Un livre très complet et saisissant qui mêle histoire, politique et psychologie des personnages à l'époque resplendissante de la Mitteleuropa du XIX siècle
Une vision historique du livre.
La déliquescence du puissant empire austro-hongrois de la Mitteleuropa se traduit par une dégénérescence des valeurs notamment chrétiennes avec le rejet d'un empereur apostolique et plus tard par la désagrégation en états nations de tchèques, hongrois, slovènes, croates, italiens faisant dire à Roth que c'est «le creuset expérimental de la fin du monde»
Un monde social nouveau est en marche. Les mouvements ouvrier prennent de l'ampleur, les grèves éclatent et le pouvoir fait sur la foule. La cause des mouvements, du mécontentement ouvrier est peu traité il ne semble pas que cela soit le soucis de Roth et seul les effets c'est à dire les aspects éruptifs, agressifs, contraignants et désordres sont abordés
Mais il est déjà trop tard pour la répression et celle-ci ne fait qu'amplifier les soubresauts d'un monde monolithique qui sent les effluves de sa propre agonie et voit avec apathie venir derrière cette colère ouvrière, le grand chaos: Une guerre minutieusement préparée par les états majors .
On retrouve dans cette narration plusieurs visions politiques et dans le fond philosophique des personnages. La plus juste est celle du comte Chojnicki dilettante éclairé qui voit l'état de putréfaction avancé de l'empire. Celle de l'empereur qui sait que les empires sont fait pour mourir et constate l'imminence de la déchéance des Habsbourg et celle erronée du préfet von trotta, confiant dans les valeurs de l'empire. Toutefois il faudra la mort de son serviteur, le mal être de son fils, et le discours de Chojnicki pour remettre en cause son assurance.
Une narration oppressante et terne, terne comme la vie elle-même des personnages
Outre l'aspect frasque historique et réflexion politique Roth nous livre de beaux portraits de personnages.
Ceux entrevus: le médecin juif qui s'abuse lui-même, le comte Chojnicki brillant et éclairé, l'amante qui rajeunit et materne, le généreux et simple aide de camp slovène.
Celui de l'empereur, un dieu entrevu, dont l'analyse sur la déliquescence de l'empire, celle de son pouvoir et de son évolution s'avère perspicace. Abusé par son excellent état de santé, il se trouve déconcerté soudainement par son âge qui lui est appelé par inadvertance par Charles- Joseph.
le vrai empereur, selon Roth aurait admis être roi de Jérusalem c'est à dire des juifs en visitant un Shtetl très fortement peuplé
D'autres portraits plus fouillés le héros Celui de Charles- Joseph un sous officier écrasé par l'acte héroïque de son grand-père qui cherche sa place dans sa famille corsetée par l'apparat des fonctions et n'a pas de vocation militaire. Il traîne son ennui de casernes en casernes, s'amourache comme il peut, vit son engagement sans idéal, sombre dans l'alcoolisme et contracte stupidement des dettes extravagantes. Un somnambule neurasthénique en manque d'estime de lui-même personnage angoissant de part de son comportement obsessionnel. Il semble qu'on puisse reconnaître dans Charles-Joseph alcoolique joseph Roth lui-même adepte de la dive bouteille «le saint buveur» de Pernod.
Mais le plus cruel et beau est celui du préfet Vieux fonctionnaire imbu de sa fonction, père tout puissant qui n'a jamais baissé les yeux sur son entourage et qui à la suite de la mort de son majordome les ouvrent et découvre un monde qu'il ne comprend pas. Son serviteur traité ni plus ni moins comme un chien laisse derrière lui un grand vide le préfet découvre son immense solitude et fait preuve pour la première fois de sa vie d'humanisme.
Son héritier, héritier von Trotta, en qui il découvre un être humain malade et un fils, qu'il ne comprend pas mais veut aider. Son statut social qui se brise de lui-même et le jette dans la tourmente. Cet homme tombe de très haut et perd beaucoup mais il comprend sa chute et trouve une humanité et un honneur qu'il avait oublié.
En arrière fond la «Marche de Radetzky» de
Johann Strauss, que Charles-Joseph entendait joué chaque dimanche pendant le repas sous son balcon étant enfant, la même qu'il retrouve entonnée au bordel militaire de tante Risi. En final un bal grotesque de convives et officiers ivres se disputant déjà l'avenir et la dépouille de l'empire à la suite de l'annonce de l'assassinat de Sarajevo
« Aux hommes libres de notre temps il ne reste plus bien longtemps pour rire » comme disait
Malaparte.
C'est un livre très bien équilibré entre une belle narration historique sur l'empire flamboyant austro-hongrois, une analyse politique très pertinente de l'époque et une introspection irréprochable et scrupuleuse des personnages, parfois un peu longue et monotone mais qui ne dépareille pas avec le temps et la vie morne des personnages.
Roth fait corresponde à l'ambiguïté et l'indétermination des personnages celles de l'empire mais aussi celle de l'époque Un monde entre-deux.
Contrairement à Zweig qui a mythifiée la Mitteleuropa Roth la ramène à des proportions plus justes et n'hésite pas à montrer les signes précurseurs évidents de la chute