J’ai découvert, quand elle est venue à me manquer […] que l’affection m’était nécessaire ; et que, comme l’air, on la respire sans la sentir.
Je suis parvenu à la satiété du néant, à la plénitude du rien absolu. Ce qui me poussera au suicide, ce sera une impulsion comme celle qui nous pousse à nous lever tôt.
Il n’est pas de plus grande tragédie que l’égale intensité, dans la même âme ou le même homme, du sentiment intellectuel et du sentiment moral. Pour être indiscutablement et « absolument » moral, on doit être quelque peu stupide. Pour être absolument intellectuel, on doit être quelque peu immoral. Je ne sais quel jeu ou quelle ironie des choses condamne chez l’homme cette dualité portée à un degré élevé. Pour mon plus grand malheur, elle se réalise en moi. Je n’ai donc, possédant deux vertus, jamais rien pu faire de moi. Ce n’est pas l’excès d’une qualité, mais bien de deux, qui m’a tué à la vie.
Quand j’ai eu des certitudes, je me suis souvenu que les fous en ont eu de bien plus grandes encore.
Ce n’est pas la souffrance morale qui me pousse à me tuer ; c’est le vide moral, base de cette souffrance.
Le fait que je souffre peut sembler, effectivement, incompatible avec l’existence d’un Créateur intégralement bon, sans prouver pour autant l’inexistence d’un tel Créateur, ni d’ailleurs l’existence d’un Créateur mauvais, ni même l’existence d’un Créateur impartial. Il prouve simplement l’existence du mal dans le monde –ce qui ne représente guère une découverte et ce que personne encore n’a eu l’idée de nier.
Il y a quelque chose de sordide, et d’autant plus sordide que c’est ridicule, dans cette habitude des faibles d’ériger en tragédies de l’univers les tristes comédies de leurs tragédies personnelles.
L’abstrait m’a toujours paru plus impressionnant que le concret. Je me rappelle qu’étant enfant, je ne craignais personne, pas même les bêtes ; mais j’avais peur, et comment ! des pièces obscures… Je me souviens que cette apparente singularité déroutait la psychologie simpliste dont j’étais entouré.
De même, et contrairement aux gens ordinaires, j’ai toujours craint davantage la mort que de mourir. Je méprisais d’ailleurs, et je méprise toujours, la douleur. J’ai toujours attaché plus de valeur à ma conscience qu’aux sensations agréables de ma peau.
J’étais devenu objectif envers moi-même. Mais je ne pouvais discerner si, ce faisant, je m’étais trouvé, ou bien perdu.
Je ne me plains pas de ceux qui m’entourent ou m’ont entouré. Personne ne m’a jamais fait le moindre mal, en aucun sens ni d’aucune façon. On m’a toujours traité avec affabilité, mais à distance. J’ai compris bien vite que cette distance était en moi-même, et qu’elle venait de moi. C’est pourquoi je puis dire, sans me flatter, que j’ai toujours été respecté. Mais aimé ou chéri, jamais. Je reconnais aujourd’hui que je ne pouvais pas l’être. J’avais de grandes qualités, j’avais des émotions intenses, […] mais je n’ai pas eu ce qui s’appelle l’amour.