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EAN : 9791097594985
144 pages
Serge Safran éditeur (14/01/2021)
3.82/5   11 notes
Résumé :
Déjà, sa mère, Rosy, était une enfant de père inconnu. Le destin fait qu’à son tour, Annie, sa fille, va être abandonnée par son père.
Comment vivre et se construire sans père, sans sa présence, son affection, sans son nom ?
Annie grandit dans ce manque, ce vide, cette absence, qui nourrit son imagination, choyée par sa grand-mère qui a traversé le génocide arménien et veille sur la famille, de Montreuil à Marseille.
Parvenue à l’âge adulte, Anni... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
«Sage est le père qui connaît son enfant» (William Shakespeare)

Dans un roman court et délicat, Anny Romand retrace le parcours d'une fille qui fait la connaissance de son père une fois adulte. L'occasion de revenir sur une histoire familiale marquée par l'absence d'hommes.

Annie a rédigé une lettre pour Ebel, qu'elle s'est enfin décidée à rencontrer. Accompagnée de son amie Angelica – sans doute pour qu'elle ne flanche pas en route – elle sonne à la porte cet appartement, au quatrième étage d'un immeuble ordinaire. L'homme qui habite là est son père. Un père qu'elle n'a pas connu, qui a disparu de sa vie avant même qu'elle ne voie le jour. Un vide, une absence dont on ne guérit pas. Mais peut-être pourrait-elle comprendre? La femme qui vient lui ouvrir ne semble pas surprise de la voir et ne met pas en doute son lien de filiation, la ressemblance semblant frappante.
Ebel, en revanche, ne comprend pas qui est cette jolie femme qui lui rend visite.
«Le regard vide raconte la maladie, l'échange impossible, la mémoire perdue. L'épouse, oui sans aucun doute, prend le relais, sourit un peu, déconcertée par cette affirmation directe qui ne lui donne pas le temps de réfléchir sur la conduite à tenir. le temps en profite, il entre en coup de vent dans l'appartement. le paillasson, lui, est las de leur piétinement, il le lui fait savoir, elle transmet: Peut-on discuter ailleurs que sur le pas de la porte? La femme se ressaisit, comme prise en faute.
Bien sûr, entrez.» Et alors qu'un semblant de dialogue s'installe, ce sont les souvenirs qui affluent, c'est une histoire de femmes qui se déroule.
Il y a d'abord eu la grand-mère qui a fui l'Arménie, «survivante d'un génocide, d'un exil, d'une vie précaire dans un pays étranger, veuve avec un fils à élever» et qui va se retrouver en France pour prendre un nouveau départ, alors que les difficultés s'amoncellent. Sans argent et sans père, elle va élever sa fille Rosy, souffrir mais ne rien lâcher.
Pour Rosy, la mère d'Annie, l'histoire va se répéter, mais dans un contexte très différent. Car Rosy ne veut pas supporter seule le poids de sa maternité et entend veut que le père de son enfant assume ses responsabilités. Elle n'imagine pas d'autre alternative, sinon d'abandonner leur progéniture dès la naissance.
On imagine le choc lorsqu'elle annonce cette décision à sa famille, qui elle s'est battue «jusqu'à la pointe de la mort pour amener leurs gamètes à survivre, à créer un autre humain. Ils n'ont pas lâché, ils ont souffert toute leur vie pour assurer leur descendance.» Mais la vie va finir par avoir le dernier mot et Rosy va garder sa fille.
Anny Romand, en jouant avec les temporalités et en passant d'une histoire à l'autre, tisse un lien entre ces femmes sans hommes, unies par leur souffrance et leurs difficultés, mais qui toutes vont faire de leur fille une force. Entre les lignes, on voit bien émerger un féminisme latent, ou bien plutôt la lâcheté et l'irresponsabilité des hommes qui préfèrent la fuite, qui nient la réalité ou qui ne se rendent compte bien trop tard du mal qu'ils ont fait. Une écriture délicate donne à ces drames une lumière teintée d'humour. Et ce n'est pas là la moindre de ses qualités.


