La force de
Boualem Sansal consiste à partir d'une fiction, parfois complexe, à aborder les maux de la société, au premier plan desquels il place la radicalisation islamiste, mais également l'impuissance des pouvoirs publics devant ce qu'il nomme, des ennemis, des envahisseurs, des « serviteurs de la métamorphose de Dieu. Dans le « train d'Erlingen » il traite de l'émigration et de l'immigration des XIX éme, XX ème et XXI ème siècles, de l'usage que les hommes ont fait du train pour déplacer, déporter, exterminer des populations. Lorsqu'il aborde le cas précis de la France il n'hésite pas à décrire la situation de certaines banlieues et parle du renoncement des dirigeants.
La construction du roman est déroutante. Deux histoires se croisent. L'une est constituée de notes qui devaient servir à l'écriture d'un livre et des lettres que s'échangent une mère et sa fille. Il y a Ute von Ebert qui est l'héritière d'une dynastie allemande qui a émigré au XIX ème siècle aux États-Unis et fait fortune outre-Atlantique. Elle est revenue vivre à Erlingen, une petite ville bourgeoise (de fiction) qui est menacé par un ennemi fanatique qui veut imposer une loi de soumission à Dieu. Les autorités de la ville envisagent d'évacuer les habitants grâce à deux trains, qui ne pourront pas sauver la totalité de la population et qui n'arrivent pas. Elle écrit à Hannah sa fille qui habite Londres et lui fait vivre ce qui se passe à Erlingen. L'autre histoire est celle de Élisabeth Potier, qui a été victime de l'agression d'un jeune radicalisé, alors qu'elle revenait d'une manifestation de soutien aux victimes du Bataclan en novembre 2015. Ce sont les lettres de sa fille Léa qui nous révèle son engagement d'enseignante dans une banlieue dite difficile. Elle nous apprend ce que sa mère a vécu pendant son coma revenant sur la vie de Ute von Ebert car c'est elle qui avait collecté ces notes. le chevauchement des deux histoires est parfois difficile à suivre, mais il y a des pages d'une intensité bouleversante, d'autant que l'on ne sait pas si l'on est dans la fiction où dans la réalité. Deux romans célèbres planent sur celui de
Boualem Sansal : en premier, « La métamorphose » de Franck Kafka sur lequel il s'appuie pour démontrer la métamorphose de Dieu et celle des individus qui se radicalisent. Ensuite il consacre des pages « au désert des Tartares » de
Dino Buzzati pour traiter de l'ennemi qui ne vient pas, mais est bien présent et hante la population d'Erlingen où des lieux dans lequel il s'immisce. Avec le train d'Erlingen il se place dans la lignée de ces classiques, comme avec
2084, la fin du monde il faisait écho à
1984 de
Georges Orwell.
Au delà des ennemis qu'il cible, certaines de ses positions, des expressions qu'il emploie peuvent parfaitement s'appliquer à la situation que vit le monde avec le Coronavirus, d'ailleurs page 23 pour parler de la guerre il écrit : « pour l'expliquer, ils disent que c'est une nouvelle maladie, une épidémie » mais page 19 il avait écrit « ce ne sera pas la première fois que l'humanité repartira à zéro ».