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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
S'il fallait ne choisir qu'un des sept tomes de la recherche du temps perdu, ce serait sans doute celui-là. Il arrive comme une apothéose, l'épanouissement d'une fleur qui a progressivement ouvert ses pétales, la clé d'un cheminement qui a pu paraître erratique.

On y retrouve un certain nombre des personnages qui avaient fait l'objet d'une étude dans les précédents tomes, vieillis, changés physiquement et moralement et décalés socialement, l'immuabilité apparente des rôles et des titres ayant été fort perturbée par le temps et les événements, d'autant que le narrateur est resté longtemps à distance, isolé pour des problèmes de santé.

Nous sommes en 1916. La guerre éliminera certains personnages centraux, comme Saint-Loup, faisant de Gilberte une jeune veuve, qui feint d'ignorer les penchants de feu son mari.
Le baron de Charlus n'a jamais été aussi bas : outre le fait qu'il affiche une sympathie pour l'Allemagne, le narrateur découvre l'existence de ses soirées consacrées au vice dans un hôtel mal famé tenu par Jupien.

Mme Verdurin promue princesse de Guermantes par son mariage, perd cependant de sa superbe. Son sens de la répartie a souffert, ternissant par ce biais le nom même de cette lignée, si adulée dans les premiers épisodes de l'oeuvre.

Ce qui fait aussi tout l'intérêt de cet opus, c'est le fait que les constats du narrateur sur l'évolution du monde qui l'entoure sont un puissant stimulant qui le décident à coucher sur le papier l'histoire des tous ces personnages et donc d'écrire la recherche, dans une mise en abîme remarquable .

Certes l'oeuvre n'est pas une lecture facile, il faudra passer par une période d'essais et d'abandons, jusqu'à ce que la mélodie de cette écriture si particulière se laisse entendre et comprendre, mais pour faire place ensuite à un vrai bonheur de lecture.

447 pages Folio 2 novembre 1990

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Le temps s'est écoulé et de nombreuses années sont passées lorsque le narrateur après de longs séjours en province pour se soigner est de retour sur Paris. Il constate que mal grès la guerre, l'effervescence de la vie parisienne est toujours aussi présente et que les salons sont toujours le lieu incontournable où se rassemblent toute la mondanité d'une société bourgeoise et aristocratique du faubourg Saint-Germain. Pour « en être », il faut fréquenter ceux de madame Verdurin et de madame Bontemps. Il est de bon ton à ces occasions, de se montrer patriote et seul monsieur de Charlus affiche sa germanophilie. Ce dernier s'est rendu anonymement propriétaire d'un lupanar qu'il a laissé en gérance à Jupien et où il se livre sans retenue à ses plaisirs coupables et sadomasochistes. le narrateur se désespère de trouver l'inspiration qui lui fera réaliser son oeuvre littéraire. Il se rend à une soirée donnée par le prince de Guermantes où les souvenirs le submergent.
« de même que le jour où j'avais trempé la madeleine dans l'infusion chaude, au sein de l'endroit où je me trouvais, que cet endroit fût, comme ce jour-là, ma chambre de Paris, ou comme aujourd'hui, en ce moment, la bibliothèque du prince de Guermantes, un peu avant, la cour de son hôtel, il y avait eu en moi, irradiant une petite zone autour de moi, une sensation (goût de la madeleine trempée, bruit métallique, sensation du pas) qui était commune à cet endroit où je me trouvais et aussi à un autre endroit (chambre de ma tante Octave, wagon du chemin de fer, baptistère de Saint-Marc). »
Alors qu'il pénètre dans la grande salle, il découvre une noble assistance déguisée. Il pense être à une soirée costumée mais ce n'est que lorsqu'il s'approche des participants qu'il se rend compte que ce n'est qu'un effet pervers du temps qui les a vieilli et considérablement abîmés. Ce qu'il prenait pour travestissements et pastiches ne sont que le produit du travail du temps.
Le jeu de ses réminiscences et de ce passé qui se fait présent est une révélation pour son projet d'écriture.
« … Je m'apercevais que ce livre essentiel, le seul livre vrai, un grand écrivain n'a pas, dans le sens courant, à l'inventer puisqu'il existe déjà en chacun de nous, mais à le traduire. le devoir et la tâche d'un écrivain sont ceux d'un traducteur. »
Par la suite, il est victime d'une attaque cérébrale.
« le temps retrouvé » est le septième et dernier tome de la monumentale oeuvre de Marcel Proust « à la recherche du temps perdu » (3000 pages). il est en quelque sorte la synthèse de la réflexion de l'auteur, la partie de son oeuvre où il met le plus de lui-même. Ecrit avec la précieuse aide de sa gouvernante et confidente Célestine Albaret qui veillera Proust jusqu'à sa mort, il parait à titre posthume, comme les deux tomes précédents. Marcel Proust n'aura plus l'énergie pour remanier son texte une énième fois, le compléter de ses fameuses paperoles qui rendirent fou Bernard Grasset à l'époque de « du côté de chez Swann ». Auparavant, Marcel Proust avait présenté son manuscrit à Gallimard, mais André Gide faisant parti du comité éditorial avait refusé de le publier (y voit-on là la crainte de Gide que Proust aurait pu lui faire de l'ombre ?). Ce n'est qu'en 1916 que Gaston Gallimard dépêchera Gide pour qu'il acquière les droits sur l'oeuvre de Proust et l'éditera dans son intégralité.
La « recherche du temps perdu », le « temps retrouvé » sont ce recueil de souvenirs qui tapissent le nouvel horizon qui nous fait face alors que nous sommes dos à la mort.
Editions Gallimard, 331 pages.
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Le moment que je redoutais tant est enfin arrivé ; ce matin, plusieurs après avoir posé les yeux pour la première sur le côté de chez Swann, j'ai achevé de lire le septième tome de l'incroyable chef d'oeuvre de Marcel Proust. Terminus, tout le monde descend, le voyage est terminé, nous avons retrouvé le temps perdu.
Ainsi, le temps retrouvé est le tome qui clôture la série de la Recherche. Dans un Paris renversé par la première guerre mondiale, l'auteur y passe en revue tous les personnages que nous avons rencontrés tout au long de notre lecture. Certains, comme le charmant marquis de Saint-Loup, sont morts ; d'autres sont toujours les mêmes ; d'autres encore ont beaucoup changé, ou peut-être est-ce le monde qui a changé. Oriane, la belle duchesse de Guermantes, à cause de ce qu'elle s'est mise à fréquenter des artistes, est devenue une sorte de nouvelle marquise de Villeparisis, et les nouvelles générations ne savent plus qu'elle a longtemps été la femme la plus recherchée de la capitale ; madame Verdurin ("cette insupportable vieille mégère" comme je me suis souvent surprise à la surnommer) a réussi à épouser le prince de Guermantes ; ce qui semble être un AVC a réduit le terrible baron de Charlus à un état quasi-enfantin... En un mot, la guerre et le Temps ont balayé les grands salons parisiens.

