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sur 403 notes
Je suis entré dans ce roman un peu comme on découvre une bouteille à la mer abandonnée sur le rivage.
Le temps d'ôter le bouchon de cire, j'ai brusquement entendu se répandre autour de moi des cris stridents qui semblaient venir du fond des âges et qui disaient « Tekeli-li ! Tekeli-li ! » Je me suis retourné, il n'y avait personne sur la plage, pas même la moindre mouette. J'ai alors tendu le goulot vers l'oreille, - ou plutôt l'inverse, enfin je vous laisse imaginer le mouvement latéral de part et d'autre et pas de doute les cris venaient bien du fond de la bouteille, d'où l'on pouvait apercevoir une sorte de rouleau de papier... J'ai fait ce qu'il ne fallait surtout pas faire : tendre le regard au travers du goulot. Et là j'ai reçu un paquet d'eau qui m'a rincé l'oeil, comme une vague sournoise qui entrerait par le hublot d'un navire.
Je m'apprêtais à briser la bouteille pour m'emparer de son contenu, mais ce ne fut pas nécessaire, la vague venait de jeter le rouleau de papier à mes pieds. Je défis les lacets qui l'enserraient et le rouleau se déplia sous mes yeux comme les ailes d'un oiseau, un oiseau marin bien sûr. C'était un manuscrit...
Je fus tout de suis happé par la lecture du texte, que les âges et les tangages de l'océan n'avaient point altéré. C'était le récit d'un homme, un certain Arthur Gordon Pym, persuadé qu'au moment d'écrire ces feuillets on le saurait d'ores et déjà disparu en mer, corps et biens, mais qui souhaitait qu'un jour quelqu'un puisse enfin découvrir son histoire et ses aventures fabuleuses, par ce manuscrit offert par l'entremise d'une bouteille jetée à la mer...
Du fond de cette bouteille venaient de jaillir les abîmes d'une odyssée incroyable.
C'était une sorte de journal de bord qui prenait sa source sur l'île de Nantucket, dans le Massachusetts, fameuse pour son port de chasse à la baleine et là où justement naquit Arthur Gordon Pym. Son meilleur ami, Auguste Barnard, est d'ailleurs le fils d'un capitaine de baleiniers. C'est avec ce dernier qu'une nuit le jeune homme organise une équipée qui manque tourner au drame : les deux jeunes gens, passablement alcoolisés, décident sur un coup de tête de profiter de la brise qui se lève pour prendre la mer sur un canot...
À partir de là je fus happé par le récit dont le rythme ne se ralentit pas jusqu'à la dernière page, dernière page dont je sentais bien qu'elle aurait pu se prolonger bien encore par d'autres feuillets, s'il n'y avait pas brusquement ce texte suspendu au-dessus du vide et cette ultime page demeurée blanche à jamais...
C'est ainsi peut-être qu'Edgar Allan Poe fit croire à ses lecteurs à la découverte du témoignage véritable d'un certain Arthur Gordon Pym...
Sauvetage, chasse à la baleine, tempête, mutinerie, massacres, cannibalisme, naufrage, île mystérieuse, ensevelissement, voyage sans retour, disparition en mer... Tous les ingrédients du roman maritime d'aventures semblent réunis dans ce récit échevelé comme une comète traversant les océans.
Aventures d'Arthur Gordon Pym est un roman atypique, une oeuvre de jeunesse de ce vieil ami Edgar Allan Poe, mal construit, mal fagoté, battu par les vents, emplis de maladresses et d'incohérences et une fin qui n'en est pas une, - passe encore, mais figurez-vous que ce livre ne comporte aucun personnage féminin, excepté la mer s'il faut ici y voir une image symbolique de la mère !
De ce roman inachevé, riche et complexe, aux aspects fragmentés comme les écailles d'une tortue marine, j'en suis resté perplexe jusqu'au moment où j'ai eu l'impression de découvrir la clef de l'insoluble... Je ne vais pas tourner en rond autour du mystère, ni vous faire croire à des intuitions improbables, ce fut grâce à la lecture de la préface... hé oui, il ne faut jamais faire l'impasse sur les préfaces...
En effet, la structure du roman est composée en épisodes où l'emboîtement donne au livre une allure de roman à tiroirs. Chaque épisode, en apparence disjoint, déconnecté aux autres, est en réalité prémonitoire de celui qui va suivre, s'agrégeant ainsi progressivement les uns aux autres par ce fil invisible et secret, comme une série de hameçons posés sur un fil de pêche.
On dit que ce roman qu'Edgar Allan Poe reniera plus tard, inspira cependant bon nombre d'écrivains tels que Herman Melville, Howard Phillips Lovecraft, Arthur Rimbaud, Jules Verne, Jorge Luis Borges, Pierre Mac Orlan... et aussi le peintre René Magritte...
J'étais là au milieu de la plage, venant d'achever ma lecture, lorsque brusquement j'entendis venir du fond du paysage des cris stridents qui ne cessaient de répéter : « Tekeli-li ! Tekeli-li ! ». Sur la crête des dunes et descendant vers la plage couraient vers moi des hommes nus aux corps peinturlurés de terre rouge, leurs bras armés de sagaies...
Alors il s'est passé quelque chose d'incroyable qui valut mon salut, - j'ai peine à vous l'avouer car je suis sûr que vous aurez du mal à me croire -, de la bouteille vide demeurée au sol s'échappa alors une voix à peine audible comme venue d'outre-tombe et qui me cria : « Saute sur la dernière page, la page blanche ! ».
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Un formidable roman d'aventures. On aime jusqu'à ses formidables et poétiques invraisemblances. On aime le côté délié et l'extrême classicisme de la langue. On frémit à la froideur de la scène de "la courte paille" (Souvenances n'auriez-vous d'un certain couplet de la chanson... "Il était un petit navire..." ?).

