer sur le papier les évolutions d'un pays à la fascination séculaire et d'Istanbul, ville coupée en deux par la Corne d'Or, avec une partie en Europe et une autre en Asie ?

Ce livre est composé comme une symphonie avec introduction, récit d'une journée en 1982, puis en se projetant, une journée en 1994 (où Mevlut se fait voler sa montre Suisse offerte par son protecteur… Je viens tout juste de remarquer que 1994 est l'année où Erdogan devient maire d'Istanbul, début d'une ascension qui le mènera à la présidence…). Ensuite l'histoire de Mevlut, marchand de boza, se déroule sur la période 1968 à 2002. La conclusion aborde une journée de 2009 puis une autre de 2012. le récit est polyphonique, Orhan Pamuk alterne les points de vue et quand le narrateur parle, on a un petit dessin du vendeur de boza avec sa perche (boisson fermentée turque, faiblement alcoolisée).

C'est à la fois un roman d'apprentissage, un roman d'amour, une grande saga familiale avec un cadre historique précis, très documenté (et prudent... l'auteur a été qualifié de terroriste par le despote au pouvoir depuis plus de vingt ans, après l'obtention du prix Nobel de littérature en 2006. Il aurait un garde du corps en permanence...). Facile à suivre, c'est un récit de conteur comme j'aime. Côté personnages, on peut s'aider de l'arbre généalogique placé au tout début et éventuellement d'un index très complet avec pages des principales scènes où ils apparaissent. Enfin, le livre se termine par une chronologie parcourant la période de 1954 à 2012 avec les évènements historiques (coups d'état de 1960 ou 1980 par exemple et évènements internationaux majeurs tels que la guerre du golfe en 1991 ou l'attaque des tours jumelles à New-York…), ceux-ci mêlés avec les évènements familiaux liés au héros Mevlut. J'ai plutôt regretté que les mots turcs en italique ne soient pas expliqués dans des notes, cela oblige à rechercher par soi-même et coupe un peu la lecture (à la fois c'est un plus d'avoir les définitions, images, voire les recettes de toutes ces bonnes choses concernant une cuisine orientale très raffinée, souvent à l'honneur).

L'auteur donne la parole aux uns et aux autres pour relater les mêmes évènements familiaux à travers lesquels se dessinent l'histoire récente de la Turquie. le père et l'oncle de Mevlut ont quitté leur village de la province conservatrice de Konya pour s'installer à Istanbul. Ils ont vécu pauvrement en vendant de la boza et du yaourt dans la rue et en se construisant eux mêmes des maisons dans les collines non encore occupées. Installations précaires et anarchiques appelées gecekondu (signifie construits la nuit), une sorte de bidonville. Quartiers à forte population kurde et pauvre, avec des « gauchistes-communistes » souvent confrontés à des « nationalistes » organisés et influents au niveau politique, opposition entre les quartiers imaginaires (alors que tous les autres lieux sont réels) de Duttepe (famille de l'oncle Hasan) et Kültepe (famille de Melvut et son père). Mevlut va, lui aussi, vendre de la boza et du yaourt, entre autres. Je ne vais pas raconter toutes ces histoires, il faut lire ce livre où les péripéties s'enchaînent sans faiblir jusqu'à la dernière page.

J'ai pensé aux Mille et Une Nuits, aux grands romans de Tolstoï peignant si bien la Russie de son temps, aussi à aziyadé et Fantôme d'Orient de Pierre Loti. L'homme au visage d'ange de la couverture pourrait être Mevlut quand il se laisse pousser la moustache. Dans ces deux récits tout part du regard. Loti aperçoit aziyadé au balcon : « L'expression du regard était un mélange d'énergie et de naïveté ; on eut dit un regard d'enfant, tant il avait de fraîcheur et de jeunesse. » Chez Pamuk, Mevlut croise Samiha au mariage de son ami Korkut « Elle avait de grands yeux noirs, candides et profonds, d'où émanait une grande franchise. » Mevlut n'oubliera pas ses yeux, écrivant des lettres pendant trois ans à la belle entrevue ce jour fatidique.

Amoureux de la vie malgré la pauvreté, malgré les risques quotidien d'un marchand ambulant à une période où les chiens errants l'épouvante, Melvut n'est certainement pas ce garçon naïf, indécis et manipulable qu'il paraît être par moment. Il me semble au contraire très intelligent, lucide et ayant pris le parti d'être heureux sans faire de concession morale, en restant lui-même, quitte à vivre des choses difficiles. Son cousin paternel, Süleyman, est un des personnages pétri de tradition et de religion, développant ce que Kant appelait des passions tristes, un croyant et un pratiquant de façade, par calcul de vie facile et conforme à son entourage.