Maintenant, à l'heure de vous donner mon avis sur ce tome et sur la Recherche plus globalement, je sens qu'aucun éloge ne suffirait. Je suis jeune encore et, après avoir lu une telle oeuvre, je crains fort de m'ennuyer dans mes lectures prochaines, même auprès des plus grands auteurs, comme mon père, qui a fait l'expérience avant moi, me l'a prédit.
Outre l'extrême beauté des phrases, par lesquelles on se laisse aisément bercer, jamais au cours de mes lectures, pourtant déjà nombreuses, je n'avais rencontré de personnages à la psychologie aussi bien développée. Nous sommes bien loin des caractères stéréotypés que l'on rencontre trop souvent dans les romans. Chacun ici a ses qualités, ses défauts et tous évoluent au fil des tomes.
Cette merveilleuse escapade dans les salons de la fin du XIXème siècle m'a souvent fait regretter de n'être pas née 150 ans plus tôt. Comme j'aurais aimé connaitre ce monde-là !
Cher monsieur Proust, je n'ai qu'un seul mot à vous dire : Merci !
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Jamais, en avril 2020, lors de ce fameux 1er confinement, je n'aurais imaginé qu'en commençant la lecture du 1er tome de la recherche du Temps perdu, je me retrouverais un peu plus d'un an après, à poser sur ma table, lecture terminée, le dernier tome de cet ouvrage !!!

Jamais je n'aurais imaginé la puissance des émotions, la fascination, le bouleversement que cette oeuvre allait me procurer.

Je me suis laissé happée, envoutée littéralement par cette merveilleuse écriture, ce style tellement particulier, ce long voyage au coeur de personnages attachants, même si certains ont tout pour être méprisables.

J'ai passé plus d'un an à leur cotés, à les suivre, à les voir vivre, évoluer, aimer, tromper, et vieillir .

J'ai suivi pendant tout ce temps le ressenti du narrateur : ses questions, ses impressions, ses obsessions, ses convictions, ses réflexions, son intimité profonde...qui m'ont renvoyée à mes propres questionnements.

Ce dernier tome, le Temps retrouvé, est absolument magistral et particulièrement émouvant.

On découvre Paris au temps de la guerre, les comportements des uns et des autres, la triste réalité de la terrible vieillesse de tout ce petit monde, en particulier celle de Charlus, plus pitoyable et fragile que jamais ... et surtout on a enfin La révélation : Proust se met à nu et nous embarque dans les méandres de son cerveau, pour nous expliquer le cheminement qui va l'amener à écrire ce chef d'oeuvre ..
Ces pages sont justes sublimes, époustouflantes .

Je crains d'être devenue addict ...
Il va falloir que j'envisage un doux sevrage ... mais que cela va être dur !

En tout cas je recommande vraiment à ceux qui n'ont encore jamais osé le faire , de se plonger, à leur rythme, en faisant comme je l'ai fait, une pause entre chaque tome, dans ce monument de la littérature, dans... cette cathédrale !


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Un bonheur de lecture que ce dernier tome de la Recherche. le lire ne m'a pris que quelques jours tellement l'auteur m'a embarquée dans le bouclage de son chef d'oeuvre.

Ce dernier opus fut extrêmement émouvant, peut-être parce que je savais que c'était le dernier, que refermer ces pages allaient me procurer un sentiment d'ores et déjà nostalgique, aussi parce que le narrateur prend conscience de ce Temps retrouvé, que sa procrastination s'étalant sur des décennies, qu'il apparentait à de la paresse, constituait en réalité le Temps de la création de la matière de son roman. Cette prise de conscience est une immense et puissante lame de fond qui m'a touchée.

J'ai été aussi émue par le départ, la disparition, la mort de personnages auxquels je m'étais attachée depuis tout ce temps, aussi par l'âge avancé de certains que la narrateur avait perdu de vue après des séjours prolongés dans des maisons de santé, la sienne étant vacillante.
Le regard de celui-ci sur ses proches contemporains m'a paru s'adoucir, sans qu'il se départisse de sa délicieuse ironie. La fin d'une époque se ressent très fortement, tout comme la finitude d'une vie.

