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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
En 2002 Orhan Pamuk a publié un roman de 546 pages dédié à son père, ou il conte sa saga familiale, son apprentissage de la vie, son éducation sentimentale, son exploration géographique d' Istanbul et la mélancolie, la tristesse qui ont jalonné ses années à la recherche de son identité !
Byzance ( VII ième siècle av J.C ) devint Constantinople puis fut incorporée à l'empire ottoman ( 1453 ) par Mehmed II pour devenir officiellement en 1930 : Istanbul sous la présidence de Mustafa Kemal Atatürk ! Et, ce dernier va occidentaliser la ville, faire d'Ankara la capitale de la Turquie moderne et accueillir de nouveaux riches avides de profits ...C'est précisément à cause de cette double culture orientale du passé et la nouvelle que Pamuk est mélancolique, triste et tente au travers de ses déambulations, de ses photos et celles d'autres amoureux d'Istanbul de retrouver la grandeur de sa ville..
Il vit avec sa famille et alliés dans la maison Pamuk mais si le grand-père a fait fortune : ses fils dont le père d'Orhan, ingénieur dilapident les biens et ils sont obligés de déménager dans un modeste appartement, de mener une vie plus simple alors que les nouveaux riches qui n'ont pas le passé prestigieux des stambouliotes d'origine se désintéressent de la partie ancienne, et délaissent les "yalt ", les " konak " en bois, n'apprécient plus comme lui les promenades le long du Bosphore, ni les "vapür" qui sillonnent le Détroit.
Il cherche à s'identifier à des écrivains célèbres qui ont aimé sa ville : tel Nerval, Gautier, Flaubert , à comprendre leur approche romantique de ce " folklore " oriental !
Orhan se cherche dans la peinture qu'il abandonnera, dans la photo en noir et blanc, puis dans ses 2 années d"école d'architecture pour se lancer dans l'écriture ! ! !
En effet, Il recevra le Prix Nobel de littérature en 2006 qui confirmera qu'il est le plus grand écrivain de culture musulmane, un homme qui s'est engagé pour la liberté d'expression, pour défendre les Kurdes massacrés et soutenir la cause Arménienne que son gouvernement ne veut pas reconnaître comme un génocide !
Un roman sombre comme le " hürzün " de Pamuk , une vie en noir et blanc comme la perception qu'il a de son enfance, de sa ville, une vie tourmentée par les disputes de ses parents, par son imagination débordante dans l'obscurité de la maison, par ses craintes et sa " fainéantise " naturelle !
L.C thématique de décembre 2022 : littérature étrangère ( hors celle de l'Europe ).
Challenge ABC 2022/2023
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Souvenirs d'une ville dit le sous-titre. Pamuk nous promène dans Istanbul, une Istanbul en grande partie disparue. Il y a l'Istanbul de son enfance, celle dont il se souvient, dans laquelle il a marché, beaucoup marché, mais aussi il y a la ville de ces photos en noir et blanc, qui ponctuent le livre, encore avant celle des dessins, celle aussi des voyageurs ou écrivains, voire des écrivains voyageurs, qui l'ont fréquentée à différentes époques, qu'elle a inspirés. Mais les souvenirs sont aussi ceux d'Orhan Pamuk, de sa famille, de l'immeuble familial…Et Istanbul fait partie intégrante de cette remémoration des couches fondatrices d'une personnalité. Nous voyons passer une ville et entrevoyons son évolutions, comme nous voyons passer des mentalités, des façons de vivre et de penser propres au milieu dont est issu l'auteur.

Un beau voyage dans le passé, nostalgique, un peu triste, mais avec une certaine délectation de la tristesse. Je n'imaginais pas Orhan Pamuk, à la seule lecture de ses romans, si porté à la mélancolie, au sentiment de perte, si solitaire aussi.

