Insoutenable paradis

La prise de conscience écologique d'un consultant en marketing, qui comme il le dit d'ailleurs lui même fort peu modestement, n'est plus "marketeur" mais "analyste culturel". Incarnation de toute l'absurdité de notre société actuelle que le livre se veut pourtant dénoncer.

Cette accumulation de poncifs tels que "l'argent ne fait pas le bonheur" ou "s'offrir le dernier iphone ne vous rendra pas heureux, tandis qu'une marche en forêt ou lire un livre pourront vous aider à retrouver la sérénité", cherche à justifier les multiples contradictions d'un homme qui culpabilise en mangeant un steak, mais n'hésite pas à prendre l'avion vers le Népal pour assister à des rites chamaniques (j'avais espéré en ouvrant le livre pouvoir échapper au cliché rabattu du citadin européen allant voir des chamans au Népal, espoir déçu).

On apprend également que Grégory Pouy culpabilise désormais en s'envoyant un mail (et miracle, redécouvre le morceau de papier), en se rendant sur YouTube ou les réseaux sociaux, pour l'énergie inutile qu'ils consomment, tandis que chaque chapitre du livre est paraphé d'un #insoutenableparadis. Outre le fait que cela me semble particulièrement vulgaire de "hashtager" le titre de son ouvrage toutes les dix pages, cela devient le summum de l'absurdité lorsque le discours tenu chercherait à promouvoir l'inverse.

Enfin, et afin de nous achever, Grégory Pouy conclut son livre par la narration de son extraordinaire expérience au Burning Man, pour laquelle il a dû certes (il doit bien l'admettre) prendre un avion pour le Nevada, et où certes (il doit bien l'admettre également) d'énormes quantités d'essence sont répandues afin de brûler les sculptures à la fin de la fête tandis que jeunesse dorée du monde entier loge en plein désert dans des tentes climatisées...

Alors certes, cela pourrait paraître contradictoire dit-il, mais en même temps danser jusqu'au bout de la nuit en compagnie de 80 000 autres personnes, n'est ce pas tellement merveilleux ? Je pense que toute la valeur du discours de Grégory Pouy est résumée dans cette simple phrase.

J'étais très excité à l'idée de lire Insoutenable Paradis. D'abord parce que je suis fan du podcast Vlan!, mais aussi parce que je me sens proche des valeurs humanistes de Gregory. Malgré tout, la question de l'écologie a toujours été très abstraite pour moi. Comme beaucoup de personnes, j'ai toujours eu l'impression d'être impuissant et dépassé par cette problématique. Pire, entrepreneur bénéficiant des avantages que m'offre le fait d'habiter à Paris, j'ai l'impression de tirer mon épingle du jeu tout en contribuant au problème. D'où ce sentiment de culpabilité latent. Ce livre porte bien son nom, nous vivons dans un Insoutenable Paradis. Comme je connais la tonalité de Grégory à travers son podcast Vlan!, j'étais curieux de lire ce livre. Je ne maîtrise pas du tout le sujet, mais au préalable, je savais que je n'allais ni me faire culpabiliser ni me faire infantiliser. J'étais confiant et je suis sorti grandi de cette lecture.

Faire face à ses propres paradoxes est d'autant plus évident que la tonalité du livre est bienveillante. C'est d'ailleurs à une véritable remise en question à taille humaine que nous invite Gregory. Les politiques et les entreprises ont leur part de responsabilitées, c'est vrai. Mais là où ce livre fait vraiment du bien, c'est qu'il dessine les contours d'un nouveau “récit de société”: le développement du féminin en chacun, la recherche de sens, le collectif ou le contentement sont autant d'exemple accessibles à chacun, et auxquelles je résonne. Je n'ai pas refermé ce livre en ayant l'impression d'avoir percé toutes les clés de l'enjeu climatique. Par contre, j'en suis ressorti avec une furieuse envie : celle de participer à mon échelle à ce nouveau “mythe de société”. Go !

Eh bien moi, j'ai aimé. Possiblement parce que je suis de la même génération que l'auteur, voire moi aussi j'ai bossé dans le marketing (abattez-moi, haha), et j'ai voulu la réussite sociale et matérielle, avant toute autre chose – car parfois oui, on veut s'extraire de son milieu et réussir dans la vie et à une époque, la réussite c'était ça. Et puis le temps passe, les époques changent, et nous même vieillissons et évoluons. On se rend compte de l'inanité de nos modèles. Ces désirs satisfaits qui ne nous satisfont finalement pas tant que ça. Et comme la vie est bien faite, on se rend bien compte qu'il y a quelque chose qui cloche, au global, dans nos modes de vie. Alors on fait quoi, maintenant ? On va se flageller en place publique, en espérant de la sorte rester sous les deux degrés ? Ou on continue d'avancer et d'interroger nos contradictions ? J'aime aussi la multitude de points de vue, le style fluide, le pragmatisme mâtiné d'humanisme de Grégory. A lire.

Jolie performance d'enchainement de platitudes sur 200 pages. Ce n'est pas que c'est faux (quoique la vision « pragmatique, désidéologisée » du sujet fait sourire, sans parler des clichés éhontés disséminés au long du livre, par exemple sur Burning Man en conclusion - terrible de terminer comme ça - ou sur l'ayahuasca présenté par l'auteur comme moins dangereux que le sucre et le tabac - absurde quand on connaît un peu le sujet), c'est que ça enfonce porte ouverte sur porte ouverte avec l'impression de révéler des vérités cachées. Je ne doute pas de la sincérité de l'auteur mais franchement, si vous cherchez une réflexion intelligente, profonde sur ce sujet, le petit essai "Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce" de Corinne Morel Darleux, est dans une toute autre catégorie. Un peu plus exigeant intellectuellement, mais justement plus à la hauteur du sujet.

Ps : absolument pas l'habitude de mettre des commentaires aussi secs mais au vu des nombreux avis positifs lus ici et la, ça me semble pas faire de mal de faire entendre un autre son de cloche.

J'ai beaucoup aimé cette réflexion non dogmatique sur un sujet compliqué et clivant. La lecture est facile et fluide, ponctuée d'anecdotes et interventions de personnes super intéressantes. Plus que de donner des conseils, je trouve le livre génial pour pousser à la réflexion personnelle, au questionnement de nos habitudes et des changements qu'on souhaite opérer (ou pas).