Le Temps retrouvé m'a aidée personnellement : voir et comprendre en mots, en idées, en réflexions, en concepts, ce qui existait (peut-être) dans un état à peine larvé dans mon esprit, ma conscience, mon inconscient, a une saveur particulière que j'ai du mal à expliquer ou exprimer.

Je suis à présent fascinée à tout jamais par Marcel Proust et À la recherche du temps perdu. Je ne peux rien ajouter pour l'instant, étant toujours en phase de décantation, excepté répéter que cette lecture n'est que le début de mon aventure en compagnie de cet immense écrivain.
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Qu'est-ce qui aurait permis au Narrateur de s'affranchir de la tyrannie du temps ? Et qu'est-ce qui de lui-même, s'étant jadis écoulé en pure perte, eût pu à nouveau être trouvé par lui, ou plutôt retrouvé en lui ?

Arrivé au faîte de l'édifice monumental, voilà bien des questions dont le lecteur pourrait espérer avoir une réponse définitive - voire plus, et comme dans ces contes des Mille et Une Nuits si chers au Narrateur, y trouver peut-être le Sésame permettant d'atteindre ces réservoirs dissimulés derrière les parois rugueuses de notre conscience, dans lesquels notre mémoire aurait précieusement conservé une part importante de nos trésors enfouis...

Mais si ces attentes seraient après tout légitimes, il ne faudrait surtout pas se tromper de fiction..!!!

Il serait vain, en effet, de s'attendre ici à l'établissement de rapports de causalité simples entre l'écoulement du temps et le travail de la mémoire ; aussi vain que de demander à un savant de nous représenter une courbure d'espace-temps à l'aide d'une surface plane!

Ce serait bien plus à l'image de ces motifs en apparence indépendants les uns des autres s'étant succédé à l'intérieur d'une même composition symphonique et qui, réunis dans un dernier mouvement par le génie musical de l'artiste, dévoilant enfin leur tessiture commune, créeront un harmonie nouvelle et sublime entre eux, que les différentes époques et temporalités traversées par La Recherche devraient être abordées en son tout dernier volet.

En les entrecroisant et en les juxtaposant, en imbriquant les uns dans les autres les tempos discordants, jusque-là cloisonnés à l'intérieur d'une même partition subjective, son Narrateur aura le sentiment de pouvoir enfin abolir (provisoirement?) le gouffre qui avait séparé ses différents «moi», leur incommunicabilité et leur discontinuité, chacun resté associé séparément à des images et à des moments particuliers de son passé, et de cesser par la même occasion de vivre le passage du temps comme un écoulement à perte, dans un flux de sensations qui, au moment même où on les éprouve, sont le plus souvent impossibles à apparier et à rassembler sous des contours précis, et encore moins à être conservées par notre conscience – et dont sa solitude, en tant que refuge idéalisé, son éternelle procrastination, ainsi que certains des «noms» gravés en lui depuis son enfance à Combray, forgés à partir de ses premières expériences sensorielles du monde environnant, constitueraient pour lui les seuls boucliers susceptibles d'y faire face.

Et comme il en va aussi de la musique qu'on écoute, c'est en faisant taire en lui ce que l'intelligence et les habitudes assèchent de notre expérience la plus intime, celle-là même dont on ne peut donner aucune preuve «matérielle», qu'il pourra s'extirper du joug tyrannique d'une temporalité horizontale et linéaire, celle qu'une mémoire à vocation «uniformisée», bravement volontaire, essaie de classer pour nous en un «avant» et en un «après», générant une sorte de catalogue «rétrospectif» et consultable à la demande.
Grâce à l'intervention d'une temporalité "hors-cadastre", générée par la mémoire involontaire (et à un concours de circonstances tout aussi aléatoire), le Narrateur rejoindra une nouvelle dimension, plutôt «verticale», dans laquelle le curseur du temps, libre pour ainsi dire de monter jusqu'à la limite supérieure de la conscience de soi séparée du reste du monde - dans son cas, par exemple, sur les bords extérieurs de ces «chemins d'aubépines» de son enfance l'ayant en grande partie délimitée – et, en même temps de descendre en soi, à l'endroit même où celles-ci, toujours en fleur, sont restées inchangées pour lui, -, lui permettrait, bien plus que de réactualiser ou de revisiter des souvenirs d'un autre temps, de retrouver la permanence de soi-même dans son passage chaotique et irréversible.

«J'avais trop expérimenté l'impossibilité d'atteindre dans la réalité ce qui était au fond de moi-même. Ce n'était pas plus sur la place Saint-Marc que ce n'avait été à mon second voyage à Balbec, ou à mon retour à Tansonville, pour voir Gilberte, que je retrouverais le Temps Perdu, et le voyage que ne faisait que me proposer une fois de plus l'illusion que ces impressions anciennes existaient hors de moi-même, au coin d'une certaine place, ne pouvait être le moyen que je cherchais (…) Des impressions telles que celles que je cherchais à fixer ne pouvaient que s'évanouir au contact d'une jouissance directe qui a été impuissante à les faire naître. La seule manière de les goûter davantage c'était de tâcher de les connaître plus complètement là où elles se trouvaient, c'est-à-dire en moi-même.»