Ohran Pamuk a certainement mis beaucoup de lui-même dans son personnage principal qui, je dois le dire, m'a entraîné dans son sillage d'un bout à l'autre de ce magnifique roman. Il est celui qui, par son activité de marchand de rue, va au contact des gens (on l'appelle souvent dans les étages pour discuter, il découvre la loge de Son excellence où il fait un chemin spirituel personnel et sincère). A travers le vendeur de boza, l'auteur, ancien étudiant en architecture et en journalisme, observe les mutations d'Istanbul sur une quarantaine d'années, une ville passée de trois millions d'habitants (à l'arrivée de Mevlut) à treize millions (et plus de quatorze actuellement).
Déambulation à la recherche du passé, en cherchant les traces des générations anciennes dans les rues et des vieux métiers, émerveillement face aux vieilles pierres des cimetières. L'auteur cite Rousseau : « Je ne puis méditer qu'en marchant; sitôt que je m'arrête, je ne pense plus, et ma tête ne va qu'avec mes pieds. » Cette chose étrange en moi est un bien beau titre, exprimant amour et mélancolie, une intense soif de bonheur malgré la dure réalité de la vie, la peur du mensonge, la tristesse et la solitude. La réflexion sur le sens de la vie m'a plu, elle me correspond et il est curieux pour moi de dire que ce livre sur cette ville lointaine, sur cette famille exotique, est exactement le récit que j'attendais à ce moment, une littérature bienveillante et critique dans un monde en mouvement où les valeurs humanistes, malmenées et réprimées, cherchent à trouver un chemin.

Cette histoire poignante d'un homme déterminé à être heureux passe par des portraits de femmes inoubliables. Les trois soeurs, Rahiya (enlevée et épousée par Mevlut dans des conditions rocambolesques), Samiha et Vediha sont des femmes fortes dans une société patriarcale étouffante. Très bien décrites, avec des caractères affirmés, elles ont de l'énergie et du répondant, elles parviennent souvent à s'imposer. le monologue en forme d'anaphore de Vediha sur 3 pages, « Est-ce juste... », répété inlassablement et accusateur de l'ordre patriarcal, est époustouflant.
Ce livre est formidable sous tous les aspects et j'ai hâte de découvrir d'autres romans de cet auteur. Peut-être Cevdet Bey et ses fils pour vivre à la fin de l'empire et au début de la République ou bien à l'époque de la capitale ottomane dans Mon nom est rouge. Avez-vous lu cet auteur ?
*****
Lien ci-dessous pour la chronique avec photo de la couverture et lilas (introduit dans les jardins européens à la fin du XVIe siècle, depuis les jardins ottomans) ainsi qu'un titre de Cengiz özkan - Album Ah Istanbul, 2020 - parce que ce chant est beau et triste à la fois, parce que j'imagine Mevlut ou son père le chanter...
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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La vie d'un Stambouliote, un roman humain…

Que dire de ce livre si ce n'est qu'il parle vrai? Il raconte la vie d'un homme bon, qui ne bat pas sa femme et ses filles, qui veut faire un métier honnête, rendre service plutôt que faire beaucoup d'argent.

L'auteur pénètre sans complaisance dans les pensées de l'homme qui n'est pas un héros, juste un homme ordinaire avec ses faiblesses. C'est un ado qui se masturbe se culpabilise, un jeune homme qui tombe amoureux des yeux d'une femme, et plus tard, un père qui se sent jaloux de son bébé et qui sera dévasté par la mort de sa femme.

C'est aussi un vendeur ambulant de yaourt et de « boza », une boisson traditionnelle, qui se promène à travers la ville et qui assiste aux changements qui transforment sa vie et son paysage dans les dernières décennies du 20e siécle. Bientôt, le yaourt se vendra en pots à l'épicerie, les collines environnantes se couvriront des bicoques des nouveaux arrivants, puis des entrepreneurs construiront de grands édifices modernes.

Avec en toile de fond, les tensions politiques et religieuses de la société, sans oublier les dilemmes éthiques personnels et des noms à la prononciation énigmatique, c'est un livre qui fait voyager et voir les différences de culture, mais qui montre aussi les ressemblances entre nous, les humains de cette planète.
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Mevlut au beau visage enfantin quittant plein d'espoir à 12 ans l'Anatolie avec son père comme vendeur de rue à Istambul et y retrouvant son cousin Süleyman nationaliste et Ferhat, ami gauchiste.
Autre triangle jouant dans ce kaléidoscope coloré par les multiples voix qui s'expriment, les trois soeurs dont le plus joli cristal est la désirée Samiha...