Bref, "Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket" ("The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket") est l'unique (vrai et court) roman achevé par Edgar Allan POE (1809-1849). N'en déplaise aux bougres d'ignares ectoplastiques ("Oui-çé-désuet-ze-me-suis-bôcou-ennuyée...moizôssi-tu-sé-çé-com-toi... allé-zou-ze-ressaute-su'-ma-PAL"... et gnin-gnin-gnin), il restera ce "fantastique" roman d'aventures terrifiantes publié en 1838 par un jeune homme de 29 années qui n'avait (probablement) "ja-ja-jamais navigué" (ohé-ohé !) ...

Arthur, fils de commerçant de l'île de Nantucket, est un jeune gars de 16 ans ne faisant rien que des bêtises. Se saoulant à mort avec un copain, juste pour affronter la mer dans une chaloupe. Auguste, un peu moins "cuit" qu'Arthur, parvient à les ramener au rivage. Un miracle. Voilà qu'Auguste parvient à se fait enrôler sur le baleinier "Grampus". Son pote Arthur (bien sûr en clando) se planque dans la cale avec son terre-neuve, Tigre. A partir de là, que des bêtises dont une révolte à bord avec explosions et meurtres. Tout ce qu'il faut pour que le navire soit à moitié détruit. Sabordage et voies d'eau. Quatre survivants dont un indien court-sur-pattes (une force de la Nature), Dirk Peters. Bon, mais il faut juste survivre : d'où anthropophagie un temps nécessaire... (scène atroce de froideur "logique"). Puis on retrouve des vivres maigrichonnes dans la cambuse inondée. Mais le bon Auguste se meurt de gangrène. Ses deux compagnons squelettiques se considèrent perdus. Heureusement, la goélette "Jane Guy" vient à leur secours. Mais pas de temps à perdre, on repart aux vivres : direction plein Sud ("Le Pôle"). Des archipels. Des pingouins et des albatros se partageant les rochers, avec ces "rookeries" (pouponnières à pingouins) absolument géométriques. Des éléphants et vaches de mer. Des tortues Galapagos. Un archipel de huit îles : on aborde à celle qu'on nommera Tsalal. Là, de "bons sauvages" (noirs aux dents noirs) qui se révèlent sympas et bons commerçants. On sympathise donc. On s'apprivoise mutuellement en échangeant denrées, "galapagos" vivantes, couteaux et verroteries. On monte ensemble des hangars face à la Baie pour transformer une espèce de limace des hauts-fonds nommée "biche-de-mer" (ou "bouche-de-mer") ; mais ces fourbes de "sauvages" ont un plan diabolique : endormir de fausse bienveillance la quarantaine d'hurluberlus venus du Nord, à la peau blanche et à la Frégate fascinante...