Tout le contraire donc d'une «nostalgie» pure et simple essayant
de créer un double avenir fictif dans le passé, comme il avait tenté lui-même de faire jadis, notamment après la mort d'une Albertine qu'il allait pourtant avec le temps oublier, cesser d'aimer, son «moi-qui-l'aimait», épuisé à force de se débattre dans une souffrance intolérable, étant lui aussi disparu après elle...

Avec le temps, oui, Léo avait raison, tout va, tout s'en va..!

Temporalités, disions-nous, qui sembleraient s'entremêler harmonieusement dans ce dernier tome, ce à quoi l'on pourrait rajouter, «sans aucune hiérarchie» entre elles.
Et, fait surprenant pour le lecteur attentif, pour la toute première fois depuis cette brèche ouverte dans le Temps, du côté de Combray, l'on y trouvera, parallèlement au flou chronologique caractéristique de la plupart des réminiscences du Narrateur, une datation nouvelle et très précise de certains évènements (après de longues années passées en maison de santé, nous dit-il, il était revenu temporairement à Paris «une première fois en 1914, puis en 1916»(!).

Voici donc Kronos, l'horizontal et linéaire, Aiôn, l'itératif et cyclique, et surtout l'imprévisible Kaïros, majestueusement vertical et impondérable, main dans la main, menant ensemble cette dernière contredanse !

Et d'ailleurs, ce sera en l'occurrence par l'intermédiaire d'un autre «bal», bien plus tard, après de nombreuses années de retraite solitaire s'étant suivies à la mort d'Albertine et à la fin de la Grande Guerre, que le Narrateur - réinstallé définitivement à Paris et faisant son retour dans un «monde» qu'il ne reconnaîtrait d'ailleurs plus dans un premier temps, les méridiens de ce dernier ayant été sensiblement déplacés, ainsi que les figures qui régnaient auparavant sur l'ex-«faubourg Saint-Germain», remplacées depuis en grande partie - nous invitera à témoigner de l'usage qu'il fait des nouveaux verres optiques apportés par son expérience, lui permettant d'apprécier autrement le passage du Temps, et grâce auxquels il se sentira enfin en mesure d'entreprendre l'écriture de son roman.

Longue fantasmagorie chez la (nouvelle) Princesse de Guermantes, qui, à la grande stupéfaction du Narrateur, s'avèrera n'être autre que…Mme Verdurin, ce drôle de «bal des têtes», faisant défiler devant lui toutes les figures emblématiques de son passée, viendra en même temps clore le cycle du Temps Perdu.
Certains miraculeusement encore en vie, d'autres, telle la Berma par exemple, inopinément ressuscités pour l'occasion, presque tous méconnaissables pour lui d'entrée de jeu, mais cultivant cependant toujours, vérification faite, derrière leurs masques craquelant, leurs mêmes habituels travers, mesquineries et autres infatuations; personnages du théatre du monde à la fois pathétiques et malgré tout attendrissants dans leur universalité, leurs propos parfois moins présomptueux ou féroces par la force des choses (et surtout de l'âge) s'étant teintés, à l'image de leurs barbes et cheveux devenus blancs, de cette hypocrisie cordiale qui, comme le disait avec une grande élégance d'esprit le célèbre La Rochefoucauld, s'apparente à «un hommage que le vice rendrait à la vertu» : miroir déformant d'une foire humaine aux vanités qui, tout en nous amusant, peut aussi, en retour, nous faire par moments grincer des dents.

Sarabande à trois temps, au rythme de la laquelle, pris par elle et se reconnaissant en elle, il sera amené à conclure, face à l'irréalisme de la vie, que le temps non seulement est « secrété par lui», mais qu'il devrait désormais «à toute minute le maintenir attaché à lui».

« Bientôt je pus montrer quelques esquisses. Personne n'y comprit rien. Même ceux qui furent favorables à ma perception des vérités que je voulais ensuite graver dans le temple, me félicitèrent de les avoir découvertes au «microscope» quand je m'étais au contraire servi d'un télescope pour apercevoir des choses très petites en effet, mais parce qu'elles étaient situées à une grande distance, et qui étaient chacune un monde. Là où je cherchais les grandes lois, on m'appelait fouilleur de détails.»

Au lieu donc de rechercher à tout prix et partout le temps perdu, il serait avant tout question d'habiter le Temps, de rapprocher les bords de ces abîmes qui ne cessent de s'ouvrir dans nos paysages intérieurs de plus en plus érodés par le passage irrévocable des heures, ou pour dire les choses autrement, et inspiré, une fois n'est pas coutume, par l'esprit de Vladimir…(ouf !) Jankélévitch , essayer de l'habiter depuis ce «primultime» instant créateur de temps pour nous, attachés à son envol qualitativement «premier et ultime», immatériel et probablement irreproductible.

Parce que le Narrateur réussit à l'habiter de la sorte , il peut enfin sortir de sa torpeur et réveiller l'artiste qu'il incarne désormais à ses yeux, faisant de cette recherche du temps perdu la matière même de sa création.

Pour le véritable Auteur, d'autre part, l'oeuvre étant réellement terminée, et lui ayant quitté son enveloppe corporelle, il s'installe pour nous dorénavant en celle-ci, transformé en quelque sorte, à son tour, en double de son personnage, et par-deçà sa propre disparition physique, la poursuivant à travers lui.

Dit autrement, pour son protagoniste et Narrateur, si l'oeuvre elle-même touche à sa fin, la sienne, devenue enfin possible, ne ferait logiquement que commencer. En revanche, pour L Auteur, si son être éphémère a cessé d'exister, cette dernière, impérissable, lui permettrait d'échapper à l'oubli.

