Bon sang, il est très bon, ce dernier livre de
Thomas Reverdy !
Trois raisons de lire cet excellent livre :
Sociologiquement, tout d'abord, c'est une excellente description de la vie dans ces « banlieues » parisiennes, loin des images choc de chaînes d'information en continue qui ne font qui passer à l'occasion d'émeutes. Dans ce livre, on se centrera sur Bondy, une ville de Seine St Denis située à 6 km de Paris, mais à des années lumières de la capitale d'un point de vue sociologique. A proximité de Aulnay-sous-Bois, du Blanc-Mesnil, de Bobigny ou de Drancy (des noms qui raisonnent tous aux oreilles des auditeurs ou téléspectateurs lorsqu'il question d' « ensauvagement"), on entendra la colère gronder et monter au fil de la journée, suite à une altercation entre un jeune de la cité, Mo, et un personnage malveillant qui s'avèrera … appartenir à la police.
Pédagogiquement aussi, c'est un subtil témoignage sur la vie des profs dans les lycées de banlieue « du 9.3 » et qui font partie de l'académie de Créteil, surnommée « l'académie à 21 points » (21 points étant le barème le plus bas pour obtenir un poste) – ce qui signifie qu'ils ont le minimum de points requis pour une affectation (la plupart attendant avec impatience d'être mutés ailleurs) et qu'ils doivent affronter quotidiennement une armée de collégiens prête à se soulever face aux adultes.
Candice, une sympathique professeure de français oeuvre dans ce collège de banlieue. Ce qui l'a retenue, se demande l'auteur ? « Une poignée de collègues, et surtout cette sympathie qu'elle a pour les élèves, même les plus affreux. Mais l'impression que les choses se dégradent peu à peu la mine. le lycée qui tombe en ruine, bâtiment après bâtiment, salle après salle. le baccalauréat abandonné. Les programmes de plus en plus contraints, réactionnaires et inutiles. Les élèves de plus en plus loin de la lecture, du savoir, de l'enseignement. Les collègues paupérisés, de moins en moins conscients d'appartenir à une sorte de bourgeoisie éclairée dont le rôle serait de guider le peuple vers l'émancipation – c'est ronflant à dire mais c'est bien ça être prof. »
Poétiquement, c'est encore plus intéressant peut-être. le personnage principal, Paul, est écrivain – pas spécialement connu, donc avec une vie faite de petits boulots et d'expédients pour survivre. Lorsque l'histoire commence, il est appelé au Lycée de Bondy par Candice, qui tente d'éveiller ses élèves aux classiques de la langue française, en leur expliquant les subtilités de la princesse de Clèves (clin d'oeil aux adolescentes d'aujourd'hui) ou du Bourgeois Gentilhomme avec tous ces sous-entendus que les adolescents d'aujourd'hui ne comprennent plus.
Paul Le poète a dû « traverser la nationale et passer sous l'autoroute », avant de rejoindre l'établissement scolaire. Et c'est tout un territoire qui se définit dans ce croisement de routes qui ne s'arrêtent jamais à Bondy et se dirigent vers d'autres destinations bien plus prestigieuses.
Paul pratique les ateliers d'écriture, et il va exercer ses talents avec plusieurs classes, ce qui va produire des effets étonnants parmi des élèves (notamment sur Mo, amoureux d'une collégienne qui ne s'intéresse pas du tout à lui) à qui on n'avait jamais donné l'opportunité de s'exprimer librement.
Je l'avoue, en tant qu'animatrice d'atelier d'écriture moi-même, des passages m'ont ému aux larmes.
Il y avait longtemps que cela ne m'était pas arrivé : lire, sous la plume si pertinente de
Thomas B. Reverdy, le récit de ses adolescents un instant oublier la violence de leur environnement pour déverser sur le papier le contenu de leur quotidien m'a profondément touchée.
Thomas B. Reverdy est prof dans la vie, et ça se sent tout de suite. Voilà quelqu'un qui sait de quoi il parle. Et lorsqu'il nous raconte une histoire, au cours d'une seule journée, de cette montée de colère extérieure au collège mais qui va bientôt déferler sur l'établissement scolaire, on y croit tout à fait.
Thomas B. Reverdy dit encore dans une interview : “En tant qu'enseignant, j'ai plus l'impression d'être un travailleur social qu'un bourgeois éclairé qui oeuvre pour la jeunesse” et c'est bien de cette position qu'il nous écrit également.
Car il y a une lecture politique aussi qu'on peut faire du « Grand Secours ».
« Au fil des années » dit Reverdy encore dans une interview, « la pratique de l'écriture à l'école recule. Au lycée et au collège, on fait de moins en moins de rédaction. La dernière réforme a d'ailleurs supprimé l'épreuve d'écriture d'invention au bac. Je trouve que c'est dommage, car petit à petit, on oriente l'écriture vers l'écriture argumentative en se disant qu'on est en train de travailler le raisonnement, mais en réalité, on est juste en train d'appauvrir l'imagination. D'une certaine manière, l'école tue l'imagination et je trouve ça assez triste. " dit l'auteur.
Ni documentaire sur les banlieues, ni témoignage sur les collèges d'aujourd'hui pour autant, ce récit mériterait vraiment d'être lu au plus haut niveau ( j'allais dire par notre Ministre de l'Education, mais il est entre temps devenu
Premier Ministre) parce qu'il relate le quotidien de ces communautés éducatives qui font ce qu'elles peuvent pour préserver un peu de citoyenneté, d'apprentissage des règles de démocratie, et enseigner des fondamentaux à des adolescents qui vivent le pire dans ces cités de région parisienne.
Pour ne pas divulgâcher la fin, on ne dévoilera pas la raison du titre de ce « grand secours » qui sera l'élément final qui mettra un terme à la révolte des jeunes. Mais le sous texte ne signifie-t-il pas que la littérature, elle aussi, pourrait être notre dernier secours à tous, face à ces situations désarmantes auxquelles les profs sont confrontés ?
De
Thomas B. Reverdy j'avais aimé «
Il était une ville » qui traitait déjà de la question des banlieues abandonnées, mais là il s'agissait de Detroit aux Etats-Unis. J'avais aussi apprécié «
L'hiver du mécontentement », et dans une moindre mesure «
Climax », plus récent, sur les questions de dérèglement climatique.
Avec beaucoup de finesse, «
le Grand secours » est ici un puissant hommage à la littérature, la vraie et au fait de lire et écrire (l'un ne va pas sans l'autre, explique Paul à des collégiens qui n'ont jamais l'occasion de s'exprimer ainsi). En cette période d'incertitude ou un Ministre de l'Education Nationale peut devenir
Premier Ministre, recourir à l'ouvrage de
Thomas B. Reverdy et en ressortir bouleversé peut être d'un grand secours.