J'ai trouvé ce roman atypique dans la liste des oeuvres de Pelecanos, auteur important dans le genre polar. Je pense à «
Une balade dans la nuit », «
Red fury » ou «
Tout se paye ». Il y a beaucoup d'action mais l'étude psychologique, la trajectoire des uns et des autres, sont aussi bien plus présentes. Comment aborder une sortie de prison ? Qu'est-ce qu'une vie réussie ? Est-ce l'accumulation de biens, d'argent ? Et même cette question rarement abordée dans le roman noir et les thrillers : quel est le rôle de la littérature dans tout cela ?
On est à Washington, avec ses quartiers, ses noms de rue. Cela m'évoque le Bergen omniprésent de Gunaar
Staalesen. Alors forcément on a l'impression de ne pas profiter à plein de cet aspect si on ne connaît pas cette ville, mais le cadre est là et fait partie totalement du récit, tout comme les marques de voitures, les références musicales et même ici, les références littéraires. C'est la signature Pelecanos, ce qui permet aussi de comprendre l'évolution de l'auteur en parallèle aux changements de cette mégapole de Washington.
Je lis cet auteur depuis un bon moment et je trouve une évolution intéressante dans sa production. Ses enquêteurs de la magnifique série entre 2002 et 2015,
Derek Strange et Terry Quinn, étaient des justes, l'opposition était tranchée avec les délinquants et les criminels, tout comme l'opposition entre eux, l'un blanc, l'autre noir. Rien de tout cela ici, Phil Ornazian est un enquêteur privé, faisant appel à son ami Ward Bonds, un ancien militaire, pour des chantages, des braquages et autres coups tordus par goût de l'argent et de la violence « pour soulager des criminels de leur fortune mal acquise. » Ils gardent bonne conscience en prenant pour cibles des proxénètes, des suprématistes blancs et néonazis et en redonnant une bonne partie des gains aux victimes. Difficile ici d'attribuer une couleur de peau aux uns et aux autres. Cela m'a plu. Pourquoi définirait-on un individu immédiatement par ce type de caractéristique ?
George Pelecanos définit d'abord
Michael Hudson par son parcours chaotique avec un passage par la case prison et la passion qu'il se découvre pour la lecture, aidé en cela par Anna, une bibliothécaire sachant écouter et proposer les bons livres aux prisonniers. Après sa couleur de peau est peut-être noire... Je n'y ai pas pris attention car cela n'est pas important par rapport à ce qu'il vit. Washington est une énorme ville, avec une population métissée. le temps travaille, lentement certes, à brouiller ces repères idiots et à réduire, souhait personnel, les racistes de tout poil.
Michael Hudson est en prison pour vol, il attend son procès avec à la clé plusieurs années de détention. Il se découvre, grâce à Anna, l'animatrice du club de lecture, une passion pour les livres. Et puis, tout d'un coup il est libre comme l'air – le titre original est « The man who came updown », pour les prisonniers revenir updown c'est sortir de prison –. Enfin, pas encore car Phil Ornazian qui l'a fait sortir, d'une façon très personnelle, va vite lui faire comprendre qu'il lui faut payer sa dette. Michael cherche du travail, organise sa nouvelle vie et ne veut plus décevoir sa mère. Il a une courte liaison avec Carla Thomas qui vit seule avec sa fille Alisha, mais il comprend qu'il lui faudra du temps pour se reconstruire.
La violence est du côté des hommes, encore et toujours, rien n'a vraiment changé mais les femmes occupent une grande place à la marge de celle-ci, dans la vie familiale et sociale. Une violence enseignée, vécue dans la police, à l'armée et dans ces guerres incessantes des Etats-Unis au Vietnam, en Irak, en Afghanistan... La situation des femmes – bien plus présentes dans ce tome – est autre, elle est volonté de maîtriser leur vie, de préserver leur couple, leur famille. Anna est jeune, elle construit sa relation avec son mari, Rick. Elle se pose la question de savoir si elle a fait le bon choix alors qu'elle ressent une forte attirance pour Michael.
Quand
George Pelecanos fait dire ceci à Anna, c'est peut-être de lui-même qu'il parle :
George Pelecanos a débuté sa carrière de romancier en 1996. D'origine grecque, il est né et a grandi dans un quartier ouvrier de Washington. Il fait des études de cinéma à l'université du Maryland et vit de petits boulots. Il est un des grands auteurs de « romans noirs à l'américaine », avec une forte dose de critique sociale. «
Tout se paye » écrit en 2002 marquait un tournant dans sa carrière, avec un retour au cinéma en étant scénariste (The Wire notamment), producteur et même réalisateur de séries et de films, essentiellement pour la télévision. « A peine libéré » arrive après une pause de plusieurs années. Visiblement l'auteur explore de nouvelles manières d'articuler le récit, de quoi dérouter certains lecteurs. Quant à moi, aucune déception, bien au contraire.
George Pelecanos traduit dans ses romans l'évolution de sa ville, Washington, suivie sur des dizaines d'années. Il intègre son vécu puisqu'il intervient lui-même dans des prisons pour animer des clubs de lecture ! L'auteur construit son oeuvre au fil des ans. A lire et à mettre en perspective avec ses autres livres plus anciens. Ça vaut la peine !
Un polar où Pelecanos semble faire sienne cette citation d'
Aimé Césaire : « Je définis la culture ainsi : c'est tout ce que les hommes ont imaginé pour façonner le monde, pour s'accommoder du monde et pour le rendre digne de l'homme. »
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Si cette chronique vous a plu, vous pouvez la retrouver avec ses illustrations sur le blog Bibliofeel :
Photo de couverture personnelle, extrait de l'album de Erykah Badu cité dans le texte et vidéo d'un titre d'
Anthony Hamilton, chanteur soul écouté par la mère de Michael dans sa cuisine en préparant le dîner...
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