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EAN : 9782366511192
376 pages
Paul et Mike (23/05/2019)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
2016. Hédoniste et maniaque des moteurs de recherche, Théo se fait embaucher à la Mission de Contact abritée dans les montagnes tadjikes pour y chercher sa mère, enfuie vingt ans auparavant.
A la Mission, des scientifiques du monde entier étudient les doméglis, qui ont débarqué nul ne sait vraiment quand ni comment. Mais on y meurt facilement, dans ce phalanstère, et les extraterrestres – dont, au fond, pas grand-monde se soucie – sont peut-être moins opaques... >Voir plus
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Derrière leurs têtes attentives et bienveillantes, le ciel était d'un gris orangé de fin du monde, comment s'étonner, c'était la fin du monde, la fin de mon monde, le seul que je connaissais alors, un monde ordonné, sécurisé, où ces choses-là n'arrivent pas, ne peuvent pas arriver. Inimaginables. Le ciel et ses nuages trop vifs bougeaient au rythme de leurs pas une fois qu'ils m'eurent placé sur le brancard. Plus tard, ayant eu accès à mon dossier, j'ai trouvé extraordinaire qu'ils n'aient pas occasionné plus de dégâts, un miracle, un signe, tout Lui est possible, et encore, ce n'était pas le pire, le pire était le temps lui-même qui a failli m'être fatal quand ils ont fini par s'avouer vaincus devant les débris qui leur barraient la route, à eux comme à tous ceux qui, de même, essayaient de quitter le site avec des blessés à bord de leur voiture. Un chasse-neige était en chemin, deux, trois chasse-neige, spécialement descendus de leur estive, les seuls capables de balayer les débris de tôles, de parpaings, de fermettes, qui jonchaient toutes les voies d'accès et empêchaient qui que ce soit de faire plus d'un kilomètre, pneus explosés, jantes ripant sur les ferrailles, impossible d'avancer, il fallait pousser déblayer mais au bout de cinquante mètres même les plus costauds s'avouaient vaincus, coincés pris au piège, la merveille mécanique n'était plus qu'un agencement de tôle inutile inamovible. J'entendais tout, de mon état semi-comateux dont l'ouate, inexorablement, se densifiait s'épaississait et pourtant j'entendais tout. Les conducteurs mis à pied se rassemblaient autour du camion des pompiers, je ne voyais rien que le plafond du véhicule mais le concert de voix s'amplifiait comme mon coton, de plus en plus ils mentionnaient l'hélicoptère, les hélicoptères qui allaient arriver qui étaient en chemin, mais qu'est-ce qu'ils foutent bordel, les infos en parlaient déjà et il n'y avait encore personne, je n'avais plus mal, c'était merveilleux, un royaume s'ouvrait à moi, les voitures des curieux paraissait-il s'amoncelaient à l'entrée de et je repartais à une vitesse, je ne voulais p
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Le malaise diminue lorsque je regarde au sud, loin, là où la vue se dégage, là où on aimerait être un oiseau pour prendre son élan vers les gris-bleu de plus en plus tendres à mesure qu'on se rapproche de l'horizon. Je dis :
 « Je ne suis jamais allée plus à l'est. Jamais allée vers Khorog.
— Tu parles sur quoi ? Khorog, c'est le sud, plutôt. Murghab ? C'est direct pour l'est.
— Non, pas Murghab… Enfin, je ne sais pas. Vers l'est. Je voudrais aller vers l'est.
— On va quand tu veux. Je peux encontrer une automoville. »
La prévenance de Venilson, qui sent un peu l'herbe, ne me console pas. Ce que je voudrais, ce n'est pas aller à Murghab, ni dans aucune ville même si ce n'est qu'un gros village ; je veux juste marcher dans les montagnes, m'éloigner de plus en plus et que ça ne s'arrête pas. Mais la raison dit, cette pute, qu'en marchant tout droit je ne pourrai pas éviter de sortir des sommets, qui ont une fin comme tout sur Terre, et l'idée de voir les pentes s'adoucir vers une plaine, la montagne céder à nouveau à l'humain et à la ville (qu'est-ce qu'il y a, derrière le Pamir ? Le Kazakhstan ? L'Inde et sa densité humaine au-dessus du supportable ? Ça me revient : la Chine. Presque aussi pire que l'Inde), cette idée m'est si pesante que je me retrouve à pleurer, les yeux tournés vers l'amont de la Pandj. Venilson regarde dans la même direction, il ne voit rien.