J'ai pris un plaisir fou à cette lecture, à ce voyage, vers l'ailleurs, vers une autre époque, vers l'univers intime d'un grand écrivain, qui le partage avec nous. Et il me reste encore des romans à lire, que j'aborderai forcément différemment, après avoir partagé ce moment d'intimité avec Orhan Pamuk
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On pourrait croire qu'"Istanbul" est une ode à l'ancienne capitale ottomane, la peinture d'une ville immensément riche, une apologie pour touriste préparant son futur voyage (je ne me sens pas visé…) mais c'est tout autre chose. C'est un récit autobiographique, c'est l'enfance de Pamuk, c'est l'auteur qui se peint à travers le prisme de cette ville.
Bien qu'il ne soit pas tendre envers elle, Pamuk révèle un attachement indéniable à Istanbul, et ce paradoxe fait le sel de ce récit. Car chaque description de la ville correspond à un autoportrait. Des années 1950 aux années 1970, le jeune Pamuk est marqué par le délabrement d'Istanbul et, la description des vieilles demeures ottomanes, qui disparaissent les unes après les autres, emportées par l'abandon et la négligence, font écho au piteux tableau du couple parental en plein délitement.
Issu de la bourgeoisie stambouliote, Pamuk évoque toute la superficialité de cette société turque de la deuxième moitié du XXe siècle éblouie par les lumières de l'Occident, dont la préoccupation première est de sauver les apparences. Et Istanbul se dévoile telle une vieille bourgeoise défraîchie qui, malgré le fard et le sourire de façade, ne parvient pas à cacher la tristesse de son regard. Mais Pamuk touche juste, par sa volonté de nous montrer toute la beauté de cette mélancolie.
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Ce livre de photographies et de souvenirs du prix Nobel de littérature en 2006 nous immerge dans un monde révolu, l'Istanbul d'autrefois. Hüzün, ce sentiment si particulier de perte irrémédiable devant la fuite du temps, tissé de mélancolie, d'amour éperdu pour les vestiges du passé imprègne cet album. Répété de page en page, le mot « tristesse » place l'ouvrage sous le sceau d'un spleen infini. Affleure continuellement l'idée que l'essence même d'Istanbul a été ensevelie sous la décadence, la défaite et la destruction. La décadence de la civilisation ottomane, la défaite de l'empire ottoman et la destruction d'une culture urbaine ancestrale. Mais ces termes se déclinent aussi dans l'univers personnel d'Orhan Pamuk : décadence familiale due au peu de sens des affaires d'une génération, défaite du couple des parents de l'auteur et destruction de la famille, dissoute dans les querelles.
Le récit d'Orhan Pamuk s'appuie sur un effacement du cadre, urbain comme intime. La ville disparaît dans ses fumées et brouillards, s'effrite dans ses marges, se perd sous les assauts de la modernité. de même, la famille se délite après la disparition du grand-père, fondateur de la fortune familiale. L'un des fils part aux États-Unis et ne reviendra plus dans sa patrie faute d'avoir fait son service militaire, les deux autres, en butte à une guerre larvée pour l'héritage, se lancent sans cesse dans des affaires qui périclitent assez vite. Les parents de l'auteur se querellent de plus en plus et le père est souvent absent. L'enfant Pamuk s'enfonce dans un état où la réalité se double en permanence d'une songerie nourrie de la déformation des éléments du cadre, objets, rues, immeubles, paysage.
Pamuk est souvent présenté comme un écrivain ayant renouvelé la littérature turque, l'ayant ancrée dans la modernité. Je ne partage pas cet avis. Il suit la lignée d'Orhan Veli et d'Ahmet Hamdi Tanpınar. La question qui le taraude est le changement, la confrontation entre l'ancien et le nouveau parce qu'elle se dénoue par la disparition progressive du premier au profit du second. Sa ville est constituée d'un empilement de strates, chaque nouvelle strate condamnant, gommant, effaçant la précédente. Cette vision la transforme en cimetière, car tout est amené à disparaître, ce n'est qu'une question de temps. Seule la mémoire est capable de sauver les reliquats du passé, ce qui exige une double démarche : l'inventaire et le conservatoire-musée.
L'inventaire passe par la photographie. Les photos de famille étaient omniprésentes dans l'immeuble Pamuk, décorant les murs, garnissant les meubles et le jeune Ohran s'était vu offrir un appareil photo par son père. L'ouvrage fait la part belle à ces clichés de l'intime et s'enrichit des splendides vues d'Istanbul du grand photo-reporter Ara Güler et de bien d'autres. S'esquisse alors, en parallèle, une histoire familiale en images et une archéologie du vieil Istanbul.
Quant au conservatoire-musée, il existe sous la forme d'un « Musée de l'innocence », inauguré en 2012. Il est le pendant illustratif du roman éponyme. Nous en sentons la gestation dans la description méticuleuse de vieux périodiques, d'objets du passé, le recensement nostalgique d'un mode de vie révolu.
Il y a une recherche esthétique gouvernant la recomposition du passé chez Orhan Pamuk. Elle trouve son origine dans la sensibilité artistique de l'écrivain – il avait envisagé de devenir peintre – mais plus encore dans un sentiment de perte et d'étrangeté au monde qui le conduit vers les marges : les faubourgs, les ruines, les derniers reflets d'une splendeur évanouie.
Ce livre est la vision d'un écrivain sur sa ville, une somme faite d'images, de souvenirs et de confessions, souvent attendrissantes, parfois agaçantes, car il ne peut se défaire d'un certain quant-à-soi poli dans un habitus de classe. le style de Pamuk est un peu ampoulé à mon goût, alourdi par les répétitions et une phrase qui s'étire inutilement, mais tout amoureux d'Istanbul ne pourra qu'être ému par cette tentative d'épuisement d'un lieu magique.
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Enfant, Orhan est persuadé qu'il a un double. Qu'il existe un autre Orhan dans un autre immeuble à Istanbul.

