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EAN : 9782267018639
188 pages
Christian Bourgois Editeur (05/10/2006)
3.75/5   2 notes
Résumé :
Ce livre n'est pas un roman d'espionnage. C'est un essai consacré à la lecture, un manuel d'utilisation pour s'orienter dans une littérature : celle de Jorge Luis Borges. Certains cherchent le Saint Graal, d'autres Moby Dick et, de façon tout aussi téméraire, cet essai suit, lui, les traces du facteur Borges pour capturer la propriété, l'empreinte digitale, la molécule qui fait que Borges est Borges et qui, libérée par la lecture, la traduction et les multiples form... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« le Facteur Borges » est un petit essai de Alan Pauls, traduit par Vincent Raynaud et publié en français (2006, Christian Bourgois Editeur 196 p.).

Comme il est écrit au quatrième de couverture « Ce livre n'est pas un roman d'espionnage. C'est un essai consacré à la lecture ». On s'en serait douté, mais avec les auteurs argentins contemporains, et donc post-Borges, on ne sait jamais. Surtout que le texte embraye aussitôt sur le Saint Graal (quel rapport avec les « Monty Python », ou Moby Dick (idem, quel rapport avec Pierre Senges et son « Achab (séqelles) »). Celà continue avec « les traces du facteur Borges pour capturer la propriété, l'empreinte digitale, la molécule qui fait que Borges est Borges ». On en déduirait presque que Rhésus est Rhésus, et que sa société a connu douze apôtres. Tout comme Alan Pauls démontre qu'il existe (ou ont existé) plusieurs Borges.
« Un essai qui montre le côté le plus ludique et le moins solennel ». Tiens, il n'y a pas de note pour ludique. Les futurs bacheliers vont encore être désorientés. Mais, il y a ensuite des # pour faire moderne ( #originalité, tradition, bibliothèque# ) pour cartographier le coeur de ses textes. Peut-être est-ce pour cela que Jorge Luis se fait naître en 1900, pour être du siècle, lui qui est né le 24 août 1899, au 840 Calle Tucuman à Buenos Aires, tout de même. Quitte à suivre ses parents en Suisse, à Lugano, puis Genève par la suite, avant de revenir à ses sources portègnes. Pa la suite, on apprendra que l'espace « Aleph » est caché parmi les eucalyptus du Barrio Palermo, entre Calle Serrano et Calle Guatemala, pas si loin que cela de Calle Tucuman, plus au Sud.
Un essai sur Jorge Luis Borges est toujours bon à prendre, même si les biographies, critiques ou essais ne manquent pas. University of Pittsburgh a d'ailleurs développé un site dédié, après avoir été hébergé par University of Aarhus, DK, puis University of Iowa. Ce site est géré par le Department of Hispanic Languages and Literature. Il collationne un journal trilingue, anglais, espagnol, français les « Variaciones Borges » ainsi qu'une importante collection d'article critiques, dans les trois langues, dont la plupart sont accessibles sous format pdf. le tout est disponible dans leur boutique en ligne et ils peuvent être contactés à l'adresse mail suivante borges@pitt.edu. Si l'oeuvre écrite de Borges est abondante, elle est disponible à la Bibliothèque de la Pléiade, sous forme d'un joli coffret cartonné jaune et noir, qui contient les deux tomes des « Oeuvres Complètes » (2016, Gallimard, La Pléiade, 3440 p.). Ce coffret pourrait représenter l'édition définitive, si Borges lui-même n'avait écrit que « l'idée de texte définitif ne relève que de la religion ou de la fatigue ».
Pour revenir au « Facteur Borges », Alan Pauls donne un bon résumé de la biographie de Borges (1899-1986). Ce petit essai de presque deux cents pages est bien écrit, avec énormément de notes de bas de pages, qui explicitent, soit des termes purement argentins, soit des évènements spécifiques ou historiques. le livre est organisé selon neuf chapitres, d'une vingtaine de pages chacun. Il n'est pas évident de faire une critique d'une biographie, sans faire de la redite, ni être accusé de spoiling.
Tout commence par le commencement avec « Un classique précoce ». C'est la jeunesse de Borges, son épisode de la naissance décalée, puis son retour à Buenos Aires. Son désir d'être et de faire partie de l'avant-garde. Il insiste particulièrement sur sa jeunesse et sa volonté de s'inscrire en termes d'auteur argentin « criollo », c'est-à-dire aux racines dans le passé historique du pays, où il a vécu, à son éducation trilingue, anglais, espagnol, portugais, de par ses parents.
