Citations sur Au-dessus de la mêlée (71)
À propos des intellectuels français et allemands :
Mais il faut bien le dire, ni d'un côté ni de l'autre, ils n'ont fait grand honneur à l'intelligence, ils n'ont pas su la défendre contre les souffles de violence et de folie. Une parole d'Emerson s'applique à leur déroute :
"Nothing is more rare in any man than an act of his own."
("Rien n'est plus rare dans un homme qu'un acte qui vient de lui, en propre.)
Leurs actes et leurs écrits leur sont venus des autres, du dehors, de l'opinion publique aveugle et menaçante.
L'homme cultive les vices qui lui sont profitables ; mais il a besoin de les légitimer ; il ne veut pas les sacrifier : il faut qu'il les idéalise.
Les plus lumineux génies de la terre chantent, comme Walt Whitman et Tolstoï, la fraternité universelle dans la joie ou la souffrance, ou, comme nos esprits latins, percent de leur critique les préjugés de haine et d'ignorance qui séparent les individus et les peuples.
Un grand peuple assailli par la guerre n'a pas seulement ses frontières à défendre : il a aussi sa raison. Il lui faut la sauver des hallucinations, des injustices, des sottises, que le fléau déchaîne. À chacun son office : aux armées, de garder le sol de la patrie. Aux hommes de pensée, de défendre sa pensée.
"La discussion est impossible avec quiconque prétend non pas chercher mais posséder la vérité"
"On fait la guerre à un Etat, on ne fait pas la guerre à un peuple"
"Je ne regarde pas la guerre comme une fatalité.La fatalité, c'est l'excuse des âmes sans volonté"
"La raison, patrie de l'homme"
Quand on vient de goûter, après trois mois de luttes fratricides, ce sentiment reposant de large humanité et qu’on se retrouve ensuite au milieu de la mêlée, les cris de haine des journaux aboyants font horreur et pitié. Quelle besogne croient-ils faire ? Ils veulent punir des crimes et sont eux-mêmes des crimes : car les mots meurtriers sont les semences de meurtres.
Dans la lutte éternelle entre le mal et le bien, la partie n’est pas égale : il faut un siècle pour construire ce qu’un jour suffit à détruire. Mais aussi, la fureur aveugle n’a qu’un jour, et le patient labeur est le pain de tous les jours. Il ne s’interrompt pas, même aux heures où le monde semble sur le point de finir. Sous l’entrecroisement des bombes des deux armées, les vignerons de Champagne récoltent leur vendange. — Et nous, faisons la nôtre ! Elle réclame les bras de tous ceux qui sont en dehors du combat. Il me semble notamment que pour ceux qui continuent d’écrire, il y aurait mieux à faire qu’à brandir une plume sanguinaire et, assis devant leur table, à crier : « Tue ! Tue ! » Je trouve la guerre haïssable, mais haïssables plus ceux qui la chantent sans la faire. Que dirait-on d’officiers qui marcheraient derrière leurs soldats ?
Vous, chrétiens, pour vous consoler de trahir les ordres de votre Maître, vous dites que la guerre exalte les vertus de sacrifice. Et il est vrai qu’elle a le privilège de faire surgir des cœurs les plus médiocres le génie de la race.
Ainsi, l’amour de la patrie ne pourrait fleurir que dans la haine des autres patries et le massacre de ceux qui se livrent à leur défense ?
(À propos de Jean Jaurès).
Ce grand Européen était un grand Français. - Mais il est sûr que le devoir patriotique m, accompli fermement, ne l'eût pas empêché de maintenir son idéal humain et de guetter, en veilleur vigilant, toute occasion de rétablir l'unité déchirée. Certes, il n'eût jamais laissé aller le vaisseau du socialisme à la dérive, comme ses débiles successeurs.