Cette intuition trouble, simple lubie de gosse, prend de l'ampleur tout au long du livre, jusqu'à atteindre l'état de paradoxe à l'échelle de la ville, où une dualité s'est installée depuis 1453 : la chute de Constantinople pour certains, la conquête d'Istanbul pour d'autres. Les Stambouliotes seraient tiraillés entre le sentiment de perte d'une culture ancienne d'une part et l'enthousiasme pour la modernité de la culture occidentale d'autre part.

“À ma naissance, Istanbul vivait les jours les plus faibles, les plus misérables, les plus sombres et les moins glorieux de ses deux mille ans d'histoire. Durant toute mon existence, le sentiment d'effondrement de l'Empire ottoman et la tristesse générée par la misère et les décombres qui recouvraient la ville ont représenté les éléments caractéristiques d'Istanbul. J'ai passé ma vie à combattre cette tristesse, ou bien à essayer de me l'approprier.”

Comme tous les habitants d'Istanbul en cette deuxième moitié du XXe siècle, Orhan a reçu le hüzün en héritage. Ce sentiment de pauvreté, de défaite et de perte suite à l'effondrement de l'empire ottoman, civilisation somptueuse désormais disparue.

Une tristesse partagée avec fierté, une mélancolie choisie, revendiquée par tous les Stambouliotes et difficilement perceptible par les étrangers qui ne perçoivent dans les ruelles de la métropole que de la couleur, des épices et des rires.

Dans ce roman-déclaration d'amour à sa ville, Orhan Pamuk nous livre les grandes inquiétudes et les certitudes définitives de l'enfance.

Tout est intensément réel : cette camarade de classe qui rejette ses cheveux derrière ses épaules, les excursions du dimanche sur les rives du Bosphore, les terribles incendies qui engloutissent les maisons en bois des anciens quartiers ottomans, l'appauvrissement progressif d'une famille bourgeoise, laïque, européanisée, mais en faillite.

Avec Orhan, on visite Istanbul autrement. On emprunte certes le regard de certains écrivains, comme Gustave Flaubert, Gérard de Nerval, tous influencés par une fascination romantique pour l'Orient.