Il revient tout d'abord sur l'épisode de sa naissance et sa volonté d'apparaitre comme étant du vingtième siècle, et non pas des années 1800 et quelques. Coquetterie qu'il aura dans les années 1926-27, auquel moment aussi il détruit deux pamphlets consacrés à sa ville Buenos Aires. Par contre, à son retour au pays, il va tacher de se montrer presque plus argentin que ses compatriotes. Il va pour cela farcir ses textes de néologismes typiques de Buenos Aires. Des mots comme « cordobesada, bochinchera, bondâ, incredulidâ, esplicable ». Mots qu'il invente, suggérant que « écrire consiste à inventer des détours précieux, des circonlocutions, des déguisements qui surprennent.
Il est surprenant de faire ici le parallèle avec James Joyce à la même époque. Ce dernier est alors, en famille, à Pola (1905), puis à Trieste, où il obtient un poste d'enseignant en anglais à l'école Berlitz. A Pola, ville navale actuellement en Croatie, sur la côte Adriatique, Joyce enseigne l'anglais à des officiers de la marine autrichienne. Il y restera jusqu'à la guerre où il partira pour Zurich. Cependant, ce passé triestin le suivra, jusque vers 1920, quand la famille part pour Paris. C'est là que Joyce fait la connaissance d'Ettore Schmit qui écrira plus tard sous le nom de Italo Svevo. Il s'inspire de son ami pour créer Leopold Bloom dans « Ulysse ». Livia, la femme de Svevo, nourrira le personnage d'Anna Livia Plurabelle dans « Finnegans Wake », notamment sa très longue chevelure que Joyce compare à la rivière Liffey de Dublin. de cette époque, date son goût pour Trieste. Il apprend à parler le dialecte triestin, fait qu'il partage avec sa fille préférée Lucia. Souvent dans sa correspondance avec elle, les mots en triestin servent de « code » ou complicité entre le père et la fille.
On en arrive à « Des livres comme armes ». L'Argentine des années 20-30 est en pleine évolution. C'est la période de l'immigration massive des européens « dont les premiers écrivains professionnels portent déjà des noms de famille espagnols ou italiens ». le jeune Borges, lui insiste sur son passé argentin. de par sa mère, Leonor Acevedo, c'est une lignée militaire. « Je descends de Juan de Garay et d'Itala ». Il en rajoute peut-être un peu lorsqu'il prétend « J'ai des ancêtres parmi les premiers Espagnols qui arrivèrent ici ».
« L'autre lignée est paternelle et elle est fondamentalement intellectuelle, livresque et anglophone ». Un père avocat et anarchiste, disciple de Spencer, anglophone pur et dur. Mais, comme le remarque Ricardo Piglia, « ce que possède l'un des côtés manque à l'autre ».
Ses tout premiers textes sont centrés sur Buenos Aires avec « Ferveur de Buenos Aires », d'ailleurs dédiés à sa mère « A Leonor Acevedo de Borges ». Puis ce sera « Evaristo Carriego » dans lequel il décrit Palermo, le quartier chaud de Buenos Aires au début du siècle. C'est le monde de la milonga, des petites frappes avec les rixes à coups de couteaux, les maisons de passe et les prostituées tuberculeuses. Un peu plus tard, au début des années 50, ce sera l'époque de la tradition « gauchesque », avec la célébration du « Martin Fierro » de José Hernandez. Cependant, cela ne suffit pas à Borges. Il rajoute au texte initial un texte « La Fin », paru dans « Fictions » qu'il définit « non pas comme un emplâtre, mais comme un bon rajout ».
La poésie « gauchesque » n'était pas une poésie écrite par des gauchos, mais plus généralement par des écrivains urbains instruits qui adoptaient le vers de huit syllabes des « payadas » (ballades) rurales, mais en y fourrant des expressions folkloriques et des récits de la vie quotidienne. Borges, au contraire, estimait que ces expressions n'avaient pas de place dans les « payadas » qui devaient rester sérieuses. Seul à ses yeux, José Hernández (1834-1886) l'auteur de « Martín Fierro » était l'un des rares poètes gauchesques à avoir vécu en tant que gaucho.