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Je remercie Babelio et l'éditeur Serge Safran pour l'envoi de cet ouvrage dans le cadre de l'opération Masse Critique.
Au-delà du thème principal de l'abandon (répété) d'un enfant, le roman évoque d'autres déraillements de la relation enfant-adulte . L'idée de mettre en relation ces moments où achoppe, ou bien se dévoie, la parentalité m'a intéressée.
J'ai apprécié la manière dont les deux premiers chapitres jouent sur l'analogie de situation, nous plaçant habilement devant deux portes qui s'ouvriront sur un moment-clé de la vie d'une mère et de sa fille.
J'ai vu dans ces passages la tentative -désespérée- de faire s'incarner le Père (la fonction paternelle).
... J'ai rendez-vous avec vous... le destin peut bien basculer !
Ainsi, Annie, qui sonne chez son père qu'elle ne connait pas, voit enfin se matérialiser son géniteur... avant de comprendre qu'il n'est plus entièrement présent à cette rencontre
Quant à la porte qui s'était ouverte quarante ans plus tôt devant sa mère Rosie annonçant sa grossesse à ce même homme, elle s'était refermée
Deux rendez-vous pour le moins difficiles !
J'ai moins accroché à la suite du roman, dont le style d'écriture très « factuel » manque, à mon goût personnel, de souffle, de sel ou de piment...
Le roman est court (135 pages) et surtout les chapitres le sont également (souvent deux pages, sept au maximum) : peut-être est-ce trop bref pour pouvoir approfondir et rendre sensibles de tels sujets ?
Je suis donc restée sur ma faim, à l'extérieur malgré moi, sans être touchée par l'émotion pourtant tellement inhérente à ces vies malmenées.
Rendez-vous manqué, donc, pour moi.
Je pense ne pas faire partie de la « cible » de ce livre, qui rencontrera sûrement son lectorat !

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Lumineux, poignant, flamme au bord d'une fenêtre, vacillante, persévérante, « Abandonnée » est un récit profond et intime. « Elle frappe à cette porte, la porte sur laquelle elle aurait dû frapper toute sa vie, une porte qu'elle aurait dû ouvrir des milliers de fois pour retrouver des visages familiers. » Anny Romand conte. Est-elle cette enfant abandonnée ? le tragique perpétue son cheminement. Dans cette période alourdie de préjugés, où Rosy la mère de cette jeune femme devenue est elle aussi une enfant née de père inconnu. « le temps repasse pour voir s'il peut être utile mais non, tout est calme, il peut s'allonger dans une tranquillité légitimé attendue depuis si longtemps. Légitimité donnée à cette femme sans combattre. Juste parce qu'elle a eu le courage d'affronter l'inconnu. » L'histoire résiste. Les mots sont doux, caresses aériennes, furtives, mais pleines de sens et de raison. Nous sommes dans l'entrelac d'un huis-clos. le barrage ne cède pas. La veille constante d'une quête existentielle rayonne ici dans cette trame veloutée, mature et persistante. Ce qui est beau ici, c'est la fusion entre ces deux femmes, Rosy et Annie. La mère et la fille, bloc éperdu, ailes vierges d'hommes et de pères encerclés. « Rosy qui a eu pour berceau un des tiroirs de la commode de leur chambre. On n'a jamais pu retrouver le père. Parti sans rien savoir. Voilà comment Rosy est née. » Annie veut savoir qui est son père, son géniteur. Retrouver ses racines originelles et les combler de cette errance d'incertitude. Rassembler l'épars, cette quête existentielle unique et émancipatrice. « Quoi de plus terrible que de ne pas connaître son père ? » Cette jeune femme égarée dans ses abîmes recherche plus que son père mais le point qui rallie les histoires du monde. L'image la plus bouleversante de « Abandonnée » est le bain donné à la petite Rosy. Ne rien dire de plus. Retenez juste cette gestuelle, ce qui adviendra des inconscients. « Abandonnée » est un berceau universel. Chacun, chacune en ce monde détient ce double cornélien dans le coeur. « le temps bourdonne dans les oreilles. le silence essaie de se faire entendre. le silence avant l'effroi. » Annie va-t-elle trouver la clef qui brisera l'armure de ce manque du père ? Va-t-elle le revoir ? « On sait que les épouses n'osent rien faire avec les secrets de leur mari. » Ce récit de vie de femmes meurtries, mères, enfants, pères et anonymes est le notre devenu. Anny-Annie Versaire et la grâce (peut-être) (chut) au point final. Magistral. Publié par les majeures Éditions Serge Safran éditeur.
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Je tiens d'abord à remercier Serge Safran éditeur ainsi que Babelio pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une masse critique.

Anny Romand propose dans ce court roman quelques bribes de vie d'une mère et de sa fille. Elles souffrent d'un même manque : celui du père. Point de repère masculin puisque le géniteur a failli à ses devoirs dès le départ. Comment combler un tel vide ? Un point de départ commun pour deux parcours différents.