Mais on cesse finalement de voir la ville comme quelque chose de pittoresque. On oublie la littérature et la peinture, grâce à la sensibilité d'un garçon curieux, concentré, attentif à chaque détail, attentif surtout à nous les transmettre. On assiste à la fusion entre les paysages et les sentiments, entre le triste et ardent chaos d'une ville et la naissance d'une vocation : écrivain.
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J'ai découvert cet auteur avec ce texte à la fois éminemment autobiographique et pourtant distancié. Nostalgie et tristesse des ruines du passé de cette cité et de l'adolescence de Pamuk, évocations des séjours De Nerval, Gautier et autres auteurs et de leurs ressentis de cette ville forment une trame qui peut paraître assez décousue par moments. de magnifiques photos en noir et blanc d'Istanbul des années 60 s'intercalent en vignette dans le texte. Il m'a fallu deux bonnes semaines pour m'y perdre mais les impressions laissées en valaient la peine. Je suis curieux de lire autre chose de Pamuk, probablement un roman...
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La chute des empires m'a toujours intriguée. Je suis curieuse de savoir comment les anciens empires vivent leur déchéance. le cas de l'empire ottoman me semble singulier. Il était en déclin certes depuis le début du 19eme siècle mais ce sont les turques mêmes qui l'ont achevé. Les jeunes turcs qui ont pris le pouvoir se sont empressés de l'enterrer et effacer son influence et ses traces de la culture afin de projeter la Turquie dans la modernité et l'occidentalisation.
En racontant ses souvenirs d'enfance et d'adolescence Orhan Pamuk dépeint dans ce livre sa ville Istanbul. Cette ville fascinante capitale de deux grands empires qui a connu la gloire et la déchéance. C'est la déchéance suite à la chute de l'empire ottoman et le sentiment de tristesse qui en découle et qui a marqué l'âme de la ville et de ses habitants que l'auteur retrace avec beaucoup de poésie et d'amour.
Un récit intimiste et très touchant.
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Nostalgique, Patmuk remonte à son enfance, à l'Istanbul d'alors, aux métamorphoses connues ces dernières années, aux défis à relever. Il y fait le portrait d'une ville, d'une famille et d'un écrivain en gestation.
Ville mystérieuse, ténébreuse et brillante, sous le regard mélancolique du prix Nobel de littérature.

Avis :
Déclaration d'amour à sa ville natale dans laquelle l'auteur dresse un tableau en clair-obscur de l'antique Byzance.
Lien : https://delicesdelivres.go.y..
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Istanbul, souvenirs d'une ville - Orhan Pamuk
Folio ISBN 978-2-07-035860-1 (Edition novembre 2017)


