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sur 1395 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
J'ai rencontré Modesta et l'art de la joie grâce à Arte et son émission consacrée aux romans « sulfureux « comme les bienveillantes de Littell, Lolita de Nabokov ou Madame Bovary.
« L'art de la joie « de Goliarda Sapienza est un roman qui ne trouva pas de maison d'édition en Italie et qui parut en France. Son auteure ne verra pas de son vivant son livre dans les librairies.
Modesta est née avec le vingtième siècle dans la région de Catane en Sicile. Elle vit dans la pauvreté la plus complète Entre une mère taiseuse une petite soeur handicapée et un père absent.
Modesta est une petite fille curieuse, bavarde et pas timide ce qui va la mettre dans des situations difficiles. Elle a un rêve, un rêve d'enfant voir la mer.
L'art de la joie c'est avant tout une émancipation dans une Italie patriarcale où les hommes font la loi et la religion acquiesce. Face à son destin Modesta va suivre un chemin dans une Italie bousculée par l'histoire, première guerre mondiale, montée du fascisme, seconde guerre mondiale.
L'art de la joie c'est aussi une histoire d'amour. Modesta n'a que faire de la bienséance, elle aime aussi bien les femmes que les hommes. Béatrice, Joyce, Nina, Carmine, carlo…. Elle vit ses histoires d'amour avec son coeur, avec son corps. Et pour finir l'art de la joie c'est l'histoire d'une famille, un microcosme avec une Modesta entourée d'enfants, les siens, des neveux des nièces. Une maison pleine de rires, de musiques et d'amour .
« comment pouvais -savoir que le bonheur le plus grand était caché dans les années apparemment les plus sombres de mon existence ? S'abandonner à la vie sans peur, toujours… »
Comment ce livre magnifique a t'il pu être considéré comme sulfureux ? Finit d'écrire en 1976 dans une Italie en proie au terrorisme des brigades rouges, où la religion n'a pas desserré son influence dans la société et un roman écrit par une femme.
J'ai aimé Modesta, son courage dans ses choix et ses combats, son amour de la vie. Un beau personnage de roman.
Je vous recommande l'art de la joie même si par moment il y a quelques longueurs.
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« Les couleurs viennent du coeur, les pensées du souvenir, les mots de la passion. »

Un livre assez impressionnant. Il ébouriffe dès les premières pages. La narratrice, Modesta, raconte une grande partie de sa vie, ses drames, ses rencontres, ses ''enfants'', ses coups de coeur, qu'ils soient sentimentaux, littéraires, idéologiques. On sent la présence, au travers de cette histoire qui s'étale sur plusieurs décennies, de la pensée de l'auteur, Goliarda Sapienza, son histoire personnelle, ses combats, ses rêves et espoirs durant toutes ces années difficiles qu'a connues l'Italie.

Elle y parle un peu de sa mère, Maria Giudice :
« - Vous ne connaissez pas Angelica Balabanoff ? Je croyais que vous la connaissiez, c'est une grande amie de Maria Giudice.
Non, je en l'ai pas connue. Elle est belle comme Maria ? »

Elle y parle de l'amour :
« ...parce que les sens suivent l'intelligence et inversement, il me semble qu'on tombe amoureux parce qu'avec le temps on se lasse de soi-même et on veut entrer en un autre. (...) entrer en un « autre » inconnu pour le connaître, le faire sien, comme un livre, un paysage. Et puis, quand on l'a absorbé, qu'on s'est nourri de lui jusqu'à ce qu'il soit devenu une part de nous-même, on recommence à s'ennuyer. Tu lirais toujours le même livre, toi ? »

Elle y parle de la mort :
« Il est temps de se remuer, de lutter de tous ses muscles et de toutes ses pensées dans cette partie d'échecs avec la Certa qui attend. Et chaque année volée, gagnée, chaque heure arrachée à l'échiquier du temps, devient éternelle dans cette partie finale. Réfléchis, Modesta, peut-être que vieillir de façon différente n'est qu'un acte révolutionnaire de plus... »

Elle y parle de la Sicile, du langage, de son évolution :
« - Et comment devrais-je les appeler ? de ces noms méprisants que leur donnent les étrangers ?
- Velluta... Cela faisait si longtemps que je ne l'avais pas entendu ! Notre langage se perd, Mattia, et il laissera beaucoup de regrets dans cette île. Tuzzu disait : ''Les couleurs viennent du coeur, les pensées du souvenir, les mots de la passion.'' »

Elle y parle du temps :
« Mais l'avenir n'existe pas, ou du moins l'inquiétude pour l'avenir n'existe pas pour moi. Je sais que seulement jour après jour, heure après heure il deviendra présent. Et dans ce présent que nous avons eu – et avons – tu m'as donné bonheur, conceptions nouvelles, tu m'as fait grandir mentalement et puis... »

Elle n'hésite pas à nous interpeller, nous lecteurs :
« Nina est curieuse comme vous l'êtes, vous qui lisez. Excusez-moi, le fait est que vous lisez chez vous, et peut-être êtes-vous dans un temps de paix, tandis que je vis dans un temps de guerre. »

Alors, je lui laisse la parole : « Raconte, Modesta, raconte. »

