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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Il y a eu ‘Les Buddenbrook', il y a eu ‘Les Thibaut', il y a eu ‘Le guépard', et maintenant viennent s'ajouter les von Trotta à la galerie de ces personnages somptueux qui marquent dans mon panthéon littéraire les grandes figures de la fin d'un monde.
Du geste héroïque du grand-père von Trotta qui sauva l'empereur à Solférino à la mort brutale et stupide de son petit-fils aux confins de l'empire en voie de délitement avec la première guerre mondiale, ‘La marche de Radetsky' sonne le déclin fatal de l'empire austro-hongrois, envisagé sous un angle différent de celui du Monde d'avant de Stefan Zweig, avec un autre avis aussi, mais le sentiment de déréliction est tout aussi puissant.
Je me suis littéralement laissée couler dans ce roman crépusculaire porté par une plume somptueuse évoquant en pointillisme les décors moribonds d'un monde déjà perdu. Je retiens aussi ces pages splendides sur la vieillesse, celle du quotidien du père fonctionnaire, de plus en plus marquée de mélancolie à mesure que grandit son inquiétude pour son fils soldat dont la vie non choisie se délite dans sa lointaine garnison désoeuvrée ; celle de l'empereur également, servi jusqu'à l'absurde par ces trois générations d'hommes qu'il aura anoblis pour leur malheur, et à qui le grand âge a fait perdre jusqu'au sens de sa puissance.
Magnifique !
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Depuis que je suis sur Babelio, j'avais envie de faire la critique de ‘La marche de Radetzky'. Mais ce roman en apparence simple se dérobait. C'est le roman de la fin d'un monde. de la fin de l'empire Austro-Hongrois. du dernier héritier du Saint Empire, de Frédéric Barberousse, des gibelins... Avec lui, disparut une forme d'idéale européen qui datait de Charlemagne. Une vision abandonnée, réduite à la portion congrue, mais qui était toujours là. Et qui, dans son existence, restait la garante d'un certain équilibre européen. le modèle de l'état-nation triomphant prit le relais, et faillit mener le monde à sa perte.

Il faut du temps pour discerner tout cela dans ce roman décrivant un monde à l'agonie. Dans l'histoire de ce caporal, simple fils d'un garde-chasse, devenu ‘héros de Solférino', baron et officier en sauvant la vie du jeune empereur. Puis dans celle de son fils, préfet pour un empereur de moins en moins jeune. Et enfin dans celle de son petit-fils, jeune officier pour un empereur presque sénile, trainant son ennuie dans les villes de garnisons entre alcool, jeux et traditions militaires devenues ineptes. La première guerre mondiale arrive comme une sorte de délivrance. Enfin, le monde va se secouer un peu. La poussière va un peu tomber. On pourra vivre enfin, respirer un air moins épais. Les couleurs seront un peu plus vives, et tout aura l'air un peu plus jeune.

Mais dans les premiers jours du conflit, le jeune officier meurt. Et voici que le roman, qui jusque-là était beau, mais de cette beauté un peu sommeillante des vieux meubles sous la poussière, prend soudain une tournure sublime. La mort du jeune Trotta est sublime. La vie du père ayant appris la mort de son fils est sublime. Tout s'achève avec la mort de François-Joseph. Orsenna est tombée. C'est la fin.