On pouvait s'en douter un peu, dans « Istanbul, souvenirs d'une ville », Orhan Pamuk évoque avant tout ses souvenirs d'enfance : « ….. toute parole relative aux qualités générales, à l'esprit ou bien à la singularité d'une ville se transforme en discours indirect sur notre propre vie, et même plus sur notre propre état mental. Il n'est pas d'autre centre de la ville que nous-mêmes » (p512).
La tristesse, la mélancolie, l'hüzün (équivalent turc du spleen, chapitre 10, p137)) imprègnent ces pages consacrées à son enfance, comme semble-t-il, une large partie de son oeuvre.
Cet état d'âme est dans un premier temps lié à la prise de conscience de la perte d'influence de la ville depuis la chute de l'empire ottoman (en 1922, conséquence indirecte de la première guerre mondiale). Celle qui à l'époque était encore Constantinople, n'est plus la deuxième Rome, elle n'est même plus la capitale du nouvel Etat turc qui devient Ankara. Depuis 1930, Constantinople s'appelle Istanbul, abandonnant ainsi son appellation d'origine latine l'associant à Constantin, pour devenir Istanbul et gommer en quelque sorte ses origines européennes.
Etre stambouliote, c'est être perpétuellement dans l'ambivalence géographique entre l'Europe et l'Asie (l'Orient). Ce tiraillement entre deux continents, entre deux cultures, entre deux rives d'une même ville est un thème majeur de cet ouvrage qui révèle le conflit intérieur que vit Orhan Pamuk, par ses origines familiales pro-occidentales et sa religion musulmane.
Il existe toutefois un élément emblématique et fédérateur (historique et géographique) de cette ville, il s'agit du Bosphore : « face au parfum de défaite, d'effondrement, d'humiliation, de tristesse et de dénuement qui pourrit insidieusement la ville, le Bosphore est profondément associé en moi aux sentiments d'attachement à la vie, d'enthousiasme de vivre et de bonheur » (p81). Lieu de l'activité marchande ou touristique, localisation d'où l'on voit, en bateau, défiler tout Istanbul, aboutissement de principales rues de la ville, le Bosphore « s'inscrit dans la continuité » (p95) et donne à Istanbul une identité que l'histoire lui refuse.
Le Bosphore, ce sont ces bateaux de tailles et de formes diverses, venant d'on ne sait d'où, pour se diriger on ne sait vers quoi. Ce sont ces « vapur » si familiers qui cabotent entre ses rives en crachotant leur noire fumée ou ces bâtiments de guerre toujours menaçants ou bien encore ces accidents spectaculaires entre bateaux qui incrustent dans la mémoire des stambouliotes un repère temporel des plus précis.
Quels que furent ces lieux d'habitation et ses activités, Orhan Pamuk a toujours eu le Bosphore en aimant de sa boussole interne. Tout l'y conduit, jamais il ne l'oublie. Cet élément liquide toujours changeant est ce qui au final est le plus stable à Istanbul, et qui donne à la ville sa plus forte identité.
Pour autant, Orhan Pamuk n'oublie pas de nous promener sur les sites les plus connus comme dans les quartiers souvent ignorés, dans les cimetières, les églises et les mosquées, sur les places, les ponts ou les ruelles encombrées, dans le dédale des rues vers les échoppes des artisans.
C'est la promesse tenue du titre de son ouvrage. Deux remarques pour autant.
Il faut se munir d'une carte pour suivre ces déambulations qu'Orhan Pamuk a pu faire dans toutes conditions et circonstances : en famille, seul avec son père ou sa mère, en allant à l'école ou en « séchant » ses cours d'architecture. Déambulations de jour comme de nuit (ces dernières étant souvent liées à un moment de révolte contre sa famille, l'université, …et bien d'autres sujets encore, c'est-à-dire la société dans son ensemble) dont il rentrait pour regagner sa chambre, épuisé, et trouver enfin le repos.
La deuxième remarque concerne un aspect graphique. L'éditeur ( ?) a retenu l'alphabet turc pour évoquer tous ces noms de lieux, de monuments … cela est probablement parfaitement exact localement, mais n'en facilite en rien la lecture et/ou la prononciation et moins encore la mémorisation, à cause des caractères absents de notre alphabet (bien sûr ce n'est qu'un détail, mais imaginerait-on la traduction d'oeuvres chinoises, japonaises qui conserverait la forme locale du nom des lieux ?).
Au-delà de ces remarques un peu secondaires, le thème majeur de cet ouvrage outre la description de la ville concerne Orhan Pamuk et la métamorphose qui le mène de sa naissance à la fin de son adolescence. On vit, en premier lieu, cette métamorphose au travers des relations qu'il a avec sa famille en général mais plus particulièrement avec son père et sa mère.
Orhan Pamuk dédie Istanbul, souvenirs d'une ville à son père qui vient de mourir lorsqu'il termine l'écriture de l'ouvrage qui se clôt par une longue évocation des conversations qu'il a avec sa mère. Tous deux, ses parents sont, sur des aspects bien différents, les pôles majeurs de sa chrysalide. Ils forment le point d'orgue qui accompagne, par touches successives, les évolutions du jeune Orhan dans cette ville qui en est le berceau. L'état d'esprit du jeune Orhan est souvent perçu en réaction au climat dans lequel évoluaient les relations de ses parents : les moments de joie lors des promenades en voiture du dimanche matin sur les rives du Bosphore, mais aussi le repliement sur soi, conséquence des disputes qui commençaient souvent à table, ou la solitude liée à la disparition, temporaire et inexpliquée, de son père ou de sa mère. Leurs mésententes, les absences répétées de ce couple du cercle familial, n'ont en rien entamé de la sincère dévotion filiale d'Orhan à l'égard de ses parents.