L'auteure décortique au travers d'une écriture poétique, ponctuée de métaphores, le parcours de ces deux femmes, en alternance, d'un chapitre à l'autre. Nous ne sommes pas dans un feel good, c'est pesant à lire parfois, ces vies bancales, atrophiées d'un être absent. Absence d'amour, de responsabilité, d'intérêt. Mais le récit est allégé par quelques notes d'humour issues d'un demi-frère facétieux.
Conçues dans le péché, comme on disait à cette époque là. L'entre deux guerres pour Rosy, la mère, et au tout début des Trente Glorieuses pour sa fille. le regard lourd et bien pensant de l'environnement pour ces choses qui ne se font pas et qui amène parfois au rejet.

Comment se construire en tant qu'enfant puis femme ? Choix différents pour mère et fille. Rosy tente de s'élever grâce à la lecture, avide de connaissances en tout genre. Elle est choyée par une mère courage, migrante arménienne fuyant le génocide. Au passage, j'aurais aimé que cette partie soit un peu plus développée car elle est le terreau d'où vont germer ses deux graines.
L'enfant de Rosy optera pour une quête : celle du fantôme masculin évidemment. Anny Romand en profite pour décrire les sentiments, les émotions par laquelle cette femme doit passer. Les barrières invisibles qu'elle devra franchir pour enfin avoir le courage de frapper à une porte. Pour se construire, se trouver une identité, ne pas être juste le fruit d'un moment de plaisir, un accident de la nature. C'est là le point fort de ce roman, la psychologie des personnages féminins en quête d'amour opposée à l'indifférence d'un mâle froid, campé sur ses certitudes et son égoïsme. Une histoire de femmes dans un monde d'hommes.

Toutefois j'ai eu du mal à comprendre l'évocation d'un accident domestique qui noircit inutilement le tableau ainsi que l'apparition de thèmes non développés, l'inceste notamment, qui ont tendance à exagérer la situation. Mais c'est surtout la 4ème de couverture, en déflorant un élément que le liseur n'apprend qu'en page 102 (sur 135), qui ôte une partie du plaisir.

Une lecture intéressante pour le côté psychologique des personnages et le thème de l'abandon. Cependant, des défauts évoqués et un style parfois lourd empêchent de profiter pleinement d'une oeuvre au sujet délicat.
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J'ai gardé des souvenirs extrêmement précis d'Anny Romand, comédienne précieuse qui campait le rôle de Paula dans « Diva » de Jean-Jacques Beinex, mais surtout celui d'une femme à la recherche d'expériences sexuelles singulières dans « Adultère, mode d'emploi » de Christine Pascal. Puis, elle a disparu du grand écran pour se consacrer à la télévision, en multipliant les apparitions dans les séries et les téléfilms. Chose qui ne l'a empêchée de se consacrer à la production, à la traduction et de rédiger des ouvrages qu'elle s'est empressée de proposer à des éditeurs. « Abandonnée », son dernier-né, revient sur ses lointaines origines arméniennes et nous parle une fois de plus de résilience, d'abandon et de pardon. Cette fois, il s'agit d'une gamine, repoussée par son géniteur, qui grandit sous la tutelle de sa grand-mère entre Montreuil et Marseille, qui voit les années s'écouler en imaginant les traits du père absent, en rêvant de le serrer dans ses bras et en veillant à ne pas éroder ce désir. Son quotidien s'organise sans réels plaisirs ni déplaisirs. A la maison, sa grand-mère parle du pays. Enfin, du lieu d'on elle est originaire, évoque le génocide dont son peuple a été victime, espère un retour chez elle … Puis, devenue adulte, elle remonte ses manches et décide de franchir le pas. Il s'agit d'aller frapper à la porte de celui à qui elle doit la vie, qui n'a pas souhaité l'éduquer, qui ne l'a pas reconnue devant les autorités et dont elle ne porte pas le nom. Comment va-t-il réagir et n'est-il pas trop tard pour recoller les pièces d'un puzzle qu'on a volontairement défait ? Raconter ce récit en évitant le pathos impliquait le choix d'une langue sensuelle et chatoyante, tout en veillant à ne jamais en faire des tonnes. En passant à l'acte, l'héroïne a choisi de ne plus vivre dans la douleur et d'affronter le regard de celui qui l'a fuie. Voilà l'objectif de ce roman tout en nuances et en richesse. D'une réelle humanité !
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
INCIPIT
Elle frappe à cette porte, la porte sur laquelle elle aurait dû frapper toute sa vie, une porte qu’elle aurait dû ouvrir des milliers de fois pour retrouver des visages familiers. C'est étrange d'avoir rêvé de cette porte et de la voir « pour de vrai » comme disent les enfants. Enfin ! Elle a bien cru qu'elle n'aurait jamais eu la force de l’affronter, cette porte, de la pousser, la force humaine de traverser les parois multiples posées entre elle et ces gens-là, murs opaques remplis de désirs, trahisons, fierté, remords et oubli.
En elle, la petite fille qu’elle était jadis la guide sur le chemin escarpé de la vie, tel un chien d'aveugle la prévenant des obstacles, des buissons traîtres, des rochers dessertis, afin qu’elle ne trébuche pas et garde des yeux bien attentifs pour vérifier sa droite, sa gauche, le ciel et les gouffres. Grandir, est-ce recouvrer la vue ?