En Bucovine roumaine, la période austro-hongroise reste dans les mémoires comme un âge d'or. Dans les Balkans, ce fut l'une des plus longues périodes de paix.
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« J'aurais bien dit encore, déclara le maire que M. von Trotta ne pouvait pas survivre à l'Empereur. Ne croyez-vous pas, docteur ? Je ne sais pas, répondit Skowronnek. Je crois qu'ils ne pouvaient ni l'un ni l'autre survivre à l'Autriche ? »
Il est facile de présenter ce roman comme celui du déclin et de la chute de l'Empire austro-hongrois, par opposition au titre qui fait appel à la légèreté et la gaité des oeuvres de Johann Strauss. Mais c'est bien plus que cela et s'il est question de la longue et lente disparition du vieil empereur et de son empire, il me semble que c'est avec beaucoup de regrets. C'est aussi à regret qu'on finit, en refermant ce livre somptueux, par quitter les trois von Trotta pour lesquels on ne peut que partager la tendresse que leur porte l'auteur. On peut les trouver froids, rigides, pusillanimes. Mais comment ne pas admirer la modestie et la droiture du grand-père, le « héros de Solférino »? Comment ne pas saluer le moment où le père sort de son confort, boit toute sa honte et consent à s'humilier pour s'en aller quémander « grâce pour son fils ». Quant à ce dernier, le petit-fils tout alcoolique, velléitaire et peu doué pour le métier des armes qu'il soit, sa fin l'absout de ses faiblesses en le rapprochant de son grand-père, lui qui « depuis qu'il avait rejoint le régiment, se sentait le fils de son grand-père et non le fils de son père », lui qui, tout jeune cadet, pensait alors que « mourir au son de la Marche de Radetzky était la plus facile des morts. »
Qui est véritablement le héros ? le grand-père qui sauve la vie de l'Empereur parce que celui-ci se trouve fortuitement à ses côtés au moment où il commet une imprudence, ou son petit-fils, isolé au milieu de nulle part et perdu dans la débâcle du front russe, qui se dévoue pour aller, au péril de sa vie, chercher de l'eau pour ses compagnons sous le feu des cosaques ?
Magistral, superbement écrit, le roman parle d'un temps où les fils obéissaient à leurs pères, où les pères faisaient ce qu'il faut pour tirer d'affaire leurs fils, où l'honneur et la parole donnée avaient un prix. Il évoque avec justesse et beaucoup de tendresse la vieillesse, la mélancolie, ainsi que les longues heures inutiles et désoeuvrées des militaires en garnison qui les conduisent à des loisirs aussi ruineux pour leur santé que pour leurs finances et leur font oublier de se préparer à faire la guerre. Il traite du respect et de l'affection entre le maître et son serviteur (le sous-lieutenant et son ordonnance qui lui offre toutes ses économies, le préfet qui ne se remet pas de la mort de son majordome), entre père et fils, même si elle se dissimule derrière la pudeur et les convenances.
D'une qualité saisissante dès les premières lignes (« Il avait été choisi par le destin pour accomplir une prouesse peu commune. Mais lui-même devait faire en sorte que les temps futurs en perdissent la mémoire. ») et constante tout du long, avec des passages qui confinent au sublime (les dix pages consacrées à l'empereur), ce chef d'oeuvre vous fait tourner ses pages avec l'allégresse de ceux qui défilaient au son de la Marche de Radetzky. Il y a également des pages, qui, cent ans après leur écriture, semblent plus que jamais d'actualité ; comme celles qui concernent les nationalités artificiellement agglomérées dans un empire qui entend les dominer sans réussir à les fédérer (magnifique illustration lors de l'épisode de la fête du régiment le jour de l'assassinat du prince héritier ou le sombre discours du comte Chojnicki « l'Empereur était un vieillard étourdi, le gouvernement une bande de crétins, le Reichsrat une assemblée d'imbéciles naïfs et pathétiques, il disait l'administration vénale, lâche et paresseuse » ). On entend bien que les Hongrois n'ont pas envie de mourir pour les Autrichiens, pas plus que les Slovènes pour les Ukrainiens ou les Roumains pour les Tchèques. Mais soudain, on s'interroge. Cet empire en décomposition ne ressemble-t-il pas terriblement à cet autre empire que se veut être aujourd'hui l'Union Européenne, construction utopique et idéologique dont les fondations s'enfoncent chaque jour un peu plus dans le sable en voulant effacer des nations qui ne le veulent pas ? Quelqu'un a-t-il réveillé le président de la Commission européenne pour l'informer de la disparition de François-Joseph ?