Et le cercle familial comportait de nombreuses autres personnes. La figure tutélaire du grand-père paternel imprègne de nombreuses réflexions. Un chapitre entier est consacré à la grand-mère paternelle devenue « la patronne » (p173) de cette grande famille après le décès de son époux. Oncles, tantes …..marquent de leur présence le tissu des relations et alliances entre les uns et les autres dans l'immeuble Pamuk. Enfin on ne peut oublier le frère ainé d'Orhan. Leurs relations sont assez classiques dans une telle fratrie : disputes et attention réciproque en sont la caractéristique.
Au travers de toutes ces personnes, et la vision que nous en restitue Orhan Pamuk, on voit vivre une famille stambouliote, aisée, pro-occidentale dans le courant du XXème siècle. L'école, Dieu et la religion, le plaisir de dessiner, les premiers émois amoureux, Orhan Pamuk les insère dans l'approfondissement de son attachement à sa ville.
Un autre thème irrigue cet ouvrage. Il s'agit « des riches ». Là aussi, Orhan Pamuk leur consacre un chapitre spécifique (p280). Pourquoi ce thème ? N'y aurait-il pas ici une correspondance entre Istanbul et la situation familiale ? Son père (et son oncle) n'a pas su perpétuer l'opulence créée par le grand-père (« qui avait réussi à constituer une fortune considérable » p 173). de son côté, la richesse d'Istanbul, son passé prestigieux sont, au cours de ce XXème siècle en train de disparaitre comme disparaissent dans les flammes les « yali » qui bordaient les rives du Bosphore.
Mais « les riches » que stigmatise Orhan Pamuk, ce sont aussi ces Stambouliotes qui veulent se distinguer des autres Turcs y compris ceux qui, venant d'autres provinces, ont pu accéder à l'aisance financière, sans être imprégnés d'Istanbul et de son passé.
Ce qui est plus surprenant encore, c'est d'associer un peu systématiquement à la richesse des origines toujours troubles, voire amorales (« derrière la fortune […], il y avait les queues et les disettes de la Seconde Guerre Mondiale » – p 284). de plus, « leur richesse n'étant fondée sur aucune activité intellectuelle, [les riches] n'avaient que peu d'intérêt pour les livres et l'étude (p284). Il y a là, sans être à exclure, une vision superficielle et réductrice de la réalité, probablement liée à la jeunesse de l'observateur. Ce n'est qu'à la faveur d'une remarque de son père que les riches sont quelque peu rétablis dans leur réalité surement plus complexe que perçue par le jeune Orhan : « …. mon père me coupait soigneusement la parole……il s'empressait de dire qu'en réalité, la femme dont je parlais avait très bon coeur, et que c'était une fille très bien intentionnée, et que je comprendrais très bien si je la connaissais mieux.»(p297).
Mais peut-être qu'Orhan Pamuk développe un tel ressentiment à l'égard des « riches » pour des raisons plus personnelles encore : « Cette inégalité (entre les riches et sa famille), je la sentais dans le fait que quelqu'un écorche le nom de mon père ou croie que mon grand-père était agriculteur de province » (p289). de même, le riche père de « Rose Noire », son premier amour, réussit à mettre fin à cette relation en envoyant sa fille poursuivre ses études en Suisse pour la séparer du « peintre bohème » qu'était à l'époque Orhan (p489).
On peut comprendre la rébellion d'une jeune pousse face à la société établie. La réduire aux seuls riches est une réaction simple, même si elle n'est pas sans fondement. Est-ce pour autant une caractéristique d'Istanbul ? Bien d'autres lieux, bien d'autres époques permettraient également de développer une telle réaction.
Terminons cette note de lecture en évoquant un des procédés littéraires retenus par Orhan Pamuk pour donner une large vision d'Istanbul. L'auteur reprend et commente de nombreux artistes, peintres, écrivains, poètes, cinéastes, photographes qui dans leur oeuvre ont traité d'Istanbul. Sans être très original, ce procédé ne manque pas d'intérêt lorsqu'il s'agit de photos d'époque qui donnent un complément visuel à la description des lieux qui en est faite. Mais on pourra aussi remarquer que ce procédé allonge considérablement le texte et peut à certains égards égarer le lecteur dans des considérations parfois éloignées du sujet ou créer des redites n'apportant pas de nuances particulières. Mais n'est-ce pas là une des caractéristiques du style de l'auteur : de longues phrases, un sujet très documenté, un intellectualisme certain ?
RB
16/08/2018

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on se baigne dans l enfance d un enfant , on vit les quartiers de la ville et la ville à travers ses yeux , ses souvenirs. un beau roman
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