Elle se rendit compte qu’elle se sentait mieux – presque euphorique.
C’était en partie dû au pic d’adrénaline : son corps et son esprit se préparaient instinctivement à élucider une nouvelle affaire.
Mais il y avait autre chose – l’impression que les choses rentraient dans l’ordre.
Riley soupira.
Pourquoi trouvait-elle plus normal de poursuivre des monstres que de passer du temps avec les gens qu’elle aimait ?
Ça ne devrait pas être normal, pensa-t-elle.
Ce sentiment lui rappela ce que son père, un officier du Corps des Marines à la retraite, amer et brutal, lui avait dit avant de mourir :
« Tu es une chasseuse. Ce que les autres trouvent normal, c’est une vie qui finirait par t’achever. »
Le sable mouvant ne marchait pas comme dans les films. Il n’avalait pas les gens. En fait, on pouvait en sortir quand on savait comment cela fonctionnait. Félix avait essayé. Il suffisait d’ouvrir un espace entre ses jambes pour laisser passer l’eau et se dégager de l’étreinte du sable.
Mais la fille n’en savait rien – et il n’allait pas lui dire.
Elle allait s’enfoncer inexorablement, parce que son corps avait une densité supérieure à celle des sables mouvants.
Mais ça ne suffirait pas.
Elle resterait là toute la nuit, impuissante, immobilisée et terrifiée, jusqu’au moment où il viendrait l’enterrer avec du sable ordinaire.
Pendant ce temps, il se délecterait de sa terreur.
Il ne faisait pas ça pour la gloire.
Il ne savait même pas exactement pourquoi il tuait.
Tout ce qu’il savait, c’était qu’il y avait une chose sombre et terrible qui bouillonnait en lui ces derniers temps – un mélange de terreur et de douleur. La seule manière de se purger de cette douleur était de l’infliger à d’autres – pas seulement les personnes qu’il enterrait vivantes, mais toutes celles qu’il choquait et terrifiait.
Les gens n’en dormiraient pas la nuit. Ils se demanderaient qui allait mourir à la chute du dernier grain de sable.
L’ivresse du pouvoir le libérait de son agonie et de sa terreur. Elle lui donnait également l’impression d’avoir un destin, un but. Tout était lié à ce sable qui coulait. Ce sable qui le fascinait et le poussait à agir avant qu’il ne soit écoulé.
Eh bien, ce qui est étrange, c’est que c’est vraiment du sable. Souvent, on utilise autre chose : de la poudre de marbre, des oxydes d’étain ou de plomb, de la farine de roche, des coquilles d’œufs brûlées, de la poudre de verre… Quelque chose qui coule mieux. Quand on utilise du sable, c’est plutôt du sable de rivière, parce qu’il est plus doux. On dirait du sable de quartz, celui qu’on trouve sur la plage. C’est inhabituel parce que les grains sont très grossiers et ne coulent pas très bien.
Pour la première fois, la vérité lui explosait au visage.
Il y avait toujours plus de gens à sauver, plus de monstres à arrêter. Pendant ce temps-là, sa famille avait besoin d’elle. Il n’y avait aucun moyen d’arrêter la pendule et il n’y en aurait jamais.
Elle n’avait jamais le temps.
Même en vivant encore cinquante ou soixante années, elle mourrait en laissant derrière elle un travail inachevé.
Elle n’aurait pas changé le monde. En fait, elle n’aurait rien changé du tout.