Je [Khwājā Bahā’uddīn, fondateur de la tarîqa Naqshbandiyyah, 1318-1389] revis [Khwāja] Azizan [Alī Rāmītanī] qui me dit : « Maintenant ton travail est de servir les gens et de tout faire pour les rendre heureux. Sois toujours prêt à aider les faibles et les pauvres. C’est ainsi que tu apprendras la soumission et la servitude parfaite. » Je suivis les recommandations d’Azizan et retournais le voir. Il me dit : « Maintenant il faut que tu t’occupes des animaux. Fais ce que tu peux pour les aider, en te souvenant que ce sont des créatures de Dieu. Ils ont leurs propres prières secrètes à Dieu. Si tu vois des animaux surchargés ou qui souffrent d’une manière ou d’une autre, fais ce que tu peux pour les aider. Soigne leurs plaies s’ils sont blessés. Préoccupe-toi de leur guérison s’ils sont malades. »
Je suivis l’ordre de mon Sheik, et lorsque je voyais un cheval lourdement chargé, je l’aidais en portant une partie de sa charge. Lorsque je croisais un animal sur mon chemin, je m’arrêtais et le laissais passer le premier. La nuit, je frottais mon visage contre le sol à l’endroit où les chevaux avaient laissé l’empreinte de leur pas. Je soignais les animaux blessés ou malades que je croisais. Un jour, en plein été, au milieu du mois d’août, je sortis de Qars-i-Arifan et partis dans le désert où je vis un sanglier(1) qui fixait le soleil. Une béatitude extraordinaire me remplit et il me vint à l’idée de demander au sanglier de prier pour moi. Alors que cette pensée me venait, je m’approchais du sanglier en le saluant. Dans un état d’extase, il se jeta à terre et se roula plusieurs fois sur le sol. Dès qu’il se redressa je dis : « Amin », et retournai vers mon Sheik. Avant que je prononce un seul mot, il me dit « Très bien, mon enfant. Maintenant, va dans les rues et enlève les objets qui encombrent le passage. »
Je fis ce qu’il me disait et de cette manière mon âme progressait. Par le simple fait de servir, je devins conscient de quelques secrets divins.
(1) Selon d’autres témoignages, c’était un chien. (pp. 43-45)
Très jeune, il [Khwājā ʿUbaydu’llāh Aḥrār Naqshbandī, 1404-1490] vivait des états d’absorption extatique et il raconte qu’il était tellement habité par le sentiment de sa propre bassesse qu’il vénérait tous ceux qu’il rencontrait que ce soit un esclave, un maître, un serviteur, un inconnu, ou un personnage célèbre. Il tombait à leurs pieds en les suppliant de l’aider sur le chemin.
A dix-huit ans, son dhikr était devenu permanent et si intense qu’il n’avait plus conscience du tumulte du bazar lorsqu’il le traversait. En cela, il suivait déjà les conseils de celui qui deviendra l’un de ses maîtres, Yakub Charki, qui demandait à ses disciples de ne jamais être distrait de la Présence de Dieu, même le temps d’un clin d’œil, quoiqu’on fasse, vendre, acheter, accomplir un rite, lire, écrire. (p. 63)