«Victor Hugo dit : « Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent. » Moi je dis que la loi cruelle de l'art est que les êtres meurent et que nous-mêmes mourions en épuisant toutes les souffrances pour que pousse l'herbe non de l'oubli mais de la vie éternelle, l'herbe drue des oeuvres fécondes, sur laquelle les générations viendront faire gaiement, sans souci de ceux qui dorment en dessous, leur «déjeuner sur l'herbe.»

Et après tout, ce qui n'existe pas, ou n'existe plus, sinon sous une forme immatérielle ou imaginaire - et ainsi qu'on le réussit parfois à pressentir dans un battement fugitif, bien que n'étant aucunement en mesure de se l'expliquer- ne devrait pouvoir sous certains aspects se révéler beaucoup plus déterminant que tout ce qui se présente à soi et est immédiatement tangible par nos sens affairés ?

Quoi qu'on puisse en dire au final, et quoi que j'élucubre à mon tour ici sur des pages et des pages d'affilée, moi qui -excusez au passage-, en rajoute trop souvent des couches à ne plus en finir, il faudra tout de même bien se résoudre à admettre que jusqu'au bout cette optique multifocale du temps ne se laissera pourtant pas totalement apprivoiser à l'oeil nu, ni saisir complètement, fût-elle extrêmement pointue, par une analyse menée exclusivement par notre «organe-obstacle» préféré, la conscience -selon une autre formule consacrée par le « special guest» (comme aurait pu dire Odette de Crécy) de cet ultime billet interminable, le grand philosophe du "je-ne-sais-quoi" et du "presque-rien": Jankélévitch.
Il faudra également que le lecteur, ayant dans le meilleur de cas réussi à transformer «l'obstacle» en un «organe» moins encombré par sa densité, accepte en outre que l'«irréalisme» sans concession de l'oeuvre sera porté aussi jusqu'au bout de cette dernière (et par ailleurs explicitement assumé en ce dernier tome-testament, mis en opposition à un «réalisme» très largement prédominant dans la littérature de l'époque, à travers un brillant argumentaire développé par son Narrateur-Écrivain), irréalisme qui par ailleurs se dissimule à peine derrière une intrigue amincie à l'extrême et qui, sous une autre plume, ne tiendrait certainement pas longtemps debout!

Si le lecteur se laissait nonobstant porter, comme disait un autre grand poète, «dans son corps intellectuel et entier» par l'harmonie des sphères très particulière qui résulte de cette exploration littéraire de la subjectivité dans ses quatre dimensions, l'on devrait pouvoir alors l'approcher prudemment, sur la pointe de nos petits raisonnements, de manière plutôt tangentielle, intuitive, allusive et analogique, surtout non-exhaustive donc, et jamais définitive : sous une perspective somme toute en miroir à cette logique d'«extra-temporalité» qu'elle explore et qui lui apporte sa signature particulière - l'oeuvre elle-même, comme on le sait bien, et si vous me permettez encore une nouvelle inflation d'antithèses, ayant été livrée en l'état : suspendue à tout jamais en un dénouement provisoire marqué par l'urgence de ses dernières corrections, par les hésitations de ses ultimes conclusions (voir à ce propos l'impressionnante photo de la dernière page du manuscrit du Temps Retrouvé - Cahier XX – reproduite en postface à cette édition) ; ainsi qu'à un recommencement permanent découlant de son terme (ou vice-versa, si l'on préfère : que le projet, par exemple, tant rêvé par le Narrateur de se mettre au travail ne se concrétise pour lui qu'à la fin de "La Recherche", ne nous paraîtra pas, loin de là, incompatible avec le fait que celui-ci serait donc supposé commencer à rédiger un roman qui - nous en avons la preuve là, entre nos mains - eût pourtant déjà été bel et bien écrit!!); et, last but not least, y compris pour nous, ses lecteurs qui, en la refermant, songeons probablement déjà à une relecture incontournable à venir!

Car dès lors que, subjectivement, le temps devient insécable pour nous, toute fin est commencement potentiel d'autre chose, et dans ce qu'on recherchera alors de nouveau, il n'y aura rien qui ne se fut déjà trouvé en puissance en nous («les paradis qu'on recherche sont forcément des paradis perdus»).
Les paradoxes que le temps créait pour nous ne sont plus perçus comme des contradictions sans issue.

Ceci dit, qu'est-ce que je pourrai bien lire après tout ça..?