Un moment de lecture formidable pendant lequel l'émotion m'a à plusieurs reprises submergé et l'admiration pour ce roman, truffé de phrases, de paragraphes et de dialogues aussi brillants que les derniers feux de l'empire des Habsbourg, n'a jamais cessé.
Il donne envie de se replonger dans les grandes oeuvres littéraires et musicales de la Mitteleuropa et de se glisser dans les pas du préfet von Trotta lorsqu'il « gravit le chemin droit qui mène au château de Schönbrunn. Les oiseaux du matin exultaient au-dessus de sa tête. le parfum du lilas et du seringa l'étourdissait. Les blanches chandelles des marronniers laissaient tomber ça et là un petit pétale sur son épaule. Lentement, il monta les marches plates et rayonnantes, déjà blanches de soleil matinal. le factionnaire salua militairement, le préfet von Trotta entra dans le château… Il attendait dans la grande pièce précédant le cabinet de travail de Sa Majesté, dont les six grandes fenêtres arquées, aux rideaux encore tirés, comme il est d'usage le matin, mais déjà ouvertes, laissaient pénétrer toute la richesse de l'été à son début, toutes les suaves senteurs et toutes les folles voix des oiseaux de Schönbrunn. Par les fenêtres ouvertes, on entendit sonner de lointaines horloges. Alors soudainement, la porte s'ouvrit à deux battants…»
Alors, vous je ne sais pas, mais moi, après la lecture enthousiasmante de ce chef d'oeuvre, je me vois très bien monter prochainement les marches de Schönbrunn en sifflotant les premières mesures de la Marche de Radetzky.
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Qui n'a pas déjà entendu la marche de Radetzky si ce n'est au concert du Nouvel An donné par l'Orchestre Philarmonique de Vienne ? Tiens … Je me suis même renseigné (cf. Wikipedia) : « Depuis 1958, le concert se termine généralement par trois bis après le programme principal. le premier est traditionnellement une polka rapide. le deuxième est la pièce de Johann Strauss II : la valse du Beau Danube bleu, dont l'introduction est interrompue par les applaudissements du public. Les musiciens souhaitent alors collectivement au public une heureuse nouvelle année, puis jouent le morceau suivi par la Marche de Radetzky de Johann Strauss I. »
Le roman de Roth date lui de 1932 mais comme pour ces concerts, il symbolise l'Empire austro-hongrois, sa grandeur mais aussi son déclin car cette marche a été composé en réalité en l'honneur de l'un des derniers généraux victorieux de l'Empire.
Dans ce roman, on suit les Trotta, issus de paysans slovènes dont le destin va être bouleversé par l'exploit héroïque à la bataille de Solferino ou un simple lieutenant sauve la vie à l'empereur François-Joseph. Les Trotta se verront alors adjoindre un von devant leur nom et intégreront une nouvelle sphère en obtenant le titre de baron. Cette faveur impériale qui se devait d'ouvrir de nouveaux horizons se révélera au final être un fardeau sous lequel le petit fils du héros, sous-lieutenant dans l'armée et obnubilé par l'image tutélaire du grand-père, ploiera, perdra son honneur et au final la vie.
Requiem d'une époque, Roth dépeint à travers cette épopée familiale tragique une société en déliquescence, battue avant d'avoir combattue, attendant simplement le signal pour enfin expirer si possible dans de beaux draps fins. Par certains points, on retrouve les plaisirs rencontrés à la lecture de la montagne Magique de Thomas Mann.
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A la veille de la première guerre mondiale, le puissant empire austro-hongrois vit ses dernières années. Les signes avant-coureurs sont là pour qui est assez lucide pour les voir : la montée des nationalismes dans la mosaïque de peuples et d'ethnies qui composent l'empire ; les premières grèves et révoltes ouvrières ; une armée, autrefois prestigieuse, minée par l'oisiveté, le jeu et l'alcool ; les escrocs de tout poil qui, flairant l'odeur de la charogne, s'abattent comme des rapaces sur un pays en voie de décomposition.