Maintenant elle est grande et en ville. Où il faut faire attention sur quel paillasson on met les pieds. Sur quelle porte on frappe. Et surtout ne pas oublier d'admirer les arbres, de humer l'air du soir, de regarder les petites plantes prises dans le goudron des rues entre deux pavés, dans un angle d'immeuble, écrasées par les pieds des passants. La morelle noire, la plante sacrée des Incas, l’amarante, l’oxalis, la cardamine, le plantain ou herbe aux cailles, la véronique à petites fleurs bleues, l’ipomée, volubilis volubile. Toutes dites mauvaises herbes, mauvaises graines, toutes qui réussissent malgré tout à fleurir.
Fleurir.
Pour fleurir il faut frapper.
Frapper à la porte, le cœur frappe fort.
Se jeter dans la gueule du loup.
Aller au-devant des coups car il faut vivre et ne rien regretter.
Quel étage?
Y a-t-il un code?
Chercher sur le tableau de la gardienne, trouver le nom au milieu d’écritures différentes. Quatrième. Un ascenseur grillagé descend. Un ascenseur ajouté dans une cage d'escalier étroite. Juste pour deux
personnes. Ça tombe bien, elles sont deux, elle et son amie Angelica qui lui tient la main. L'ascenseur repart, plein. Il s'arrête au quatrième. Son amie chuchote:
– Tu as la lettre ?
– Oui, dans mon sac.
– Sors-la. Tu la tiens à la main et dès que la porte s'ouvre tu la lui donnes.
L'idée de la lettre avait été trouvée par Angelica à qui elle avait raconté le coup de fil à cet homme et sa réponse: «Qu'est-ce que c’est que cette histoire!» Il avait sûrement raccroché pour se préserver des problèmes à venir, La décision de lui téléphoner avait été comme plonger au fond de l'eau en retenant son souffle jusqu’à ce que les poumons brûlent. Combien de fois cet appel avait été imaginé, remis à une date ultérieure, la plus ultérieure possible, pour différer le moment de dire qui on est. D'où on vient. De qui on vient... Le moment d’être soi-même.
Angelica, l’amie florentine, l'y a aidée. Une femme, parce que les femmes savent beaucoup sans parfois le savoir. Certains ne veulent pas qu’elles sachent qu’elles savent.
Leur amitié s'était scellée quand Angelica avait eu un accident de voiture qui lui avait fracturé le bassin. «Bassin parisien» comme on en avait plaisanté par la suite. Venue lui rendre visite, elle s'était retrouvée, en taxi, dans les faubourgs de Lyon, à la recherche d’un cadeau. Un livre, oui, certainement. Le chauffeur l’avait déposée devant une maison de la presse où le seul livre possible était Chronique d'une mort annoncée de Gabriel Garcia Marquez. Bon auteur, bon achat, avait-elle pensé toute joyeuse. La tête d'Angelica à l’ouverture du paquet lui avait fait comprendre que ce choix était loin d’être judicieux.
Quelle porte palière? Bon, il n’y en a qu'une, c'est déjà ça. Ça simplifie la recherche. On évite de se tromper, de se justifier. De bafouiller, de dire: «Pardon, je vous prie de m'excuser, merci.»
Frapper à la porte la lettre à la main, comme une mendiante avec un fond de bouteille en plastique, puisqu'elle va mendier un regard, un peu de mansuétude, un peu de reconnaissance, mais pas d'amour, non, surtout, pas d'amour.
Elle le sait. C'est impossible. On ne peut aimer que ceux qui vous ont élevés, que ceux que vous avez élevés, avec qui vous vivez. Elle pense à cet amour total, vrai, tellement vrai qu'il n'existe pas hors de vous. Il est en vous, entrelacé dans les chairs et les nerfs. Cet amour circule aisément dans le corps comme le sang, l'air, la lymphe. Il remplit tout, il est partout, dans chaque portion d'os, de cellule, de fibre.
Bien sûr les amis sont là, telles les plantes du jardin qu'il faut cultiver, entretenir, choyer, ce qui s'apprend dans des cours de jardinage, dans des cours d'école... Mais elle, y était-elle suffisamment allée, à l'école, pour apprendre les règles de la vie en société?
