Thomas TRYON est un maître du fantastique de la suggestion.
Dans ses ouvrages - et spécialement dans celui-ci, le premier et le plus célèbre -, nul "gros effet adrénergique" à la Stephen King, mais plutôt quelque chose d'infiniment rassurant et inquiétant à la fois : cela nous tire donc plutôt du côté d'E.-T.-A. HOFFMANN (dont je ne connais que "L'homme de sable", extraordinaire nouvelle dont la chute nous fait aborder de plain-pied les territoires de la folie) ; on pense aussi au Claude SEIGNOLLE de "La brume ne se lèvera plus", du "Gâloup" ou de "La Malvenue"... et bien sûr au classicisme novateur de Richard MATHESON pour "Je suis une légende" (I am Legend, 1954) ou encore pour son fascinant - et également unique dans l'histoire littéraire - "Le jeune homme, la mort et le temps" (Bid Time return, 1975).
Bref, nous voici du côté de la Littérature qui dure...
Dans le plus célèbre livre de Matheson ("I am Legend" fut maintes fois adapté au cinéma), la menace "vampirique" dégénérescente est totalement extérieure quand dans "The Other", elle est - comme nous l'apprendrons - tout intérieure...
D'abord dans ce "Paradis de l'enfance" qu'est l'été dans les années trente en Nouvelle-Angleterre, il y a ce bon Niles... "Enfant de la nature", sorte d'ange blond pour sa mère et sa grand-mère.
Niles est malheureusement pourvu d'un frère facétieux, lui aussi "charmeur" : Holland, son jumeau... lui aussi charmeur mais disons "un peu plus facétieux". N'aime-t-il pas faire le mal, "juste pour voir" ? Holland le "maléfique"...
On sait depuis le "Psycho" de Robert BLOCH (adapté brillamment au cinéma par Alfred HITCHCOCK) qu'il est impératif de "rassembler les morceaux épars".
Car nous entrons peu à peu dans la tête de Méduse du "Mister Hyde" de Robert-Louis STEVENSON... de "Hyde" enfant, si l'on peut dire : Mister Holland.
Robert MULLIGAN qui a pu lire dès 1971 le roman de Th. Tryon sur épreuves a réalisé en 1972 un film magnifique, en s'éloignant très peu du récit du talentueux "conteur" qu'est devenu l'ancien acteur - rejoignant ainsi - dans sa magie propre - le climat d'inquiétante étrangeté créé par le romancier.
J'ai parlé de "l'art du conteur" : on n'est pas près non plus d'oublier les taches au plafond "qui prennent des formes étranges" : spectacle mouvant et coloré que Niles, devenu adulte, contemple jour après jour dans l'"institution" où il est enfermé - sans doute pour le restant de son existence...
Parfois deux font un.
Et l'on repense évidemment aujourd'hui au film labyrinthique - et parfait - "Spider" (2002) de David CRONENBERG mais aussi au non moins formidable "Two Sisters" [ 장화 홍련 ] de Kim JEE-WOON (Corée du Sud, 2003)...
Thomas TRYON confirmera avec "Harvest Home" (1973, "La fête du maïs"), "Lady" (1974) et "Crowned Heads" (1976, "Fedora") son talent de romancier de l'étrangeté, la subjectivité et l'insularité : chacun d'entre nous ne voit-il pas "le monde" tel qu'il le croit... ?
"L'Autre" (celui que nous ne sommes pas) reste donc à chacun un complet mystère - et sans doute est-ce plus vivable pour nous ainsi.
Labyrinthe mental et écriture judicieusement lente (car pourquoi nous faudrait-il si être pressé de "savoir" ?).
Que continuent donc de vivre dans l'ombre les chantres discrets du Fantastique ! Thomas Tryon - acteur puis romancier - a vécu aux Etats-Unis de 1926 à 1991. Et son oeuvre n'est sans doute pas si "mineure" qu'on veut bien le croire...
PS : la 4ème de couverture de son ultime roman "The Night of the Moonbow" (1989) - "La nuit de l'arc de lune" traduit et publié en France (coll. "J'ai lu") en France en 1991 (année de la disparition du romancier), nous apprend que "The Other", "devenu un énorme best -seller (...) figure maintenant au programme des lycées et universités aux Etats-Unis."
Signalons enfin la publication posthume en 1995 aux U.S.A. de son roman "Night Magic", traduit et publié en France en 1997 sous le titre "Noire Magie" (Presses Pocket, collection "terreur").
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