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Longtemps j'ai couché mes enfants de bonne heure pour retrouver sans tarder A la Recherche. Un temps long, en effet, puisque j'ouvris le premier livre de l'oeuvre il y a un peu plus de dix-huit mois. Si ma lecture des premiers livres était entrecoupée souvent par quelques passades pour d'autres auteurs, elle n'en restait pas moins régulière et fidèle, permettant une immersion nécessaire à une juste appréciation de l'évolution et du parcours des nombreux personnages, qu'ils soient du côté de Méséglise ou du côté de Guermantes. Ce ne fut pas le cas pour ce dernier livre. J'ai probablement eu tort de laisser un espace de temps assez long entre Albertine disparue et le Temps retrouvé . J'avais, à cause de cela, oublié que tel ou tel apparaissait déjà dans un récit antérieur, au cours d'une réception chez le duc de Guermantes ou à La Raspelière en compagnie des Verdurin. Mais, alors que ma difficulté à traverser le long fleuve intranquille d'A la Recherche, sous l'assaut des remous et des courants divergents, commençait à m'épuiser et à me faire lâcher prise, j'ai petit à petit repris mon souffle en retrouvant chez de nombreux protagonistes les instants partagés auprès d'eux durant mes tardives lectures. Et c'est alors qu'arrivé aux abords de l'autre rive, ma perception du temps à sensiblement changée, ce dernier ayant ainsi acquis, à la faveur des descriptions proustiennes du temps intérieur toujours changeant enfouis en chacun de nous, une troisième dimension. Mais au-delà de cette matérialité du temps retrouvé à travers ses observations mémorielles ou présentes, A la Recherche est aussi un hommage à la littérature, en prouvant qu'elle n'est pas qu'un simple passe-temps, que ses buts, bien au contraire, sont plus profonds et capitaux, dont ce dernier n'est sûrement pas le moindre : la littérature donne à son lecteur, non seulement la possibilité de vivre avec son temps, mais aussi, nécessairement, le temps de vivre.
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J'ai fini il y a quelque temps la lecture du septième et dernier tome de A la recherche du temps perdu, le temps retrouvé. J'ai trouvé ce texte prodigieux, magique, et à sa lecture, j'ai, je pense, mieux saisi la complexité et les implications de toute l'oeuvre. Mais dans le même temps ce dernier tome m'a inspiré tant d'impressions et réflexions que j'ai eu beaucoup de difficultés à rassembler mes idées et à le commenter.
Et d'ailleurs, pour moi, impossible de tout dire et de tout décrypter dans ce dernier tome de la Recherche, tant ce que j'y ai trouvé, et qui souvent fait écho aux autres tomes, me paraît riche.

Le temps retrouvé est une oeuvre posthume de Proust (comme le sont La prisonnière et Albertine disparue) publiée en 1927 grâce à son frère Robert Proust. Mais, à la différence des tomes 5 et 6, on sait que ce tome 7, Proust l'explique dans sa correspondance, a été ébauché en même temps que le premier. Sans doute parce qu'il donne les clés de sa conception de la littérature et plus généralement de l'art, et que toute l'oeuvre gigantesque de « A la recherche du temps perdu », cette cathédrale de la littérature, est un développement de la conception du temps et de la mémoire exposée dans ce dernier tome.

Le récit débute par un séjour du narrateur à Tansonville, dans la demeure de son ami Robert de Saint-Loup et de son épouse et ancienne amie Gilberte. Cette entrée en matière, avec ce lieu, tout proche de Combray, avec l'éveil du narrateur dans sa chambre, avec les discussions avec Gilberte, reprend à la fois le thème de Combray de le côté de chez Swann, et le leitmotiv de la chambre du narrateur, que l'on retrouve dans tous les tomes de l'oeuvre, soit au début du roman, soit en cours de roman. le narrateur se trouve confirmé par Gilberte dans l'infidélité et l'homosexualité d'Albertine.
Puis, le narrateur découvre un extrait du Journal de Goncourt, qui lui rappelle son incapacité à écrire une oeuvre. En fait, ce pastiche savoureux se moque du réalisme en littérature, de ce que ne doit pas être une oeuvre littéraire. Il anticipe sur la « révélation » faite au narrateur de ce que doit être une oeuvre romanesque, et d'où elle tire à substance.
Le récit est alors consacré à ce Paris du temps qui passe pendant la première guerre mondiale, un Paris où revient le narrateur après deux séjours dans une maison de repos, un Paris où il y a les « embusqués », parmi lesquels les infâmes Verdurin, et les « courageux », tels ces Larivière qui font preuve de solidarité avec leur famille. Proust nous donne une description sans complaisance de la vie parisienne, de ces soldats qui reviennent du front et qui sont en total décalage avec les parisiens, des rumeurs diverses qui parcourent la ville, des bombardements quasi quotidiens (de 1918) par les Gothas-G, ces dirigeables allemands.
Dans ce Paris, le narrateur va aussi découvrir, avec tristesse, la déchéance du baron de Charlus qui s'adonne, dans un hôtel tenu par Jupien, à des pratiques sadomasochistes, un épisode, qui répond dans un jeu de correspondances, à Sodome et Gomorrhe; puis il va apprendre la mort au front de son ami Saint-Loup.

On retrouve le narrateur des années après la guerre, malade et revenu d'un autre séjour dans une maison de santé. Il se rend à une matinée organisée par le Prince de Guermantes, qui a épousé la richissime veuve Verdurin, sans doute une allusion symbolique à modifications des rapports sociaux induite par la guerre, à cette « prise de pouvoir » de la bourgeoisie fortunée sur l'aristocratie.
Tout d'un coup, la marche sur les pavés disjoints de l'Hotel de Guermantes ressuscite chez la narrateur la félicité d'un retour dans le passé, à un moment de son séjour à Venise avec sa mère. Et c'est la « Révélation » magique, et c'est tout un passage extraordinaire consacré à la mémoire involontaire qui permet de retrouver le passé, avec tous ses exemples, la petite Madeleine, le bruit de la petite cuiller et la nappe empesée, le livre François le Champi de Georges Sand, et d'autres encore.
Et le narrateur de nous expliquer que l'intelligence, le raisonnement sont impuissants à cette connaissance de ce Temps sans début ni fin, ce temps de notre moi, que seul l'art permet, pour paraphraser Klee, « non pas de reproduire le réel, mais de rendre réel », et seul l'art, l'oeuvre littéraire, l'oeuvre musicale, permettent de rendre compte de la vraie réalité, de ce phénomène purement mental qui est le rapport entre nos sensations et nos souvenirs, et qui nous rend hors du temps.
Pages prodigieuses dans lesquels par un renversement de perpective, alors que l'on arrive à la fin du roman, le narrateur nous expose sa « vocation », nous explique qu'il a enfin trouvé la raison d'entreprendre son projet d'écriture romanesque.

