Aussi beau qu'un air de viole de gambe au fond d'un pavillon campagnard..
Tout petit livre, grande inspiration- pages confondantes sur la musique et la perte, sur l'art de compenser l'une par l'autre.
Secret, simple, puissant chant de deuil et de regret. Le film qui en est l'adaptation est, lui aussi, un pur éclat de chagrin et d'harmonie.
Une écriture classique, sans afféterie, presque janséniste. Magnifique!
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Il est toujours très difficile de « passer au livre » quand un film vous a tant touché… Ce fut, en tout cas le cas pour moi et « Tous les matins du monde ». Amateur de musique baroque en général et de viole de gambe en particulier, et de Jordi Savall et Marin Marais… j’ai vu dès sa sortie le merveilleux film d’Alain Corneau ; tout en ignorant bien sûr, jusqu’à l’existence du livre et celle de son auteur. Existence qui m’apparaîtra bien vite tant le succès du film, sorti la même année que le livre (1991) aura contribué pour beaucoup à la découverte de la musique baroque et à celle de Pascal Quignard…
Il m’aura fallu 25 ans et la fermeture de la bibliothèque de mon entreprise pour me le procurer comme par hasard…
Une fois de plus, quel choc ! Un texte court, épuré… Une partition dont les fulgurances poétiques sont les appogiatures… Et puis comment faire plus simple et plus évocateur que l’incipit : « Au printemps de 1650, Madame de Sainte Colombe mourut. Monsieur de Sainte Colombe ne se consola pas de la mort de son épouse. Il l'aimait. C'est à cette occasion qu'il composa ‘le Tombeau des regrets’ »… Tout est dit. Le livre peut s’arrêter là.
Non, bien sûr, il ne s’arrêtera pas là, ce qui nous priverait d’un chef d’œuvre. Bien sûr, l’amour de Monsieur de Sainte Colombe pour sa femme le plonge dans une tristesse incommensurable, voisine de la folie. Mais que dire de celle de sa propre fille amoureuse de Marin Marais qui la jettera comme kleenex après usage… Et la musique, dans tout cela ? La musique ? Elle est le principal personnage de ce joyau, et pour moi, guitariste besogneux, le « vous jouez de la musique, Monsieur… Mais vous ne serez jamais musicien » me hante chaque fois que je pose mes mains sur le noble instrument.
Bon soyons bref : un véritable chef d’œuvre que ce « Tous les matins du monde »…
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Pascal Quignard livre ici un texte court, qui frappe à la fois par la simplicité et l'élégance classique de la narration, par son sens du drame, du raccourci et de la chute...Je n'ai pu m'empêcher de penser aux meilleurs contes et nouvelles de Maupassant ou Flaubert.
L'histoire se déroule au milieu du XVIIè siècle. Monsieur de Sainte-Colombe est un vieux musicien de viole de gambe dont la femme est morte quelques années plus tôt et qui élève seul ses deux filles Madeleine et Toinette. Bien que vieillissant, sa réputation n'est plus à faire et Louis XIV aimerait le faire jouer à sa cour. Sainte-Colombe refuse, il est devenu un ours solitaire qui, se retranchant dans la cabane de son jardin, ne joue plus que pour son seul plaisir...et pour le fantôme de sa femme défunte.
Un jour se présente un jeune homme qui souhaite prendre des leçons du vieux maître...Séduisant et talentueux, Marin Marais ne va pas tarder à semer le trouble auprès des deux filles et ses relations avec Sainte-Colombe vont être pour le moins orageuses.
C'est que Marin Marais est ambitieux, et contrairement à son Maître n'a pas les mêmes réserves tant dans sa vie personnelle qu'artistique...
Sous l'apparence d'une histoire simple, l'auteur parvient grâce à un ton sobre tout en finesse et classicisme, à nous faire sentir la complexité des sentiments des personnages, où s'impose Sainte-Colombe, personnage au caractère impressionnant, ambivalent et finalement attachant : solitaire, orgueilleux, bourru, jaloux, mais aussi mélancolique, pudique et généreux sous son apparent coeur de pierre.
Un bel hommage aussi à la musique, et une superbe évocation du temps qui passe, des souvenirs, de la transmission du savoir-faire artistique, mais aussi sur l'amour éternel, la condition de la femme en ce temps-là, tout cela étant exprimé avec un style subtil, sensible sans jamais sombrer dans le pathos...et bien sûr reviennent en mémoire les scènes du superbe film de Jean-Paul Rappeneau et l'interprétation magistrale de Jean-Pierre Marielle (comme Pascal Quignard, icaunais d'adoption et de longue date !), qui a trouvé là le plus beau rôle de sa carrière.
Sans doute le texte le plus accessible, le moins exigeant, de Pascal Quignard. A conseiller pour donner l'envie d'autres, et notamment, j'aime le répéter, de découvrir 'les solidarités mystérieuses", qui m'a énormément plu.
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