Le jeune sous-lieutenant Charles-Joseph Trotta von Sipoljie sert dans l'armée impériale. Son grand-père, modeste sous-lieutenant, a sauvé la vie de l'empereur sur le champ de bataille de Solferino en 1859. François-Joseph Ier anoblit ce descendant de paysans slovènes et lui offre sa protection. Charles-Joseph est élevé dans le culte de son grand-père. Son père, préfet en Moravie, a choisi pour lui la carrière militaire, afin de servir au mieux la patrie et « Sa Majesté apostolique, impériale et royale ». C'est l'histoire de cette famille sur trois générations, en particulier celle de Charles-Joseph et de son père, que narre avec brio Joseph Roth. Si les deux hommes appartiennent à ces piliers de la monarchie que sont l'administration et l'armée, et se vouent corps et âme à la haute idée qu'ils se font de l'Autriche-Hongrie, le père refuse d'admettre le déclin qui se profile et se raccroche à son devoir, alors que le fils, qui rêve de se sacrifier pour son empereur (comme l'a fait son grand-père), finit par douter de son pays et de lui-même. L'époque n'est plus à l'héroïsme, Charles-Joseph est né trop tard.

Joseph Roth nous offre en outre une émouvante évocation de rapports père-fils (les mères sont absentes du récit, mortes prématurément), faits ici de respect, de crainte, de pudeur et de tendresse contenue. On compare souvent la manière de Roth à celle d'un Dostoïevski. Il y a en effet quelque chose de très russe dans cette façon de décortiquer les tourments de l'âme, et de les révéler par les gestes, les actes, les attitudes, les expressions des personnages plus que par leurs paroles. L'âme slave imprègne ce roman dont l'action se déroule en majorité en Moravie et en Galicie, dans ces confins de l'empire qui commencent à s'agiter sous la pression d'un désir grandissant d'autonomie.

Les nationalismes, un empereur vieillissant et la première guerre mondiale auront eu raison de l'Autriche-Hongrie. le livre s'achève en 1916, à la mort de François-Joseph. Avec lui meurt l'empire et le rêve de grandeur qu'il portait avec lui. Dans l'oeuvre de Joseph Roth, Juif de langue allemande né en Ukraine, ayant vécu à Vienne, à Berlin, puis à Paris de 1933 à sa mort, s'exprime une grande nostalgie de l'Autriche-Hongrie, qu'on retrouve aussi chez ses compatriotes écrivains de la mitteleuropa Stefan Zweig et Robert Musil. Ils admiraient en elle cette agrégation de cultures et de religions diverses qui préfigurait ce qu'ils rêvaient pour l'Europe, et qui les faisait se sentir citoyens du monde. Mélancolique au souvenir de cette période, Joseph Roth ne l'idéalisa pas pour autant, acceptant de regarder en face les causes du malheur. Mais cela ne diminua pas pour autant sa peine, qu'il tenta peut-être d'apaiser en écrivant « La marche de Radetzky », ce chef-d'oeuvre en forme d'adieu.

Lien : http://plaisirsacultiver.unb..
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Ce livre est magnifique : le thème en est la chute de l'Empire austro-hongrois observée à travers les vicissitudes d'une famille fictive anoblie sous le nom de von Trotta : le premier d'entre eux à n'être pas paysan n'a fait rien de moins que sauver la vie de l'empereur lors de la bataille de Solférino et s'est trouvé propulsé, presque à son corps défendant, dans les manuels scolaires.

Ce pan d'histoire, réel quant à lui, a façonné quantité d'évènements qui ont marqué notre inconscient collectif de diverses façons, même si nous ne nous en rendons pas compte, et même si nous ne sommes ni autrichiens, ni hongrois : on voit comment la défaite des armées de François-Joseph a symboliquement amorcé le déclin de son Empire dans les mentalités; on rencontre des tirailleurs algériens engagés du côté français dans cette bataille catastrophique ( 3300 soldats répartis en trois bataillons ); on croise Henri Dunant, le fondateur de la Croix-rouge; on assiste à la montée des nationalismes de tous les peuples bridés au sein de cet immense ensemble disparate; on assiste aux premières grèves ouvrières, durement réprimées par les politiques et les industriels; on comprend comment cet enchaînement a exercé sur l' immense Etat une force centrifuge telle qu'il n'y a pas résisté et que les conditions de la première guerre mondiale se sont trouvées réunies.

Ce livre m'a beaucoup appris. Ses protagonistes, qu'ils soient des personnages principaux ou secondaires, ont une grande densité humaine, ce qui est une qualité appréciable car elle permet de mieux saisir ce tourbillon historique en nous interessant à leur sort.

L'auteur a réussi là une grande épopée dont tous les protagonistes sont sortis perdants mais qui a contribué à créer l'Europe actuelle.

Un moment de lecture formidable pendant lequel l'émotion m'a à plusieurs reprises submergée.
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A quel moment de la lecture sait-on que l'on a en main un chef-d'oeuvre ? Quand insensiblement on ralentit sa lecture, quand on se surprend à relire une phrase, un paragraphe, juste pour le plaisir, quand on se met à lire à voix haute un passage pour faire résonner les mots.
C'est ce que j'ai ressenti à la lecture de Joseph Roth.
J'avais ce livre dans ma ligne de mire depuis longtemps mais le volume emprunté en bibliothèque était de tellement mauvaise qualité, frappe serrée, typographie baveuse, encollage qui ne permet pas d'ouvrir normalement le livre, bref j'avais renoncé.
C'est donc avec plaisir que j'ai ouvert ce volume clair, bien imprimé et qui va évidement resté dans ma bibliothèque.