Mais le Temps c'est aussi ce fleuve qui mène à la vieillesse, et c'est ce que va découvrir le narrateur dans ce célèbre « Bal de têtes », où toutes les têtes et les corps des invités sont métamorphosés à des degrés divers par les années qui ont passé. Mais aussi, le Temps change les rapports mondains, plonge certaines ou certains dans l'oubli, mène à la mort, modifie, ou pas, les comportements des humains. Certains se bonifient, d'autres qui étaient des salauds dans leur jeunesse sont restés des salauds dans leur vieillesse. Proust se livre là à une analyse pénétrante et cruelle de l'oeuvre du Temps, en décrivant, dans une sorte de final de revue, tous les changements des Charlus, Odette, Oriane, Gilberte, le Duc de Guermantes et tant d'autres.

Les dernières pages, absolument bouleversantes, sont consacrées au projet d'une oeuvre qui donnerait une forme au Temps, et à l'espoir que la mort ne viendra pas arrêter cette entreprise. Alors que surgit, dans une sensation de vertige et d'effroi, le souvenir soudain de la sonnette dans le jardin d'enfance de Combray, le roman s'achève sur cette phrase qui résume le projet de l'oeuvre, et que je reproduis « in extenso »:
« Aussi, si elle (la force) m'était laissée assez longtemps pour accomplir mon oeuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l'idée s'imposait à moi avec tant de force aujourd'hui, et j'y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l'espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu'ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes – entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps ».

Difficile pour moi d'en dire plus dans ce commentaire, tant cette oeuvre est riche et je découvre au fur et à mesure de nouvelles perpectives, par exemple sur les effets de symétrie dans l'oeuvre, sur les motifs récurrents analogues aux leitmotivs de Wagner que Proust appréciait, etc…D'ailleurs, par curiosité, je me suis livré à une recherche sur Internet des ouvrages et articles sur « A la recherche du Temps perdu » et sur Proust en général. Dans cette analyse qui n'est sans doute pas exhaustive, que de documents l'on peut trouver et dans des domaines aussi divers que la psychanalyse, la linguistique, la musicologie, la peinture, l'histoire, etc, preuve s'il en est de la richesse de cette oeuvre.

Il y a bien longtemps, il m'avait semblé que j'avais trouvé dans Guerre et Paix de Tolstoï, le roman « complet » abordant une multitudes de thèmes: la place des humains dans l'Histoire et leur folie destructrice, l'amour, la passion et la haine, la recherche spirituelle, la compassion, et beaucoup d'autres choses.
Je sais maintenant qu'il y a aussi, dans un tout autre registre, À la recherche du Temps perdu, comme médiateur romanesque de l'exploration de la réalité humaine.

Deux remarques d'humeur pour finir.
La première concerne la Préface de « le Temps retrouvé », celle de l'édition de Folio classique, écrite par Pierre-Louis Rey et Brian Rogers. Souvent, je me méfie des préfaces, du 4ème de couverture, qui donnent une vue biaisée du livre que je vais lire et je préfère me faire une opinion sans avoir lu ces documents. Cette Préface confirme mon opinion. Je l'ai trouvée froide, sèche, s'attachant sans empathie à la genèse de l'oeuvre, et à son incomplétude. Je conçois que dans une préface, le préfacier ne doit pas forcément montrer qu'il apprécie l'oeuvre, et peut avoir pour but d'en faire une analyse « objective ». Mais là, non, cela m'a fait penser à la dissection d'un corps par un anatomiste qui oublierait que le corps qu'il dissèque a vécu, aimé et souffert. J'ai trouvé depuis sur internet une introduction passionnante, malheureusement incomplète, de Bernard Brun, dont j'ai appris qu'il était chercheur au CNRS, enseignant à l'ENS, récemment décédé de la Covid. Cette édition existe en librairie au format poche.
La deuxième est une réplique à ce que j'ai lu ici et là sur les lectrices et lecteurs de Proust. Selon certains journalistes ou même Babeliotes, celles et ceux qui ont lu toute « La Recherche » se considéreraient comme des élus, des happy few, on pourrait presque les comparer aux membres de la coterie Verdurin; et même pire, avoir lu ce roman est moqué comme une sorte de challenge sportif. Je sais qu'il y a des « proustolâtres » comme des « rimbaldolatres », mais je pense que je n'en fais pas partie. On peut aussi concevoir, ne trouvez vous pas, qu'une oeuvre littéraire, roman ou poésie, puisse, surtout quand, comme moi, on atteint un certain âge, être essentielle pour votre vie.

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"Le temps retrouvé" est le testament littéraire de Marcel PROUST. Il y dévoile comment se sont révélées à lui, en plusieurs illuminations successives, à la fois la nécessité de son oeuvre et sa substance.

La création littéraire est l'alchimie qui transforme la vie vécue, souvent ressentie comme fade et ennuyeuse, en conscience de ce qu'elle a eu d'unique, pour la seule raison que nous avons été seul à la vivre comme nous l'avons vécue de l'emplacement unique qui est le nôtre.

À travers les déclics de la mémoire et les images qu'elle engendre, s'aperçoivent toutes les strates des souvenirs superposés qui mènent au coeur du mystère de la permanence de l'être et de l'éternité de l'instant.

