Travis pêche et se décide à remonter la Caney Creek, s'enfonçant de plus en plus dans l'eau et la nature, espérant trouver des truites mouchetées qui lui rapporteront plus gros que les simples truites qu'on trouve en amont de la rivière. S'enfonçant toujours plus, il pense à son père qui lui a dit de faire attention à ne pas aller trop loin, car on risquerait de mettre plusieurs jours à retrouver son corps si il avait un accident. Etonnant d'ailleurs que son père s'inquiète de cela, lui qui considère ce fils de dix-sept ans comme chétif, stupide, bon à rien dans ses champs de tabac et ressemblant trop à sa femme. Normal, c'est elle qui l'a voulu.
Travis poursuit son avancée et tombe sur un champ de cannabis. Il appartient aux Toomey, deux fermiers violents à la triste réputation de tueurs. Travis s'en moque. Et le voilà trafiquant du cannabis volé avec Leonard, ancien prof de lycée de 35 ans, qui vit dans un mobile home décati… le drame n'est pas loin, qui va bousculer la vie de Travis et celle de Léonard.
Il y a une belle profondeur dans «
le monde à l'endroit ». D'une part, grâce à des personnages intéressants et très attachants, entourés de quelques personnages secondaires tout aussi bien développés. Mais également grâce à deux aspects essentiels du roman : la nature, qui apporte un décor omniprésent et grandiose, et d'une certaine manière, reflétant vie intérieure des personnages -la truite, accompagnant le cheminement de Travis ; la montagne et ses reflets, celui de Leonard. Les descriptions, précises et poétiques, offrent à la narration un niveau de langage complexe tranchant avec celui des personnages. Ces différents niveaux de langage ont leur importance dans le roman (et certainement plus encore en vo) : le langage des agriculteurs et celui de ceux qui sont instruits; le langage du père de Travis et celui de son fils et de Léonard, comme un gouffre profond, au bord duquel Travis joue en permanence sa propre vie.
Et puis il y a l'Histoire, la Guerre de Sécession qui a baigné de sang la famille de Travis et que Léonard lui dévoile. En filigrane du roman, nous lisons le registre d'un médecin de campagne, compte-rendu concis et émouvant de ses interventions auprès de la population et notamment durant cette guerre.
C'est par le goût des livres et de la connaissance que Leonard tentera d'aider Travis, tête brûlée fine et sensible, en quête d'une impossible reconnaissance paternelle.
De beaux portraits donc, où violence et poésie se côtoient avec intelligence, sans concession ou sensiblerie : avec honnêteté. Un univers qui, de loin, par sa « ruralité », m'a évoqué «
Arrive un vagabond » de R.
Goolrick et permis de comprendre ce qui me fascine et dérange chez lui : une fascination de la faute, l'endroit par où le mal s'insinue et où peut-être une rédemption est possible. Chez
Ron Rash, il n'y a pas tant de complexité. Les personnages suivent leurs intuitions avec la conscience des bêtises qu'ils commettent et même quand la situation tend vers le tragique, ils sont clairs avec eux-mêmes et leurs choix, leur choix de s'en sortir ou non. Pas de fatalité donc, mais des vies blessées, où par la curiosité et le travail, on peut éventuellement s'en sortir.