À cet égard, Borges distingue la poésie « heureuse et vaillante » de Hilario Ascasubi (1807-1875) qu'il oppose à la lamentation tragique d'Hernández. Borges reconnait en Ascasubi un soldat avec une vaste expérience du combat et qui a décrit l'invasion indienne de la province de Buenos Aires, bien qu'il n'en ait pas été témoin. Il estime cependant son travail, parfois autobiographique. En effet, Ascasubi est né à l'arrière d'une charrette tirée par des chevaux pendant un orage, alors que sa mère se rendait à un mariage à Buenos Aires. On lui doit Santos Vega ou los mellizos de la Flor » publié en 1851, réimprimé depuis (2019, Wentworth Press, 480 p.). le roman narre l'histoire de ntos Vega, un gaucho argentin mythique. Invincible « payador » qui a même vaincu la Diable, déguisé en « payador Juan sin Ropa »
Enfin, le troisième poète de la lignée gauchesque est Estanislao del Campo (1834-1880). Né à Buenos Aires dans une famille unitarienne. Ces derniers favorisaient un gouvernement central fort plutôt qu'une fédération. On lui doit un poème satirique « Fausto » (1866) qui décrit les impressions d'un gaucho qui va voir l'opéra « Faust » de Charles Gounod, croyant que les événements se sont réellement produits.
On est encore dans la jeunesse de Borges, mais tout reste dans la « Politique de la pudeur ». En 1925, il encense encore abondamment le côté « criollo ». « La nature espagnole s'offre à nous en tant que véhémence pure : on dirait qu'en s'installant dans la pampa elle s'est diluée et perdue. La manière d'en parler est devenue plus trainante, la platitude des horizons successifs a limité les ambitions », écrit-il dans « Quejas de todo criollo ». Il cultive de fait cette couleur locale. Cependant, il ne se met pas à la place du peuple. « le peuple n'a pas besoin de prouver qu'il est ce qui est – mais quelqu'un qui entend prendre sa place »
Pour mieux faire valoir « le parler argentin », c'est alors qu'il achète deux dictionnaires d'argentinismes, dont il se sert pour écrire « maderjon, espaldaña, estaca pampa ». Mais c'est aussi pour lui l'occasion, non plus d'écrire, mais de parler. Sa cécité commence à se développer. Et il est vrai que, pour beaucoup, Borges, surtout à la fin de sa vie, c'est une voix plutôt qu'un texte. Il faut lire « L'homme au coin du mur rose », paru dans « Histoire Naturelle de l'Infamie », avec sa scène de duel au couteau entre Francisco Real, dit « le Corralero » et Rosendo Juarez, dit « le Cogneux ».
« Chaque fois qu'un livre est lu ou relu, il se passe quelque chose avec ce livre ». C'est le constat de Borges. Alan Pauls traduit cette phrase au début de « Petite écriture » en « Qu'est-ce qui peut être suffisamment intense pour qu'un écrivain décrète que lire est un art plus élevé qu'écrire ». Cette dernière assertion étant reprise de « Eloge de l'Ombre ».
On en arrive au gros morceau de l'essai, avec un titre qui en dit long « Danger : bibliothèque ». On sait que Borges a été élevé dans la bibliothèque d son père, en Suisse. Borges est un lecteur très précoce. Il remplace le monde par des livres. Tout juste sorti de l'école, il consulte son ophtalmologiste, qui lui conseille de ménager ses yeux s'il ne veut pas accélérer la détérioration qui commence à les menacer. Aussitôt sorti de chez l'ophtalmologiste, il prend un tramway, rentre chez lui. Puis il se met à lire « La Divine Comédie ». La lumière est celle de sept heures du soir en Suisse.
A soixante-dix ans, Borges assure avoir oublié la plupart des visages de son enfance à cause de sa mauvaise vue, mais il garde un souvenir très net de bien des illustrations de l « Encyclopedia » de Chambers et de la « Britannica ».
La bibliothèque telle que la conçoit Borges, devient alors un labyrinthe un peu comme ces maisons avec escaliers de M.C. Escher (1898-1972). Même si ces idées sont un peu postérieures à Borges, ces idées d'auto-référence et de boucles étranges, forment des structures, peu probables dans la nature, mais fortement spectaculaires. Cela aboutira à « La bibliothèque totale » (1904), puis à « La bibliothèque de Babel » (944), publié dans « Fictions ».