Trois se sortiront de là, en route vers les draperies d'Aurores australes d'une Mer libre de plus en plus chaude... vers le Pôle. Jusqu'à une cataracte blanche qui s'ouvre dans le ciel sombre et fait apparaître une gigantesque forme humaine voilée de blancheurs...

"J'ai gravé cela dans la montagne et ma vengeance est écrite dans la poussière du rocher."

Allusion aux cinq hiéroglyphes du chapitre XXIII (dont 4 sont à la fois caractères éthiopiens, arabes et égyptiens... et tracés du labyrinthe suivi dans la montagne) : complets mystères, jusqu'en cette dernière phrase énigmatique... Vraiment point trop commercial, tout cela... d'où cent-mille vibrants mercis à toi, ô Charles Baudelaire, not' bon traducteur de 1858 !

Vingt-six chapitres fascinants & succintement titrés (de "AVENTURIERS PRECOCES" à "CONJECTURES"), tous bourrés de suspense.

Jules VERNE partira opiniâtrement - par héros botaniste interposé - à la recherche des traces d'Arthur et Dirk Peters : courant après l'énigme de la forme blanche spectrale (féminine ?) et celle du Pôle magnétique Sud : si son capitaine Hatteras (dès 1866) chercha le Nord jusqu'à la folie, Verne ressuscitera le Sud par pure fascination poesque... dans "Le Sphinx des Glaces", en 1897.

Poe a décidément une imagination de dingue. Maître de la Peur brute tel l'Herbert-George WELLS de "L'île du docteur Moreau" [1896] à la noirceur sans égale... Il est aussi vrai que les perruches et perroquets-des-îles n'aimant pas "cela" n'ont qu'à retourner picorer leurs Foenkinos-Nothomb-Gavalda-Legardinier industriels (suffisamment dessiqués avant d'être recongelés et accessibles chez Picard) ... et ne point déranger le Bostonien en son Paradis/Domaine de l'Imagination Reine !

" Un peu de respect pour la VRAIE littérature, m... ! " leur cria le bosco depuis l'entrepont... tandis qu'Auguste Barnard, brave moussaillon ressuscité des morts, marmonnait douloureusement (ces damnés fourmillements à son bras toujours noirâtre... ) : " Non, décidément, mon cher Edgar-Arthur-Allan-Gordon-Poe-Pym, en ta quarantième année tu n'auras point laissé ce triste monde derrière toi pour rien... Tas de feignasses et foutues bandes de sauvages ! "
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Il y a un peu de Stevenson dans ce roman, et du Melville aussi, mais surtout, il y a dans ce roman l'épouvante propre aux récits d'Edgar Allan Poe, bref, un sacré mélange d'aventure, de terreur et de métaphysique!
Poe ne se prive pas de déclarer ses références - souvent des récits scientifiques d'explorations maritimes - pour donner plus de crédibilité à ce récit soi-disant biographique:

Arthur Gordon Pym (comme Arthur de la Table Ronde et Gordon de Lord Byron) est un jeune garçon de 16 ans désireux de s'aventurer en haute mer. Grâce à son ami Auguste, il se cache dans la cale du bateau du père de celui-ci, dans le but de dévoiler sa présence une fois que le bateau sera au large et qu'il sera trop tard pour revenir au port. Manque de bol, une mutinerie a lieu presque aussitôt, et Auguste ne peut venir lui apporter à manger. Arthur commencera son voyage dans un état de semi-conscience, d'angoisse et de soif, avant d'être délivré et de poursuivre ses aventures en mer entre cauchemars et découvertes des mers du Sud.
Ce qui attend le jeune héros est au-delà de l'imaginable et il faudra à la fois beaucoup de courage, d'énergie et un coeur bien accroché pour survivre à ce voyage.