Une fresque magnifique, qui a la beauté des dernières fusées des grands feux d'artifice, on sait que ce sont les plus belles mais aussi que ce sont les dernières.
Un déroulé sans faille, depuis le geste du Héros de Solférino, le brave soldat Trotta pousse l'empereur François-Joseph pour lui éviter un tir ennemi, blessé son fait d'armes va changer sa vie et celle de sa famille à tout jamais. Il monte en grade et est anobli en von Trotta, il reçoit une petite fortune.
C'est un sage sujet de l'Empire, un paysan slovène de Sipolje qui devient par la grâce de son geste un héros de livre d'histoire.
Mais il a un double, c'est l'Empereur lui-même qui sera son jumeau tout au long du récit, récit qui va de l'épanouissement de l'Empire à sa chute, de la montée vers la gloire de la famille Trotta à son délitement.

Le récit est magistralement conduit. On suit les conséquences du mythe du sauveur sur les relations dans la famille von Trotta, un fracture s'est faite entre père et fils « Son père était séparé de lui par une montagne de grades militaires »
Joseph Roth déroule trois générations avec en réminiscence permanente le geste mythique parce que « quand on était un Trotta, on sauvait sans interruption la vie de l'Empereur »
Le fils sera préfet, fidèle à François-Joseph
« Tous les concerts en plein air – ils avaient lieu sous les fenêtres de M. le préfet – commençaient par la Marche de Radetzky. »
Le petit-fils Charles-Joseph von Trotta reprend le métier des armes sans passion, sans bravoure, empêtré dans des histoires de femmes, de jeu et de duels. On est loin du héros de Solférino.
Le sous titre de ce roman pourrait être à la manière de Gibbons : grandeur et décadence de l'Empire Austro-hongrois.
Il se déroule aux confins de l'Empire, en Galicie, en Moravie où l'on assiste au réveil des nationalismes et à la fin du « grand soleil des Habsbourg » qui faisait tenir ensemble des peuples de langue, de culture, de religion différentes.

Comme dans « Souvenirs d'un européen » de son ami Stephan Zweig, Joseph Roth exprime sa nostalgie de cette Mitteleuropa à jamais disparue.
Un roman magnifique avec des morceaux inoubliables, un duel, la mort d'un vieux serviteur, la rencontre avec l'Empereur ou cette Marche de Radetzky qui donne son titre à l'oeuvre se fait entendre chaque dimanche sous les fenêtres du préfet, puis revient régulièrement par la suite, comme l'écho lointain d'un passé disparu, comme le souvenir d'une gloire antérieure à jamais révolue.

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« Révolutionnaire », « minorités nationales », tels sont les mots tabous avec lesquels le préfet von Trotta ne peut se familiariser. Un peu comme si le refus de prononcer ces mots en atténuait leur violence.
Le père du préfet, Joseph Trotta, modeste paysan slovène, avait sauvé la vie de l'empereur François-Joseph à la bataille de Solferino. le petit fils du héros, le sous-lieutenant Charles-Joseph, lui, a rêvé jeune de " Mourir pour les Habsbourg et pour l'Autriche, aux accents de la Marche de Radetzky".
Voilà pour les 3 générations de Trotta dont la destinée est liée à l'Autriche et à François- Joseph. Au travers de cette famille glorieuse le roman transcrit la longue agonie et le naufrage de ce grand Empire à la veille de la Grande Guerre.
Dans une garnison située aux confins orientaux de l'Empire, Charles-Joseph va progressivement sombrer dans un interminable ennui, un désoeuvrement et une attente sans fin. Quel troublant et perturbant phénomène ! Vivre hors de son être et se sentir absorbé par les mornes éléments extérieurs. Une expérience de dissociation destructrice. "...Par l'ouïe, la vue, l'odorat, le sous-lieutenant Trotta perçut tout ce qui vivait dans le monde: les voix de la nuit, les étoiles du ciel, la lumière de la lampe, les objets de sa chambre et sa propre personne - non comme s'il la portait lui-même, mais comme si elle était devant lui". S'il fallait ne retenir qu'une chose de ce roman ce serait celle-là. Aucune description n'est gratuite. Tout concourt à nous faire ressentir le poids de l'ordre extérieur dans l'être profond englué dans son quotidien.
Les von Trotta figés dans leur grandeur et leur orgueil sont extrêmement attachants. On blâme le laisser-aller de Charles-Joseph, ses compromissions, son goût pour l'alcool ou les aventures douteuses, sa démotivation destructrice. On assiste impuissant mais avec tristesse à son affaissement. Son père, le raide et gris préfet, double de l'Empereur, nous émeut profondément. le roman se ferme sur sa mort simple et grandiose à la fois.
Il s'agissait pour moi d'une relecture de ce grand roman. J'ai éprouvé plus de plaisir et de richesses encore en pénétrant les névroses des personnages. « Et quand on était un von Trotta on sauvait sans interruption la vie de l'Empereur ».
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Radetzkymarsch
Traduction : Blanche Gidon et Alain Huriot