On sait que ce concept a donné lieu au site « Library of Babel » afin de simuler partiellement la bibliothèque imaginée par Borges. L'algorithme lié à ce site permet de générer un livre de 410 pages avec 3200 caractères par page, par simple permutation des 26 lettres de l'alphabet, de la virgule, de l'espace et du point. Qu'importe le sens. Cela correspond au paradoxe du singe savant. Il s'agit d'un théorème selon lequel un singe qui tape indéfiniment et au hasard sur le clavier d'une machine à écrire pourra « presque sûrement » écrire un texte donné. Toujours à propos des bibliothèques. « Tout est déjà écrit : le monde a la structure d'une encyclopédie, d'une bibliothèque, d'une archive ». Alan Pauls raconte à merveille ceci : Borges ne consultait pas les encyclopédies, il les lisait. « Si tout est écrit, il est temps de faire autre chose. Ou plutôt, il est temps de changer le sens du faire en littérature. Passer du faire dans au faire avec ».

Puis, Alan Pauls passe à la question de la science-fiction, toujours par l'intermédiaire des bibliothèques. Après l'« Histoire universelle de l'infamie » (1936), Borges publie la série de « Tlön, Uqbar et Orbis Tertius » (1940-47). D'après une obscure encyclopédie, « The Anglo-American Cyclopedia », il existerait un monde différent nommé Uqbar. C'est une découverte que Borges fait après un diner avec Bioy Caceres, dans « une région de l'Irak ou de l'Asie Mineure ». La raison en est que pour les gnostiques anciens « les miroirs et la paternité sont abominables parce qu'ils multiplient les objets », résultat « l'univers visible est une illusion ». Pour déterminer son existence, le narrateur doit passer par un labyrinthe. « La littérature d'Uqbar [...] ne faisait jamais référence à la réalité, mais aux deux régions imaginaires de Mlajnas et de Tlön ». de même, en étudiant les langues de Tlön, on en vient à la question de savoir comment le langage pourrait avoir une emprise sur les pensées. C'est un thème récurrent chez Borges, mais abordé ici par la science-fiction. Donc cela dépasse « la simple identité entre livre et monde ». Pour vérifier cette hypothèse, les deux compères vont à la Bibliothèque Nationale, et « c'est en vain que nous fatiguâmes atlas, catalogues, annuaires de sociétés géographiques, mémoires de voyageurs et d'historien : personne n'était jamais allé à Uqbar ». Fin de la recherche, et fin du rêve, mais l'histoire est jolie. Les deux chercheurs discutent alors de « la réalisation d'un roman à la première personne, dont le narrateur omettrait ou défigurerait les faits et tomberait dans diverses contradictions ».
Autre clé que Alan Pauls suggère, c'est la reprise de thèmes ou sujets anciens, sous forme de « Deuxième main ». Non pas qu'il accuse formellement Borges « de vice (paresse) ou de délit (plagiat) », mais il prétend que ce fait Borges est de la « littérature parasitaire », ceci en prenant comme exemple le fameux Pierre Ménard qui s'est mis en tête de réécrire le « Quichotte ». Ouvrage considérable, mais Borges a bien poursuivi le « Martin Fierro », dans la même optique. Il ne faut donc pas s'étonner si le manuscrit final de Pierre Ménard ait été perdu, donc ne soit pas identifiable. « Copier Borges est un jeu d'enfant ; ce qui est impossible, toujours, c'est de cacher la copie ». Puis vient la phrase qui refroidit l'apprenti copieur. « Ainsi, l'imitabilité de Borges est à la fois le facteur qui induit l'imitation et celui qui frustre, ou ridiculise, toute tentative de l'imiter ; c'est le poison et le remède, le piège et la délivrance, la promesse et la déception ».
Vient à ce propos de la littérature parasitaire, une petite digression sur le bilinguisme, chose qui était naturelle, voire multilinguisme chez Borges. Selon Pauls, le multilinguisme entrainerait « la formation d'une
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Marcher est une opération multiple : c'est à la fois une manière de lire par la marche les signes d'une ville inconnue, une manière de l'occuper physiquement et une manière de réinscrire sur le plan de la ville réelle - la Buenos Aires des années vingt - le tracé d'une ville qui s'est évanouie dans le passé.
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le Style Camp de Susan Sontag Traduit de l'anglais (États-Unis) par Guy Durand
le Passé, d'Alan Pauls Traduit de l'espagnol (Argentine) par André Gabastou.
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