Cet immense travail sur les relations de la vie, du temps et de l'espace, cette véritable ascèse spirituelle a pour finalité à la fois de repousser la mort et d'y préparer.

La majeure partie de ce dernier livre est constitué de réflexions majeures sur l'art, la philosophie, la création, la mémoire. Des phrases entières, des paragraphes entiers ont fondé la sensibilité contemporaine et se détachent comme des phares devant une côte océanique.

Tels que :

"Cette découverte que l'art pouvait nous faire faire, n'était-elle pas, au fond, celle de ce qui devrait nous être le plus précieux, et qui nous reste d'habitude à jamais inconnu, notre vraie vie, la réalité telle que nous l'avons sentie et qui diffère tellement de ce que nous croyons, que nous sommes emplis d'un tel bonheur quand un hasard nous apporte le souvenir véritable ?"

"Cet écrivain, qui d'ailleurs pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées pour montrer son volume, devrait préparer son livre minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, le supporter comme une fatigue, l'accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n'ont probablement d'explications que dans d'autres mondes et dont le pressentiment est ce qui nous émeut le plus dans la vie et dans l'art."

"Chaque lecteur est quand il lit le propre lecteur de soi-même."

"Avoir un corps, c'est la grande menace pour l'esprit (...) le corps enferme l'esprit dans une forteresse ; bientôt la forteresse est assiégée de toute part et il faut à la fin que l'esprit se rende."

"Je bâtirai mon livre, je n'ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe."

"Combien de cathédrales restent inachevées".

"Je pourrais, à la rigueur, dans la transcription plus exacte que je m'efforcerais de donner, ne pas changer la place des sons, m'abstenir de les détacher de leurs causes, à côté de laquelle l'intelligence les situe après coup, bien que faire chanter doucement la pluie au milieu de la chambre et tomber en déluge dans la cour l'ébullition de notre tisane ne dût pas être en somme plus déconcertant que ce qu'ont fait si souvent les peintres quand ils peignent très près ou très loin de nous selon les lois de la perspective, l'intensité des couleurs et la première illusion du regard nous les font apparaître, une voile ou un pic que le raisonnement déplacera ensuite de distances quelquefois énormes."

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J'ai terminé la recherche hier je crois ou avant-hier, je ne sais plus. Cependant, il y a une chose dont je suis certaine, cela me fait plaisir et en même temps me perturbe.

Comment terminer une lecture de cinq mois comme cela, sans coup férir ?

Certains disent qu'ils ont gravi l'Everest comme s'il s'agissait d'une souffrance, pour moi il s'agit d'une lecture compliquée mais également magnifique.

Ce dernier tome dévoile en fait tout le projet d'écriture, au-delà des péripéties des personnages, très intéressantes.

J'ai retenu que le temps n'est pas linéaire, que le passé, le présent et le futur se confondent. Que le travail de l'artiste, voire de l'écrivain va au-delà de la réalité concrète. Seules les sensations, les 5 sens en marche comme ce jour de la matinée des Guermantes permet à l'artiste d'advenir.

Le narrateur pensait, encore plus lorsqu'il a lu un pastiche écrit par lui-même semble-t-il des Goncourt, qu'il n'avait aucun talent pour écrire. Cependant, lors de cette matinée chez les Guermantes, il a des réminiscences utilisant les cinq sens, qui lui feront observer que le temps n'est pas linéaire. Il n'y a pas le passé, le présent et le futur, tout se confond. L'art, comme la littérature, recherche les sensations plus que la logique. La réalité est extérieure au monde réaliste.

Quelques signes très peu importants en apparence font revenir une mémoire qui se relie avec le présent et le futur, le livre à venir.

Le narrateur, si au début du tome pense n'avoir aucun talent d'écrivain, découvre que finalement, il va créer une oeuvre cathédrale voire une robe.

Au-delà de l'histoire des personnages, notamment au bal des têtes voire dans la rue lors de la rencontre avec Charlus, c'est le temps qui s'écoule et dans le même temps qui renvoie au passé du Cotê de Guermantes et de Méséglise.

Encore une fois, les invertis sont omniprésents comme Charlus ou de Saint-Loup avant sa mort voire, après, lors d'une réflexion sur le besoin de ce dernier d'être viril et d'aimer la vérilité comme homosexuel. La guerre le lui permet.

Tout le monde ment, y compris Gilberte, Berma qui croit être encore quelque qu'un...

Le narrateur voit Charlus apprécier en direct des pratiques homosexuelles sadomasochistes. Il détient un lupanar que Jupien, son ami amant, dirige à sa demande. Il aime être malmené par un harem de jeunes hommes.

La matinée chez le Prince et la Princesse de Guermantes lui démontre qu'il a trouvé sa vocation, écrire ! le temps n'est pas actuel mais bouge, le rève a une fonction essentielle à la création et la maladie, l'âge avançant, il est temps de se concentrer sur l'écriture d'un roman Cathédrale voire robe avant de mourir. Les salons mondains c'est fini, tout le temps, sujet principal de la Recherche, est dédiée à la création d'une oeuvre littéraire, deuxième sujet de cette somme littéraire exceptionnelle.

Maintenant que le 7ème tome a donné sa vérité, sans doute faudra-t-il relire La Recherche avec ce nouvel angle dans quelques années.

La recherche est un chef d'oeuvre absolu qui demande de l'exigence mais quelle récompense au bout du chemin ?
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