Quant au récit en lui-même, je l'ai trouvé assez déstabilisant. Il commence fort par une nuit de tempête et un naufrage, puis la vraie aventure qui commence, avant que le rythme ne s'amenuise pendant un certain nombre de pages riches en descriptions un peu trop techniques parfois.
Le rythme n'est pas haletant comme celui de l'Ile au Trésor, si je dois trouver un élément de comparaison contemporain, mais finalement ce roman est assez hypnotique; bizarrement, j'aurais envie de comparer son effet à celui des films Apocalypse Now ou Dead Man, un long voyage hallucinant et métaphysique.
Pour tout dire, j'ai eu du mal à m'accrocher lors de la mutinerie, dont j'ai trouvé le rythme plutôt longuet, mais j'ai replongé dans le récit par la suite. La préface donne de bonnes pistes de lectures, et finalement, ce qui m'a le plus dérangée, ce sont les libertés que Baudelaire avait prises lors de la traduction: ajouts de termes savants, de titres à chaque chapitre, interprétations, que l'édition Livre de Poche Classique a pris soin de répertorier.
Oui, finalement, un roman riche et complexe que je conseille aux aventuriers!
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J'avais envie de lire « Le Sphinx des glaces » de Jules Verne, mais LokiPg m'a appris qu'il s'agissait de la suite des « Aventures d'Arthur Gordon Pym » d'Edgar Allan Poe. Et donc... les deux font la paire ^_^

Dans l'ensemble c'était pas mal comme histoire, j'ai seulement trouvé Pym un peu trop bavard. Je pense que c'est la première fois qu'un roman raconté à la première personne me laisse cette impression.

Pym quitte Nantucket pour vivre la grande aventure de la mer et il va être servi : mutinerie, tempête, faim, anthropophagie, j'en passe et des meilleures. Il y a un passage qui m'a vraiment fait froid dans le dos, c'est

Juste un détail : il n'y a pas de pingouins en Antarctique. Ils vivent dans l'hémisphère nord (et peuvent voler). Les pingouins de Poe sont en fait des manchots (eux ne volent pas). Les manchots et les albatros ont des ancêtres communs (vieux de 60 à 70 MA) et donc il n'est pas surprenant qu'ils aient gardé des habitudes de reproduction similaires. Ah, Poe m'a bien fait rire avec ses « pingouins macaronis » (ce sont en fait des gorfous dorés, comme Cody dans Les rois de la glisse).

Bon évidemment, de nos jours impossible de croire à son histoire mais je pense que cela devait avoir son petit effet à cette époque.

La fin est un peu abrupte… je suis curieuse de voir ce que Jules Verne va en faire.

Cela étant dit, je vais m'arrêter ici pour l'exploration de l'oeuvre de Poe.


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Un bateau ivre et c'est le delirium tremens, un voyage halluciné, cauchemardesque ( parce que ce roman explore les grandes peurs humaines) jusqu'au pôle, dans la tradition des relations de voyage des grands explorateurs, qui partent à la recherche de la terra incognita. Il y a des bateaux terrifiants, des vaisseaux fantômes, tel le Hollandais Volant. Il y a des îles flottantes (non comestibles), des îles qui s'échappent sans cesse, réelles ou fantasmatiques. On s'oriente comme on peut avec les quelques repères (longitude, latitude) qu'on a, mais personnellement, je préfère m'y perdre jusqu'à l'obscurcissement - jusqu'à l' ensevelissement au fond d'une cale, parce qu'on est enterrés vivants dans ce roman - fondu au noir - et autant vivre l'aventure jusqu'au bout, jusqu'à l'aveuglement final - fondu au blanc.

