Charles Péguy pas poli du tout
L’œuvre de Péguy, ce sont les «Cahiers»: aussi bien ce qu’il y a publié, «toutes ces enquêtes, rappelle Plenel, qui sont ce qu’il appelle du “ journalisme de renseignement ”» (comme Mediapart, en somme…), que c’est ce qu’il y a écrit, dans son style inimitable. Son incroyable goût des mots, la beauté qu’il y voit. Leur souplesse, leur précision, leur bénévolence. (Son christianisme est païen, parce que païen, en latin, veut dire paysan, et qu’il tient pour l’homme de la terre, du pays. La Beauce et la Brie lui importent infiniment plus que Rome.)
Passer de chaire à chair, comment mieux dire l’incarnation du verbe? Et jusque dans les lettres dont les mots sont formés: ne voit-il pas dans les deux jambages du H de Hugo les deux tours de Notre-Dame de Paris, son roman? Francis Ponge n’est pas loin (il n’est jamais loin). Son amour de la répétition, qui remet côté à côte des mots identiques dans une spirale, où leur sens tournoie, toujours semblable et pourtant décalé: «Quand nous reverrons-nous? Et nous reverrons-nous?», demande Jeanne à sa «Meuse endormeuse».
Ses litanies, ses listes interminables, interminablement remâchées, avec leurs cascades de points-virgules, et qui sont comme des méditations tourbillonnantes et obsédées. Il ne veut pas du «beau style», qui fait du mal à la langue, l’empoisonne au moins autant que la faute; les images et les métaphores, il n’en veut pas; Péguy n’est pas poli du tout, il est rugueux, invente des mots quand ils n’existent pas.
Le langage est au cœur de son œuvre, mais le langage comme action. Et s’il répète, redit, recommence sans jamais rien retirer à ses brouillons successifs (encore une fois: comme Ponge), c’est qu’il enfonce son clou, qu’il redonne le même coup de marteau – mais le clou entre dans le bois, à chaque fois plus profondément. Il a foi en son clou: ses redites, c’est un chapelet de coups de marteau.
Même pamphlétaire, il cherche son mot, et avec quelle violence ! Et quel esprit ! Comme s’il avait tété Saint-Simon, La Fontaine, Retz, Voltaire, tous ces Français redoutables, comme si c’était la France, dans ce qu’elle a de plus coléreux, d’impérieux, de sûr d’elle-même et de sa vérité, de sa «pérennité, pour ne pas dire son éternité» (Bayrou), qui coulait dans ses veines. Il y a de quoi être insupportable.
Ce guerrier est mobilisé en août 14. Il tombe au front, frappé au front, pour parler comme lui, le 5 septembre. Même la guerre s’est débarrassée de ce gêneur au plus vite.
Suarès : « Nul ne crie contre l’Enfer. Péguy eût parlé, il eût poussé son cri. Il n’est pas là, et il n’y a personne.» Depuis Péguy et Suarès, beaucoup ont crié. Et c’est comme s’ils étaient restés muets.
Jacques Drillon
Oeuvres poétiques et dramatiques, par Charles Péguy,
Gallimard, Pléiade, sous la direction de Claire Daudin
(à paraître le 18 septembre 2014).
MAITRE FRANCOIS BRASSET
– Qu'est-ce qui fait le plus d'effet? dans tout ça, maître Mauger.
MAUGER LE PARMENTIER
– On ne peut pas dire, maître François, parce que c'est difficile à comparer. .... Et puis ça dépend des personnes. .... Enfin, avec le brodequin, la souffrance est plus pénétrante, plus entrante, plus fausse, plus faussante; elle porte mieux au cœur; et surtout on a mieux la force de la sentir. .... Avec l'eau, la souffrance est plus large, plus envahissante, plus troublante; c'est à peu près comme de se noyer, seulement on peut respirer, après chaque fois.
MAITRE FRANCOIS BRASSET
– C'est bien intéressant, tout ça.
In: "Jeanne d'Arc, Drame en trois pièces" (1898)
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Quel petit livre est un grand et formidable réquisitoire contre l'argent ? Une analyse au scalpel de la liberté dont nous prive l'appât du gain… ?
« L'argent » de Charles Péguy, c'est à lire en poche chez Allia.