Doucement, avec une tendresse infinie et les grimaces ironiques, et même bouffonnes, d'un enfant qui veut dissimuler aux adultes son envie de pleurer, "La Marche de Radetzky" dit adieu à l'Empire des Habsbourg, à ses ors et à sa splendeur autant qu'à ses fonctionnaires un peu trop bornés et à ses incapables. L'ouvrage a cette senteur chaude et parfumée des dimanche matins de notre enfance, quand le soleil brillait sans se préoccuper de la couche d'ozone, quand les cloches sonnaient en prélude à la traditionnelle réunion familiale et quand, enfin, tout était simple ou, tout au moins, le paraissait. La saveur d'un passé qui ne se posait pas de questions et qui ne reviendra plus jamais - mais qui, parce qu'il nous a jadis protégés de ses ailes, nous a rendu plus forts.

Pourtant, de tout ce que j'avais lu ce sur livre, j'en avais conclu qu'il s'agissait d'une charge grinçante et amère lancée à l'assaut d'une double-monarchie sclérosée et depuis longtemps anachronique. En certains lieux, virtuels ou non, Joseph Roth est en effet présenté comme un grand contempteur de l'Autriche-Hongrie, un révolté libertaire, une espèce de Don Quichotte en guerre contre l'impérialisme colonialiste des Habsbourg.

De deux choses l'une : ou bien ceux qui prétendent pareille chose n'ont jamais lu le roman, ou bien, pour une raison inconnue, ils déforment à plaisir son propos.

Certes, à travers l'ascension de la famille Trotta, de la bataille de Solferino durant laquelle le grand-père sauve la vie de François-Joseph Ier, jusqu'à la mise en bière du vieil Empereur en 1916, au beau milieu de la Grande guerre, Joseph Roth ne se fait pas faute de pointer du doigt l'immobilisme suicidaire de la société et de l'Etat autrichiens, engoncés dans un centralisme militaire et un système de castes aux relents moyenâgeux. Il souligne également combien le multi-ethnisme de l'Empire, en s'ouvrant aux idées nationalistes qui annonçaient le XXème siècle, a, plus que tout autre facteur, contribué à sa perte.

Mais avec quelle tendresse, avec quelle indulgence un peu amusée ne s'attarde-t-il pas, en parallèle, à nous dépeindre l'intégrité foncière de ces Trotta qui furent si nombreux dans l'Empire et qui parvinrent si longtemps à le maintenir au premier rang de l'Europe ! du grand-père qui hait le mensonge au petit-fils qui se fait tuer par devoir, en allant chercher de l'eau pour ses camarades, en passant par le fils, préfet strict et discipliné qui n'a jamais pu réaliser son rêve, servir dans la cavalerie, Joseph Roth fait des archétypes, gardiens vigilents et héroïques d'une société en laquelle, malgré ses inégalités, ils continuent à croire, et plus encore gardiens de l'Histoire de leur pays dans ce qu'elle a de plus grand et de plus noble.

Joseph Roth, qui dut assister, impuissant, à la montée en force du nazisme, a peut-être eu la tentation de considérer comme inutiles les touchants efforts de ses personnages pour conserver leur intégrité morale au milieu d'un monde en décomposition. Et pourtant, sa "Marche de Radeztky", en dépit de son désenchantement et de son infinie nostalgie, n'est pas un chant du cygne : c'est celui d'un phoenix. ;o)
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La marche de Radetzeky est le récit du délitement de l'Empire austro-hongrois à travers le destin de trois générations d'hommes de la même famille, fidèles et admiratifs de l'Empereur François-Joseph au service duquel ils ont consacré leur vie. le geste irréfléchi et héroïque du grand père, propulse la famille extraction paysanne à la noblesse d'une part et contraint ses descendants à porter la lourde charge d'une conduite exemplaire. Merveilleux écrivain, roman magnifique dont j'ai du mal à me séparer.
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