En arrière plan, patiemment, Pamuk nous immerge, dur travail des vendeurs de rue alors que d'autres moins scrupuleux s'enrichissent,  enlèvement d'épouses puis réconciliation avec la famille, trafiques, clientélisme, scandales immobiliers, mafias, corruption de la police, coup d'état militaire et nettoyage des rues, hantise des meutes de chiens errants, sagesse des soufis...

« Dès lors que tu gardes ton coeur pur, tout ce que tu souhaites finit par se réaliser. »
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Mevlut a 25 ans quand, avec l'aide d'un de ses cousins, il enlève celle qui sera l'amour de sa vie. Trois ans plus tôt il avait croisé le regard d'une belle jeune femme lors d'un mariage. Pendant trois ans il va lui écrire des lettres pour lui déclarer sa flamme, sans que la destinatrice ne réponde jamais. Mais persuadé que le père s'opposera à ce que sa fille cadette épouse un vendeur de yaourts d'Istanbul, il n'a d'autres choix que de l'enlever.

Cette histoire d'amour est le fil conducteur du livre du Prix Nobel de littérature Ohran Pamuk. Au même titre que la « boza », boisson à base de produit lacté (et légèrement alcoolisée) que Mevlut vendra dans les rues stambouliotes jusqu'en 2012.

De 1969 à 2012 « Cette chose étrange en moi » nous raconte la vie de Mevlut, représentative de celle ces Anatoliens qui quittèrent la misère de leurs montagnes espérant trouver à Istanbul une vie meilleure.

Mevlut est encore un enfant quand il quitte son village d'Anatolie Centrale pour suivre son père à Istanbul. Comme beaucoup de membres de sa famille, de voisins ou de villageois. Sa mère et ses soeurs quant à elles, choisiront de rester au village.

A travers l'histoire de Mevlut c'est l'histoire d'une ville (et d'un pays) que nous voyons évoluer sur plus de 4 décennies. Sur ses pas dans les rues de la ville, grâce aux descriptions très détaillées d'Orhan Pamuk nous voyons les bidonvilles des collines qui surplombent la vieille ville se transformer, grossir, se moderniser, être progressivement englobés dans la ville. Nous vivons l'évolution de la société turque et de ces migrants de l'intérieur : la débrouille, les petits métiers qui disparaissent petit à petit, l'urbanisation croissante, l'arrivée de l'électricité et de la spéculation immobilière, les regroupements par affinité communautaire, l'entraide ou l'exploitation, les chiens errants, la vie politique ou religieuse, les traditions (Anatoliennes et Stambouliotes), l'islamisation.

Le récit commence avec un narrateur, regard extérieur, qui nous raconte le destin du personnage principal. Puis arrivent d'autres voix : celle sur père, du cousin, de la mère, de l'épouse, du meilleur ami, puis une multitude de personnages qui sont les témoins de la vie de Mevlut et qui vont s'adresser au lecteur à la première personne, livrant leurs émotions, leur version, leur vérité ou leurs mensonges. Des voix comme l'expression des antagonismes omniprésents : entre les deux familles, les deux collines, entre sunnites et alevis, entre Kurdes et grecs, entre régions, entre campagne et ville.

Les chapitres sont relativement courts. le ton simple des récits, des témoignages nous place dans une grande proximité avec les personnages. Comment ne pas aimer Mevlut, homme bon que la plupart trouvent naïf parce qu'il ne vit pas pour l'argent, qu'il se satisfait du bonheur d'une vie familiale simple, parce qu'il fuit les complications. Cette vie empreinte d'une spiritualité parfois minimaliste mais guidée par la volonté de ne nuire à personne d'un homme qui s'interroge constamment sur le bien et le mal. Chaque personnage qui s'exprime livre un peu de l'âme de ces populations qui ont construit la Turquie moderne.

