7h30 un lundi matin de janvier. Banlieue, Bondy Seine saint Denis. Laideur du lieu. Sous l'autoroute A3 "un carrefour monstrueux, tentaculaire" On imagine le bruit infernal, les odeurs nauséabondes. C'est par là que nos protagonistes arrivent pour aller au lycée.
D'abord il y a Mo jeune lycéen réservé, amoureux de Sara une fille de sa classe. Il part tôt de chez lui et, accoudé à la balustrade du pont de bondy, regarde le soleil se lever:
"Il ya toujours un moment un peu miraculeux quand ça arrive, quand on est là pour le voir. le canal est blanc comme un linceul, ciel voilé, deuil qui se traîne, de plus en plus clair, embrumé, laiteux, un ciel à croire qu'il va neiger, et puis le soleil apparaît. Il déchire les nuages, ceux de l'horizon, il les disperse, il les brûle comme une flamme brillante de soudeur qui transpercerait du coton, et le ciel autour s'enflamme, ça ne dure peut-être que dix ou quinze minutes, le vent se lève avec le jour et le ciel devient rose et jaune comme une carte postale, comme s'il n'y avait jamais eu de nuages. le soleil ouvre le ciel comme un voile. Laisse passer les anges. On voit aussi ça ici."
Ici aussi rêver est possible.
Pendant ce temps Paul se lève. Chemise blanche, boots en cuir bleu et "cheveux éparpillés" Paul part pour Bondy. Il est écrivain poète et a décroché une bourse pour animer un atelier d'écriture dans ce lycée de banlieue. Un bon plan financier qui lui permettra de tenir quelques mois.
Il va travailler avec Candice qui arrive à vélo. Candice a 35 ans, elle est célibataire et est la prof de français de Mo. Pleine d'énergie, persévérante elle croit encore et toujours à son métier. Avant les cours, entre le café et les photocopies, elle se "fait les lèvres au rouge Chanel, un rouge de toréador comme les élèves n'en ont jamais vu, un rouge de corrida". Cela accroche le regard des lycéens à sa bouche et cela l'aide à se faire entendre lorsqu'elle parle de la Princesse de Clèves ou du Bourgeois gentilhomme!
Voilà.
Unité de temps, de 7h30 à 17h scandé par les réveils, la sonnerie de fin d'un cours, le déjeuner à la cantine et l'AG;
Unité de lieu, Bondy et son lycée;
Nos trois principaux protagonistes, mais aussi de nombreux magnifiques personnages secondaires (de la CPE au prof syndicaliste).
La possible tragédie peut commencer.
Thomas Reverdy nous embarque avec un réalisme saisissant et des moments de grâce percutants dans cette folle journée.
Car tout va basculer suite à une petite étincelle, un accrochage entre un élève du lycée et un homme qui s'avèrera être un policier en civil. Une bagarre filmée et postée sur les réseaux sociaux. Au fil de la journée tout va s'accélérer pour arriver à l'émeute et au drame. Les chapitres s'enchaînent, on est happé.
Thomas Reverdy démonte cet enchaînement de faits, cette défraglation qui enfle jusqu'à l'incendie. Il montre la frustation et la violence qui couve sous la colère et le désespoir de ces jeunes.
Il nous parle aussi de ces professeurs qui croient encore que l'engagement, le savoir et la transmission de la culture sont une des réponses. Eveiller les esprits par la rencontre avec des textes. Echanger, faire confiance, confronter ses interprétations et puis s'essayer au jeu théatral, à l'écriture. Il y a de très beaux moments, par exemple lorsque les élèves et leur professeure confrontent leur analyse du Bourgeois genthilhomme ou lorsque Paul parle de l'écriture, la démystifie sous l'oeil un brin inquiet d'une autre professeure. L'école, un lieu où la parole et le débat ont leur place, où les gens s'écoutent et se respectent, où l'on peut tenter, oser.
Mais ici, ce jour là tout vacille. La violence est aussi entre les murs.
L'écriture de Thomas reverdy alterne le réalisme cru, la description précise des faits et des sentiments avec des passages à l'écriture très rythmique et musicale de textes , poétiques . Tout est profondément touchant. Un roman en équilbre sur une crête, celle d'un monde qui n'a pas encore basculé dans la noirceur totale, où l'espoir et la beauté ont encore une place grâce notamment, aux profs qui travaillent à Bondy où dans ces quartiers que la République abandonne petit à petit.
"...Des rues gardées surveillées par les nouveaux rois du quartier
Des terrains vagues où l'on ne va plus jouer
Mais c'est chez nous
Au pied des murs
Ce labyrinthe
Chez nous.
Et moi je marche seul le long des allées
Je longe les murs les trottoirs
Je remonte ma capuche et je monte le son
Je prends des rues des chemins des ponts
Le soleil se lève enfin et j'arrive
Pour venir te rejoindre..."
Un coup de coeur que je vous invite à découvrir.