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Citations sur Les choses : Une histoire des années soixante (148)

Ils rêvaient d'abandonner, de tout lâcher, de partir à l'aventure. Ils rêvaient de repartir à zéro, de tout recommencer sur de nouvelles bases. Ils rêvaient de rupture et d'adieu.
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L'Express était sans doute l'hebdomadaire dont faisaient la plus grand cas. Ils ne l'aimaient guère, à vrai dire, mais ils l'achetaient, ou, en tout cas, l’empruntant chez l'un ou chez l'autre, le lisaient régulièrement, et même, ils l'avouaient, ils en conservaient fréquemment de vieux numéros. Il leur arrivait plus que souvent de n'être pas d'accord avec sa ligne politique (un jour de saine colère, ils avaient écrit un court pamphlet sur "le style du Lieutenant") et ils préféraient de loin les analyses du Monde, auquel ils étaient unanimement fidèles, ou même les prises de position de Libération, qu'ils avaient tendance à trouver sympathique. Mais l'Express, et lui seul, correspondait à leur art de vivre; ils retrouvaient en lui, chaque semaine, même s'ils pouvaient à bon droit les juger travesties et dénaturées, les préoccupations les plus courantes de leur vie de tous les jours. Il n'était pas rare qu'ils s'en scandalisent. Car, vraiment, en face de ce style où régnaient la fausse distance, les sous-entendus, les mépris cachés, les envies mal digérées, les faux enthousiasmes, les appels du pied, les clin d’œil, en face de cette foire publicitaire qui était tout l'Express - sa fin et non son moyen, son aspect le plus nécessaire -, en face de ces petits détails qui changent tout, de ces petits quelque chose de pas cher et de vraiment amusant, en face de ces hommes d'affaires qui comprenaient les vrais problèmes, de ces techniciens qui savaient de quoi ils parlaient et qui le faisaient bien sentir, de ces penseurs audacieux qui, la pipe à la bouche, mettaient enfin au monde le vingtième siècle, en face, en un mot, de cette assemblé de responsables, réunis chaque semaine en forum ou en table ronde, dont le sourire béat donnait à penser qu'ils tenaient encore dans leur main droite les clés d'or des lavabos directoriaux, ils songeaient, immanquablement, répétant le pas très bon jeu de mots qui ouvrait leur pamphlet, qu'il n'était pas certain que l'Express fût un journal de gauche, mais qu'il était sans aucun doute possible un journal sinistre. C'était d'ailleurs faux, ils le savaient très bien, mais cela les réconfortait.
Ils ne s'en cachaient pas: ils étaient des gens pour l'Express. Ils avaient besoin, sans doute, que leur liberté, leur intelligence, leur gaieté, leur jeunesse soient, en tout temps, en tous lieux, convenablement signifiées. Ils le laissaient les prendre en charge, parce que c'était le plus facile, parce que le mépris même qu'ils éprouvaient pour lui les justifiait. Et la violence de leurs réactions n'avait d'égale que leur sujétion: ils feuilletaient le journal en maugréant, ils le froissaient, ils le rejetaient loin d'eux. Ils n'en finissaient plus parfois de s'extasier sur son ignominie. Maisils le lisaient, c'est un fait, ils s'en imprégnaient.
Où auraient-ils pu trouver plus exact reflet de leurs goûts, de leurs désirs? N'étaient-ils pas jeunes? N'étaient-ils pas riches, modérément? L'Express leur offrait tous les signes du confort: les gros peignoirs de bain, les démystifications brillantes, les plages à la mode, la cuisine exotique, les trucs utiles, les analyses intelligentes, le secret des dieux, les petits trous pas chers, les différents sons de cloche, les idées neuves, les petites robes, les plats surgelés, les détails élégants, les scandales bon ton, les conseils de dernière minute.
Ils rêvaient à mi-voix, de divans Chesterfield. L'Express y rêvait avec eux. Ils passaient une grande partie de leurs vacances à courir les ventes de campagne; ils y acquéraient à bon compte des étains, des chaises paillées, des verres qui invitaient à boire, des couteaux à manche de corne, des écuelles patinées dont ils faisaient des cendriers précieux. De toutes ces choses, ils en étaient sûrs, l'Express avait parlé, ou allait parler.
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Dans le monde qui était le leur, il était presque de règle de désirer toujours plus qu'on ne pouvant acquérir. (p50)
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Leur vie était comme une trop longue habitude, comme un ennui presque serein : une vie sans rien.
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Cette absence de simplicité, de lucidité presque, était caractéristique. L'aisance - c'est sans doute ceci qui était le plus grave - leur faisait cruellement défaut. Non pas l'aisance matérielle, objective, mais une certaine désinvolture, une certaine décontraction. Ils avaient tendance à être excités, crispés, avides, presque jaloux. Leur amour du bien-être, du mieux-être, se traduisait le plus souvent par un prosélytisme bête: alors ils discouraient longtemps, eux et leurs amis, sur le génie d'une pipe ou d'une table basse, ils en faisaient des objets d'art, des pièces de musée. Ils s'enthousiasmaient pour une valise - ces valises minuscules, extraordinairement plates, en cuir noir légèrement grenu, que l'ont voit en vitrine dans les magasins de la Madeleine, et qui semblaient concentrer en elles tous les plaisirs supposés des voyages éclairs à New-York ou à Londres. Ils traversaient Paris pour aller voir un fauteuil qu'on leur avait dit parfait. Et même, connaissant leurs classiques, ils hésitaient parfois à mettre un vêtement neuf, tant il leur semblait important pour l'excellence de leur allure qu'il ait d'abord été porté trois fois. Mais les gestes, un peu sacralisés, qu'ils avaient pour s'enthousiasmer devant la vitrine d'un tailleur, d'une modiste ou d'un chausseur, ne parvenaient le plus souvent qu'à les rendre un peu ridicules.
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Ils tenteront de vivre comme avant. Ils renoueront avec les agences d'antan. Mais les charmes seront rompus. A nouveau, ils étoufferont. ils croiront crever de petitesse, d'exiguïté.
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De grands élans les emportaient. Parfois, pendant des heures entières, pendant des journées, une envie frénétique d'être riches, tout de suite, immensément, à jamais, s'emparait d'eux, ne les lâchait plus. C'était un désir fou, maladif, oppressant, qui semblait gouverner le moindre de leurs gestes. La fortune devenait leur opium. Ils s'en grisaient. Ils se livraient sans retenue aux délires de l'imaginaire. Partout où ils allaient, ils n'étaient plus attentifs qu'à l'argent. Ils avaient des cauchemars de millions de joyaux.
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Leur plus grand plaisir etait d'oublier ensemble, c'est a dire de se distraire. Ils adoraient boire, d'abord, et ils buvaient beaucoup, souvent, ensemble.
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Comment faire fortune ? C'était un problème insoluble. Et pourtant, chaque jour, semblait-il, des individus isolés parvenaient, pour leur propre compte, à parfaitement le résoudre.

p.89
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Ils voulaient se battre, et vaincre. Ils voulaient lutter, conquérir leur bonheur. Mais comment lutter? Contre qui ? Contre quoi ? Ils vivaient dans un monde étrange et chatoyant, l'univers miroitant de la civilisation mercantile, les prisons de l'abondance, les pièges fascinants du bonheur.
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