Un roman d'aventure assez particulier, avec ses défauts et son rythme propre, fait de condensations nerveuses et de dilatations méticuleuses de l'action, du temps.
Je me suis parfois trouvé un peu ennuyé par certaines descriptions détaillées de lieux, d'actions ordonnées, de digression sur l'arrimage des bateaux, l'environnement des pingouins, l'état des expéditions au pôle Sud au 19e siècle ; mais je ne saurais dire qu'elles étaient superflues, tant leur apparition au milieu de tout le reste, ce ressac horrible et palpitant d'évènements, participait de l'ambiance singulière du roman.
La finale, il faut absolument faire confiance à
Borges ou Gracq, qui y voyaient, à juste titre, un moment fort de l'oeuvre de
Poe ; — qui préfigure, et c'est la seule fois que j'ai vraiment eu cette impression, une grande part de la littérature fantastique à venir. Cependant, de faire dériver un roman d'aventures, qui voisine avec l'horrible, vers l'énigmatique pur, en élaguant continuellement la trame, j'y vois une chose unique.
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J'ai aussi noté ceci, au gré de ma lecture, qui concerne
Poe en général, et ce roman en particulier :
Une des particularités de
Poe, outre la recherche de l'effet juste — et donc la maîtrise de l'adéquation écriture/lecteur —, repose dans la conscience exacerbée qu'on y retrouve à tout pas ; — et que plusieurs ont à tort pris pour de la psychologie ou de l'intellectualisme. Il suffit de relire «
le Puits et le Pendule », qui est une sorte d'exercice pour faire oublier, par le détail et l'horlogerie fine de la souffrance mentale du narrateur, que nous savons très bien que ce dernier survit à ses supplices. C'est aussi ce qu'on retrouve en lisant
les Aventures d'Arthur Gordon Pym, où le narrateur semble pouvoir sentir — et même plus : se remémorer, puis évoquer adroitement —, chacun des mouvements de ses muscles, de ses organes, de ses nerfs. Cela introduit dans le genre de l'aventure maritime quelque chose de très étrange, comme une sorte de temps dilaté, et la plupart du temps dilaté par le malheur, la souffrance, la terreur. le style est donc bien plus que des mots faisant des phrases, mais une suite de choix adroits pour élaborer en menus détails ce qui normalement est vécu sans que l'on n'ait pu y remarquer autre chose que les contours généraux.