UN PEU TROP FANTASMAGORIQUE
J'avais lu le premier tome et j'avais trouvé la résurrection de Cléopâtre vingt siècles après sa mort plutôt grossière. Officiellement, elle s'est suicidée en se faisant mordre par un panier entier de serpents venimeux à cause de ses amours ratées, avec Jules César et Marc Antoine. C'était un grand traumatisme pour sûr. La ressusciter dans un monde moderne, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, doit être un second traumatisme. Au moins un double second traumatisme : être ressuscitée d'abord, et ensuite vingt siècles après sa mort. C'était pour le moins douteux à bien des égards. Mais bon, pourquoi pas, comme expérience pour tester le pouvoir fictionnel de l'auteur à représenter, décrire et construire cette surenchère maximale de stress traumatique.
J'ai donc abordé le deuxième volume avec une certaine angoisse. Et quand j'ai découvert que nous étions en septembre 1914, au début de la Première Guerre Mondiale, et qu'une sorte de complot apparaissait pour tenter d'arrêter la Première Guerre mondiale en faisant passer la Russie du côté allemand avec une arme mystérieuse venue du lointain passé égyptien, je n'ai pas trouvé cette tentative amusante. La science-fiction n'essaie pas d'agir sur un événement passé et de le changer. Nous pouvons imaginer ce que serait le monde si Hitler avait gagné la guerre, comme dans « The Man in the High Castle », un livre et une série vidéo prime sur Amazon. C'est de la fiction, mais avoir une intrigue en temps réel pour changer les événements qui se déroulent au moment où les différents acteurs du drame parlent, et ainsi détourner l'histoire dans une direction étrange, ce n'est pas de la vraie science-fiction. Ce n'est pas une véritable utopie. Ni même une véritable dystopie. C'est une divagation historique parce que nous savons que cela n'a pas eu lieu. Et en fait, l'auteur en est conscient puisqu'à la fin du roman, la menace a été éliminée et l'histoire peut continuer comme elle s'est passée, et ainsi nous pouvons avoir le carnage de la guerre mondiale numéro 1 dans toute son horreur et son absurdité sanglante.
Bien entendu, nous savons dès le départ que cela doit être la fin et cela rend l'intrigue plutôt lâche et plutôt peu envoûtante, fascinante ou même simplement intéressante. Alors, Christopher Rice règle-t-il ses comptes avec l'intégrisme religieux de sa mère ? Probablement, en explorant un être surnaturel qui n'est pas un dieu mais qui a toutes les caractéristiques d'un dieu, sauf qu'il se nourrit, s'alimente, se rassasie, et bien sûr, c'est un mâle, sur les mourants, sur les morts dont il engloutit les âmes comme si c'étaient des chocolats de Léonidas ou des cacahuètes de Jimmy Carter. C'est la version la plus morbide de Dieu que j'ai jamais rencontrée. Peut-être le Livre des morts des bouddhistes tibétains (
Bardo Thödol pour les initiés), mais certainement pas les Seigneurs de la mort du Xibalba maya. C'est du cannibalisme nécrophile.
Et en plus, comme ce cannibale surnaturel avait rendu Ramsès mortel pour pouvoir un jour manger son âme à sa mort, on a cru, pendant environ deux paragraphes que la série était terminée. Imbécile que j'étais, en effet. Bien sûr, tous les immortels qui vivent éternellement grâce à la vieille potion venue du très lointain temps pré-pharaonique sémitique ou afro-asiatique, décident de donner au mortel Ramsès une seconde chance d'être immortel. Et voilà, il y aura un troisième tome.
Mais le point principal pour moi c'est que Christopher Rice n'a pas le style magique de sa mère qui pouvait rendre la situation la plus bizarre et bouleversante fascinante et même hypnotisante. Christopher Rice est bon pour décrire l'action d'une histoire, au mieux les réactions psychologiques concrètes et terre à terre des personnages, mais pas la magie des fantasmes oniriques d'un esprit ou d'une âme perdue dans les divagations les plus traumatisantes d'une situation cosmique surnaturelle avec une religion du sang à part entière et parfois des religions basées sur d'autres fluides, comme l'histoire de Beauty. Je pense même que les recherches sur les anciens rites, rituels et religions égyptiens n'ont pas été faites, du moins pas assez profondément. Osiris ne s'anime jamais vraiment devant nos yeux et son oeil lui-même, brisé en cinq, n'est pas si mental, spirituel, extranormal, juste au mieux effrayant. Mais c'est une histoire, donc la peur n'est pas réelle.
Dr
Jacques COULARDEAU
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