Pourquoi vouloir aller voir son père qui n’a pas voulu, lui, quand elle était une toute petite enfant, la prendre dans ses bras, la cajoler, la consoler, la faire rire? La voir, quoi! Non, il n’a pas voulu. Alors pourquoi aujourd'hui, à quarante ans passés, va-t-elle frapper à sa porte? C’est trop tard. Le temps s’est opacifié.
Que lui dire maintenant? Pour quoi faire ? Des reproches? Avoir des regrets encore plus grands de son absence? Régler ses comptes? Régler son compte? Le solder, plutôt! Il est peut-être mort, non, elle ne le croit pas, elle l'aurait senti. Et s’il était souffrant? Vient-elle aujourd’hui le voir alors qu’il est malade, qu'il est en train de s’effacer?
Pour mettre un visage sur son visage, elle qui ne ressemble pas du tout à sa mère, ni dans sa couleur de peau, ni dans son physique. Pour mettre un visage sur son visage, elle qui est si différente, avec ses yeux bleus, ses cheveux blonds bouclés, à la différence de ses parents au type très méditerranéen.
Pour être fière d'elle, fière de ne pas avoir reculé devant l'obstacle, devant la douleur, devant l’humiliation de la démarche. Une fierté de réussir là où sa mère a échoué? Pour être meilleure que cette femme qui n’a pas pu, qui n’a pas su faire « reconnaître » son enfant par son père?
Ou simple curiosité? Envie d’en découdre avec cet homme qualifié par sa mère d’intransigeant, de violent, d’irréductible? «Tu vas souffrir, ma fille.» Voilà ce que lui assenait sa mère à chaque désir avoué d’aller à sa rencontre. Dans le silence de sa pensée, la souffrance annoncée la faisait reculer sans cesse. Et puis, bien sûr, le tourbillon de la vie prend le dessus. Enfant, mari, travail, sorties, amis. Le centre de gravité se déplace sans arrêt. Cette envie disparaît, réapparaît comme une horde de dauphins dans la mer au large de La Ciotat.
Affirmer sa parenté sans aucun justificatif, aucun papier, sans armure protectrice, à visage découvert, prête à recevoir tous les coups, blessants, saignants, à glacer le sang, à devenir blême jusqu'à s'évanouir.
Maman, chère maman aujourd’hui disparue. Toi qui n'as pas su ou pu t'imposer avec cette enfant tombée du ciel, plutôt remontée de l'enfer, en ces temps difficiles pour les mères sans mari, où la virginité était respectable, honorée comme signe de sagesse, d'éducation et de bon goût.
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La grand-mère survivante d’un génocide, d’un exil, d'une vie précaire dans un pays étranger, veuve avec un fils à élever, reste bouche bée devant sa fille Rosy, élevée sans père, elle aussi, sans argent. Cette femme forte devant l’opprobre a toujours soutenu sa fille Rosy qui lui dit aujourd’hui qu’elle va abandonner son enfant dès la naissance.
Le seul enfant qu'ils ont? Eux qui se sont battus jusqu’à la pointe de la mort pour amener leurs gamètes à survivre, à créer un autre humain. Ils n’ont pas lâché, ils ont souffert toute leur vie pour assurer leur descendance. p. 49
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Le regard vide raconte la maladie, l'échange impossible, la mémoire perdue. L'épouse, oui sans aucun doute, prend le relais, sourit un peu, déconcertée par cette affirmation directe qui ne lui donne pas le temps de réfléchir sur la conduite à tenir. Le temps en profite, il entre en coup de vent dans l'appartement. Le paillasson, lui, est las de leur piétinement, il le lui fait savoir, elle transmet: Peut-on discuter ailleurs que sur le pas de la porte? La femme se ressaisit, comme prise en faute.
Bien sûr, entrez.
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