 « Tu vas me prendre pour une cinglée, tant pis… Voilà : je me sens enfermée, à un degré que tu ne peux pas te figurer. On n'aurait jamais dû me dire que la Terre est ronde. Là, j'ai juste l'impression que où que j'aille, je finirai par revenir à la même place. Et je ne supporte plus cette idée.
— Théo, je crois que tu fais un vide à tendance dépressive. C'est normal, avec tout que tu as vivé. Il faut t'agiter. Je vais pas te faire la chanson que tu es jeune, tu es belle, tu es intelligente et tu as la vie de front mais de quelque mode, pense un peu. Il faut tu décantes, ça ira mieux depuis. »

Nous gisons tous les deux sur le dos, côte à côte, au-dessus de nous le ciel est d'un bleu presque sombre à force d'être profond. Je vais être pleine de poussière.
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Il semble chercher une échappatoire, ne pas la trouver, soupire :
 « Je n'ai pas de mot à vous donner en exemple. Nous sommes pour l'instant dans une démarche globale qui... »
Je l'interromps avant qu'il ne se relance dans une tornade jargonnante, annoncée par une réaugmentation de son débit :
 « Quand vous dites que vous n'avez pas de mot à me donner en exemple, ça veut dire qu'aucun mot de domégli n'a encore été, heu, traduit ? »
Brève apnée, puis, dans un flot :
 « Vous savez, la notion de traduction n'a sûrement pas en linguistique le même sens que pour le grand public. Il ne faut pas s'imaginer qu'on peut avoir, peu ou prou, une bijection entre... »
À voir comment il surfe et s'apprête à patauger, je commence à mesurer ce qu'il dissimule. On ne m'aura pas comme ça. Je hausse le ton :
 « Le plus impressionnant pour des non-spécialistes serait de découvrir à quoi ressemble un mot de domégli, même si son sens exact n'est pas encore établi... Vous pourriez m'en dire un ? »
Oh, comme il n'a pas envie de répondre. Mais ma question rend difficile la dérobade.
 « Je, heu... Nous avons effectué beaucoup d'enregistrements, comment dire, pour caractériser sans ambigüité, hem, à l'évidence les phonèmes ne sont pas similaires et il faut d'abord... Nous travaillons à distinguer les émissions significatives au milieu de, heu, l'équivalent des... onomatopées, si vous voulez. Et puis, nous ne sommes pas complètement sûrs que des signaux de nature différente, non auditifs, n'interviennent pas dans la syntaxe, comme par exemple des émanations de phéromones très localisées dans le temps, ou des mimiques... Ces dernières sont très difficiles à quantifier, vous sav...
— Ça veut dire qu'aucun mot reproductible par une bouche humaine n'a été encore identifié ?
— Heu... Non. Mais on ne devrait pas en être loin. C'est une question de quelques mois. »
Bien sûr bien sûr.
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Allez, deux secondes d'honnêteté. Je me moque sous cape de Duru, comme de tous les montagnards – ils sont en bonne proportion à la Mission – qui adorent tenir leur entourage au courant de leur lever à quatre heures ce matin pour voir l'aube sur les bords de la cuvette, ou de l'altitude à laquelle ils sont parvenus sur le Pic du Communisme (il m'a fallu du temps pour réaliser que c'était là son ancien nom officiel, et pas un sobriquet), et qui ne sont jamais avares de superlatifs pour rendre compte de leurs émotions, « sublime » ne quittant le top trois que pour céder la place à « grandiose » ; il faut néanmoins reconnaître que quand on regarde au loin, dehors, c'est quelque chose. Je continue à être émue par la succession des sommets dans l'orangé des crépuscules, et ça m'arrive d'être en retard au dîner à cause d'une contemplation prolongée. Les montagnards peuvent ricaner, le parking est un très bon point d'observation.
Mon heure préférée, depuis toujours, c'est juste avant que la nuit ne tombe. Quand les couleurs prennent une profondeur vertigineuse. Quand l'air, aussi agité se soit-il trouvé, s'immobilise sous le ciel qui vire. Quelle que soit la localisation, cette heure-là, qui n'en a pas parce qu'elle n'est fixée que par la chute du jour, m'apaise même dans l'atmosphère viciée du Sébasto – alors avec ces paysages majestueux, ces crêtes qui semblent à portée de main tellement l'air est transparent... Je me serai ainsi tapé un nombre incalculable de couchers de soleil sur le parking, juste pour l'heure bleue qui vient ensuite, à la fin de laquelle je retourne m'agréger à la cantine de l'ONU pour le dîner.
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