Le voyage se fait en noir et blanc même si le blanc, c'est tabou sur l'île de Tsalal : Tekeli-li ! Tekeli-li ! s'écrient les habitants, terrifiés, dès qu'ils voient du blanc. Un cri que je prononce : Take a Lily depuis qu'un professeur de fac l'a prononcé en cours et j'ai trouvé ça beau comme prononciation, comme articulation, comme interprétation. Lily ou le Lys, une fleur dont la couleur blanche, symbolique, nous renvoie aux oiseaux blancs et à leurs cris (comme l'albatros de Coleridge), à la grande forme blanche - une obsession sur le blanc qui reviendra dans un grand développement dans Moby Dick. Le blanc, c'est aussi la couleur des glaciers, et on y vogue, au sud, comme sur une mer de lait. Un grand blanc final, sublime. Il y a du noir, aussi, comme sur Tsalal - de l'encre noire sur une page blanche - et n'est-ce pas sur Tsalal que Pym découvre des tracés mystérieux (des formes humaines, un alphabet, ou un plan ?) On s'oriente, ou on se perd, là encore. Il y a aussi du rouge, beaucoup de rouge, du sang, surtout, qu'il s'agisse de sang pour écrire, du sang humain, des fleuves opaques comme sur Tsalal, avec des veines, des rivières pourpres.
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Pour écrire Arthur Gordon Pym, son unique roman d'aventure fantastique, Poe a décidé de mettre en pratique ses propres théories sur la composition des poèmes. C'est à dire - un bon écrivain devrait toujours laisser le meilleur effet pour la fin, quitte à "diluer" un peu les strophes ou les épisodes précédentes si elles s'avèrent plus "fortes" que le supposé bouquet final. Comment on sait grâce aux notes de "rédacteur" à la fin du roman, Pym est rentré sain et sauf aux Etats-Unis, mais il est mort avant de finir la narration de ses aventures. Ce qu'est la chose blanche géante au milieu de l'océan, personne ne le saurait jamais.
Les chercheurs en littérature américaine ont essayé de proposer une explication "logique", pour justifier les choix de Poe. Au moment de la rédaction du roman, une théorie sur la " Terre creuse" était très populaire en Amérique, théorie véhiculée par deux "savants" nommés Symmes et Reynolds (Poe est mort avec le nom de ce charlatan sur les lèvres!), qui ont presque réussi à convaincre le Congrès de financer une expédition antarctique afin de prouver leurs hypothèses. Selon cette hypothèse douteuse, notre Terre a des grandes "holes at the poles"(des trous dans les pôles), par lesquels l'océan rentre au sud pour ressortir au nord (ce qui explique, entre autres, les courants océaniques). On pourrait même supposer que ces parties creuses de la Terre sont habitées par des créatures ressemblantes à l'homme, ce que Symmes (sous un pseudonyme d'Adam Seaborn) a décrit en détail dans un roman "Symzonia, a Voyage of Discovery", roman que Poe connaissait très bien, comme le texte de Pym le montre. DONC, originalement, Pym devrait peut-être se faire aspirer au centre de la terre pour y vivre d'autres aventures, avant d'être recraché sur le pôle opposé.
Mais là, de toute évidence, Poe commence à réfléchir - le monstre blanc sortant de la mer, ne représente t-il pas , après toutes ces naufrages, massacres et mutineries, l'effet final recherché ?! Est-ce encore la peine de rajouter d'autres aventures au centre de la Terre, de quitter le mode réel pour s'embarquer dans le véritable fantastique ? Et Poe décide que non, et il n'explique jamais le mystérieux retour de Pym dans le monde civilisé. Mais il a été parmi les premiers écrivains qui ont introduit dans la littérature ce qu'on appelle généralement "la fin ouverte", qui laisse le lecteur plutôt réfléchir que de simplement se réjouir par la terreur d'inexplicable.
Pour finir, Lovecraft, pour qui Poe était un grand modèle, n'a jamais compris cette leçon. Dans son roman "At the Mountains of Madness", qui est un hommage ouvert à Pym, il essaie de décrire (d'une façon complètement inadéquate) la terreur qui rend Danforth fou; et tout ses histoires sont finies en bonne et due forme. J'aime beaucoup Lovecraft, et certes, ses histoires montent toujours crescendo jusqu'à l'effet final, souvent gardé pour la dernière phrase. Mais tout ça c'est Poe, moins sa leçon magistrale !
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Arthur Pym embarque clandestinement sur un baleinier qui s'apprête à croiser dans les mers du sud. Avec l'aide de son ami Auguste, le fils du capitaine, il se cache dans la cale. Il compte révéler sa présence une fois que le navire aura gagné la haute mer et qu'il sera trop tard pour faire demi-tour. Dans sa cachette, Arthur Pym plonge dans un profond sommeil. Son réveil sonne le début de nombreuses mésaventures : mutinerie, naufrage, famine, captivité... C'est le début d'une longue traversée de l'horreur.