Un roman prenant, touchant, émouvant, passionnant.
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"Boza ! Boza !" Tel est le cri qui parcourt les rues d'Istanbul depuis des générations, à la recherche du client. Qu'est-ce-que la boza me direz-vous. Et bien c'est une boisson traditionnelle à base de céréales fermentées qui se boit froide et qui fut longtemps vendu par des marchands ambulants avant que la modernité et ses commerces la transforment en activité sédentaire au grand regret des stanbouliotes. Et à travers ce métier, c'est toute la vie de Mavlut que nous raconte ici Orhan Pamuk dans une saga qui est aussi un très grand roman. Mavlut est au départ un jeune homme issu de la campagne qui s'installe avec son père à Istanbul pour y faire des études, gagner sa vie et envoyer de l'argent à la famille restée en Anatolie. Il y retrouvera des compatriotes et se mariera avec l'aide de l'un d'eux en enlevant la jeune fille dont il est tombé amoureux. Sauf que c'est la soeur de celle-ci qu'on lui fera épouser et avec laquelle il aura deux filles et sera très heureux, jusqu'à la mort accidentelle de la jeune femme.
Dans une histoire très riche et à multiples rebondissements, Pamuk nous décrit la vie de ces migrants très pauvres qui venaient tenter leur chance dans une capitale en pleine évolution et en pleine croissance et qui devaient s'adapter sous peine de disparaître, non sans cette nostalgie des temps anciens, représentés ici à travers la vente de la boza et des chiens errants tour à tour indifférents ou menaçants.
Les traditions familiales et les usages, la religion et la politique, les conflits familiaux et l'entraide, tout est décrit dans un style magistral dont la simplicité entraîne le lecteur dans les méandres d'une histoire et d'une ville aux multiples facettes : Istanbul.
"Mevlut saisit clairement à cet instant la vérité qu'il connaissait depuis quarante sans en avoir totalement conscience : déambuler la nuit dans les rues de la ville lui donnait l'impression de se promener dans sa propre tête. "
Et ce sont ces liens entre la ville et l'homme qui font de cette saga passionnante une histoire profondément humaine. Roman choral, les différentes interventions des personnages rendent le récit fort digeste en dépit de sa longueur.
Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette belle lecture d'été, effectuée dans le cadre de la Masse Critique.
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Dans ce roman de plus de 600 pages, le lecteur est capté par des personnages simples mais riches en enseignements. Mevlut, ce jeune vendeur de boza dans les rues d'Istanbul. La boza est une boisson "asiatique traditionnelle qu'on obtient à partir de millet fermenté, elle est d'une consistance épaisse, de couleur jaunâtre, agréablement parfumée et légèrement alcoolisée. Elle est vendue en hiver dans des échoppes du vieil Istanbul de l'époque ottomane. En 1923, année de la fondation de la République par Atatürk, les débits de boza étaient depuis longtemps fermés, victimes de la mode allemande des brasseries. Mais grâce à des marchands ambulants comme Mevlut qui vendaient cette boisson traditionnelle dans les rues, elle ne disparait jamais de la vie des Turcs. D'ailleurs à partir des années 1950, le commerce de la boza n'était plus l'apanage que des vendeurs ambulants qui déambulaient les soirs d'hiver dans les rues poussiéreuses, misérables en poussant leur cri : « bozaaa ! » nous r appelant les siècles passés et le bon vieux temps".

Mevlut né en 1957 a quitté son petit village d'Anatolie pour rejoindre son père dans l ‘immense Istanbul. Il avait 12 ans. Mevlut vient aider son père dans la vente de la boza. Mevlut est un personnage attachant : bel homme, élégant avec un visage poupin, il a toujours suscité l'affection des femmes.

Dans ce roman, on suivre pas à pas le parcours de cet homme courageux et audacieux. On va découvrir comment il a réussi à enlever sa future femme avec l'aide de son cousin. Et la méprise quand il découvre que la femme enlevée n'est pas celle qu'il aimait. Qu'importe ! Car c'est quand même avec cette femme, Rayiha, qu'il va vivre un grand amour et avec qui il va avoir deux filles.

Tour à tour marchand de boza, de yaourts, de glaces, de pilaf, Mevlut suit l'évolution de la ville et grandit avec elle. Il s'adapte aux nouveaux modes de vie, à tous ces buildings e tours qui poussent comme des champignons et changent l'image de la vie.

Mevlut et tous les personnages qui gravitent dans le roman sont là comme pour nous faire apprécier l'univers de cette ville. le personnage est attachant, son monde l'est tout autant, d'ailleurs on se laisse volontiers envoûter par cette histoire magique pleine de sensations et d'humanité. Ce roman amble retrace l'évolution à marche forcée d'une ville certes mais aussi d'un pays. Voire d'une planète où l'ancien monde est chaque jour mis à mal. "Cette chose étrange en moi" plonge assurément ses racines dans les profondeurs de la société turque, mais peut aussi être observé comme une parabole sur ces temps qui échappent aux hommes. Des hommes et des femmes justement qui luttent sans concession pour leur survie et celle des leurs. le roman peint à grands traits les soubresauts de la vie sociale et politique turque : coups d'Etat, luttes sociales, extrémisme, bouleversement urbain...

C'est une jolie leçon de vie que nous donne Orhan Pamuk à travers ce roman généreux. le lecteur quitte difficilement ce roman qui nous laisse comme un vide à la fin. Comme si on quittait un être cher. Mais à chacun de décider quel voyage mener à travers les pages de ce roman vivement recommandé
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