Certains villages de montagne ne voient pas l'hiver pendant plusieurs mois, en raison de leur orientation, de la pente, de l'ombre des montagnes au-dessus d'eux ; j'en connais dans ma vallée de Savoie, et j'en connais un maintenant, en Suisse,
Saint-Martin d'en-haut. Est-ce vraiment un village toutefois, puisqu'il n'a même pas d'église et que les habitants doivent « descendre » à
Saint-Martin d'en-bas pour assister à la messe le dimanche, qu'il n'est pas relié à une route goudronnée et déneigée l'hiver, forçant le médecin à finir le trajet à dos de mulet ? Mais ce n'est pas un village coupé du monde, il y a des échanges avec la vallée et le reste du pays, certains migrent de façon saisonnière pour le travail, d'autres s'y rendent pour affaires chez le notaire, et les filles trop belles y partent définitivement pour le plaisir... Et ce n'est pas un village figé dans le passé ou hors du temps, non, les
nouvelles du dehors y parviennent, notamment la guerre d'Espagne, grâce à la radio TSF, signe de modernité ; ces éléments nous permettent de contextualiser, d'avoir une date en tête.
Mais ce village –
Saint-Martin apparaît presque comme un personnage en soi, dont les habitants ne sont que des composantes, est à part, éloigné géographiquement et mentalement, dans le sens où les habitant ont un autre univers mental. L'écriture donne l'impression d'un décor de conte : il y a l'enchanteur qui vit dans une chaumière où pendent les herbes médicinales, il a une barbe et des cheveux blancs comme Merlin et il prophétise l'avenir. Il y a une sorcière, la vieille Brigitte, qui marmonne et qui compte les jours avant la disparition du soleil. Il y a le personnage qui veut accomplir un exploit, une quête initiatique pour prouver sa valeur comme le héros d'un conte en grimpant tout en haut de la montagne pour aller chercher le soleil, mais qui finit terrorisé, brisé par ce qu'il a vu, par sa découverte des secrets du monde. Il y a la fille perdue, Annabelle, et il y a la princesse, Isabelle, celle qui porte la couleur dans ses vêtements, sur ses joues toujours fraîches, qui apporte la joie dans son sourire et son rire, qui fait tourner la tête des hommes par ses charmes et sa maîtrise de la sexualité. Isabelle ramène au réel, elle chasse par sa matérialité et sa joie l'impression de malaise apportée par le mauvais temps, les tempêtes, l'obscurité, et les bavardages inquiets des crédules – ou des croyants ? - du village. Oui, l'impression de lire un conte noir, gothique, donne envie d'adhérer aux angoisses des habitants, de croire que le récit va vraiment basculer dans le fantastique.