Je me suis lancé dans ce roman avec un enthousiasme qui s'est vite dissipé. Le récit de ces péripéties est encombré de digressions inopportunes : leçon de navigation, règles de l'arrimage d'un navire, exposé sur la nidification des albatros... Le style chargé donne un faux rythme qui ankylose la narration. le lecteur se surprend à sauter des paragraphes pour venir à bout d'un chapitre... Ce livre ne doit peut-être pas être considéré comme un simple récit d'aventures ; les événements narrés seraient autant d'allégories à déchiffrer. Une lecture riche en interprétation à défaut d'évasion conseillée aux amateurs d'hermétisme.
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Edgar Allan Poe nous raconte l'histoire vraie d'Arthur Gordon Pym. Ce jeune natif de Nantucket vivra d'incroyables aventures en mers qui le mèneront jusque sur des terres inexplorées...
En fait d'histoire vraie, il s'agit bien évidemment d'une fiction, mais il parait que lors de sa parution, la supercherie fonctionna un temps sur une partie du lectorat.

Le roman peut-être découpé en deux grandes parties. La première est riche en émotions, la seconde est plus portée sur l'exploration et le merveilleux. Ces deux parties sont très différentes, dans leur ambiance.

Le style d'Edgar Poe m'a par moment fait penser (surtout dans sa seconde partie) à ceux de Jules Verne et d'H. P. Lovecraft. C'est sans surprise qu'on apprendra que ces deux auteurs ont lu et apprécié ce roman. Jules Verne en a rédigé une suite intitulée le Sphinx des glaces, tandis que Les Montagnes hallucinées de Lovecraft en est visiblement inspiré.

Ce roman me laisse une drôle d'impression au final. Je l'ai trouvé un peu long à démarrer, mais il devient passionnant et certains passages m'ont donnés de réels frissons dans le dos. Vient ensuite une transition un peu abrupte pour passer à une seconde aventure. Cette dernière me plait beaucoup d'entrée de jeu. Les mystères s'enchainent, me passionnent, me donnent envie d'en savoir plus... Et puis...
Je ne peux évidemment pas raconter la fin alors je me contenterais de dire que je me suis rarement senti aussi frustré !

Je vais de ce pas commander le Sphinx des glaces. J'espère que Jules Verne saura donner à cette histoire une conclusion satisfaisante. Je sais que je peux compter sur lui.
Lien : http://lenainloki2.canalblog..
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Ce récit tumultueux commence par un flagrant délire de navigation en état d'ivresse. Une erreur de jeunesse très commune, puisque Rimbaud la commettra aussi en son temps. On pourrait donc espérer qu'au fil des chapitres, le héros Arthur Gordon Pym et son ami Auguste se montrent plus impériaux dans l'art de la navigation. C'est ce que voudrait un roman d'apprentissage classique. Et pourtant, le parcours ne sera pas ascendant mais descendant (comme le laisse présager sa direction, vers le Pôle Sud). Dans sa volonté de voir le monde, notre héros-narrateur tourne le dos à la civilisation, et s'expose à la sauvagerie, qui contamine ses rêves prémonitoires dans le fond de cale où il se laisse enfermer clandestinement. C'est à se demander s'il se réveille vraiment et ne demeure pas en plein cauchemar. Car plus son périple le conduit loin sous les tropiques, et plus les tropismes morbides de Poe prennent forme, couleur et consistance, jusque dans l'eau elle-même. La narration de Pym, riche en détails techniques et géographiques, se fait le véhicule exagérément rationnel d'un récit qui sombre dans l'irrationnel. Ce décalage atteindra une tension extrême à sa conclusion, au point de donner des remords à Poe, qui qualifiera après coup son ouvrage de « stupide » (« a very silly book »). Cette auto-critique couplée à la fin abrupte me font penser à la conclusion en queue de poisson de certains sketchs du Monty Python Flying Circus, où les personnages interrompent la scène pour le même motif : « too silly ». Et il s'avère que ces sketchs font partie de leurs meilleurs. Voilà pourquoi il ne faut pas forcément prendre le commentaire de Poe au sérieux.

La perte de contrôle est plus celle du narrateur que de l'auteur; car ce dernier met sa science du rythme au service de la (dé)cadence. Cela est notamment reflété par un leitmotiv : le sort funeste réservé aux navires, outils par excellence de la raison et de la technique humaine dans le monde marin. Ici, les embarcations dérivent vers une perdition toujours plus spectaculaire. Et ce crescendo n'est qu'une des nombreuses métaphores filées d'un récit qui se plait à entremêler les symboles : figures humaines, animales et organiques se succèdent dans une sarabande toujours plus aliénante.

Ambrose Bierce disait que la Conscience est une création du Rythme. Pourtant le rythme de Poe entraîne vers l'inconscient, empli d'images originelles et de refrains en forme de babillages (« Tekeli-li ») qui précèdent toutes les langues, et en rassemblent donc un maximum de racines, de fréquences. Une régression qui ressemble au bruit blanc.

Je me demande même si, en sourdine, les blancs entre les lignes, les non-dits du texte n'en dévoilent pas beaucoup plus sur la déraison du narrateur que sa simple parole. Je pense ici au chien Tigre, un animal auquel Arthur attachait une telle valeur que son camarade Auguste choisit de l'embarquer avec eux… et qui, sans trop en dévoiler, sera « oublié » du récit. Par Pym ? Par Poe ? En tout cas ce détail indique un effacement de la personnalité et des valeurs du héros. Cela révèlerait même presque une absence de coeur. N'est-il plus qu'une coquille vide, une coque de noix ballotée par les péripéties, un personnage désincarné en quête d'une figure à même de remplacer son blanc intérieur ?

Cette oeuvre a fait de nombreux émules. Bizarrement je n'ai pas vu parmi eux la mention de Joseph Conrad, dont le roman « Au coeur des ténèbres » me paraît pourtant très proche de cette navigation « à rebours », d'autant plus que la portée symbolique de la couleur des êtres est également très ambigüe chez Poe : le noir et le blanc se font tous deux menaçants et annonciateurs de l'anéantissement, de la page blanche qui guette après les lettres sombres du mot « fin ».
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Voyage fantastique par excellence où l'horreur le dispute à l'extraordinaire, cette oeuvre d'Edgar Allan Poe – à mon goût sa plus aboutie – est un passage obligé pour les amateurs de récits hors du commun et des limites de la raison raisonnable. Ici se concentre le génial sens de l'intrigue terrifiante de son auteur, augmenté par ses angoisses, lesquelles le hanteront tout au long de sa vie chaotique, donc de sa création.
Après moult péripéties, ce récit – authentique ou pas : à vous de choisir selon votre capacité à croire ou ne pas croire ! – nous précipite aux confins du monde, sur une terre encore vierge : l'extrême Sud. Alors, le voyage prend une tournure sublime – « quelque chose d'illimité, qui dépasse le pouvoir de la représentation et de la conceptualisation », Kant –, où notre petitesse se frotte au gigantisme des éléments et d'autres choses…
Puis, tandis que le dénouement approche, Poe frustre notre voyeurisme de lecteur, nous abandonnant à notre faim, comme si l'écriture elle-même ne pouvait retranscrire l'indicible, l'irreprésentable, technique narrative que l'on retrouvera plus tard chez Lovecraft, notamment avec L'Affaire Charles Dexter Ward.
Plus tard, Jules Verne écrira une suite – le Sphinx des glaces –, prenant le contrepied de cette atmosphère fantastique en cédant à son rationalisme coutumier. Mais il faut considérer cette suite avec indulgence car, bien qu'elle ne puisse prétendre rivaliser avec l'oeuvre originale, elle n'en demeure pas moins un grand texte.
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