J'ai apprécié cette lecture. L'art de la joie est un roman qui parle de liberté avant tout : « Une grande liberté d'esprit et de mouvement ! Comment as-tu fais pour conquérir tant de liberté ? » Et il m'est apparu que c'est un travail long et difficile pour le faire dans le respect des autres. Modesta, bien évidemment en voyant cette photo de couverture, Modesta ne pouvait qu'avoir les traits de Goliarda Sapienza, magnifique ! Toutefois, Modesta n'est pas un personnage qui m'a enflammé (un peu trop parfaite pour moi -même quand elle reconnaît ses petitesses-) mais le livre tient sur la longueur -notamment la petite voix de Tuzzu, qui revient chanter des vérités toutes simples et si belles à l'oreille de Modesta toute sa vie alors qu'elle ne l'aura croisé que quelques temps dans sa toute jeunesse- et j'admire ce travail. Il y a de très belles phrases.

A un moment j'ai pensé au roman Les hauts de Hurle-Vent. D'une part parce que j'ai eu la même difficulté à retenir l'enchevêtrement familial avec des prénoms récurrents et des personnages vivants tous dans cette grande maison. Et puis, quelque chose m'a conduit à ce petit parallèle, vers la fin du roman, sans doute le personnage de Catherine me revenait en mémoire alors que je lisais chez Sapienza «Il faut mettre de la distance avec ceux qu'on aime, la distance clarifie presque plus que la mort.» Mais je ne saurais l'expliqué plus. Une association d'idées. Deux romans, deux femmes écrivains...

C'est également un roman d'apprentissage. Si je dois en retenir un seul, je choisis celui du jardinier, Mimmo : « tu m'as appris à rire et personne ne me retirera ton enseignement.»
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Je voudrais vous parler d'une femme dont j'ai rêvé qu'elle devienne à la fois ma mère, ma soeur, ma maîtresse, ma confidente... Je vous rassure, je ne suis pas allongé sur le divan d'un psy au moment où je vous écris ces mots. Cette femme existe, puisque j'ai frôlé son âme le temps de quelques pages de lecture, 640 pages précisément... Je veux simplement vous parler de Modesta.
Modesta est la narratrice du roman. Alors, forcément nous pensons que l'auteure, Goliarda Sapienza, a aussi parlé de son histoire personnelle, de ses combats, de ses espoirs, de ses joies et de ses blessures.
L'Art de la Joie est le roman qui la met dans la lumière et nous en sommes éblouis, tout comme celles et ceux qui croisent son chemin. Ce sont aussi de beaux personnages. Parfois, la lumière attire les papillons. Il faut beaucoup d'équilibre au papillon lorsqu'il s'approche de la flamme d'une bougie, ressentir l'éblouissement jusqu'à cette limite ultime qu'il sait ne pas franchir pour ne pas se brûler les ailes. Et donc mourir... Tenir la bonne distance en quelque sorte. Les personnages de l'Art de la Joie ont parfois brulé leurs ailes au plus près de Modesta.
Il m'est difficile de décrire et résumer ce livre. Il m'est presque aussi difficile de décrire le personnage de Modesta.
Simone Beauvoir nous dit : « on ne naît pas femme, on le devient ». Il me semble que Modesta a brûlé toutes les étapes et pourtant l'Art de la Joie est un roman d'apprentissage.
Modesta est née le 1er janvier 1900, c'est une belle manière d'entrer dans le siècle. Modesta traverse le XXème siècle de l'Italie comme une comète, comme un feu follet. Quand je dis l'Italie, c'est plutôt la Sicile, ce détail est très important. Modesta est à la fois ancrée dans le déroulement d'une histoire, la petite et la Grande Histoire et cela n'a de sens de le vivre et l'écrire que dans cette terre sicilienne et natale. C'est un roman d'émancipation.
Car c'est bien de la lumière qu'il s'agit, la lumière des livres, des textes, ceux dont nous parlons à longueur de jours et de nuits, ce qui fait tenir debout Modesta, elle qui se révolte, s'offre aux autres, hommes ou femmes, se refuse aussi... Modesta, femme libre, vit plusieurs vies. Au fond, elle devient femme plusieurs fois au cours de son existence multiple.
Le livre débute comme un coup de poing au ventre. C'est comme un acte fondateur, mais brutal, qui fait mal. Modesta porte les stigmates à la fois de son enfance et des histoires qu'elle côtoie et traverse sur son passage. Et puis aussitôt elle se relève, chancelante sans doute, regardant déjà vers le ciel, pour nous prendre la main et nous emporter dans le tourbillon de sa vie. Et c'est là que s'exprime la force de la joie, l'art pour être plus précis, la joie qui permet de se relever, qui console, qui guérit... Car c'est un art, lorsque, contre vents et marées, il est permis d'inventer sa vie pour en faire une île, un archipel, une barque, une herbe folle dans un jardin anglais, une constellation...
C'est une joie simple, presque primitive, qui tisse l'itinéraire de Modesta vers son destin. C'est une joie d'amour. C'est une joie qui s'éveille dans une blessure presque irréparable. Que dis-je ? Totalement inguérissable. le XXème siècle est un siècle de lumières et de tragédies. Modesta va traverser ce siècle, le poing levé vers le ciel, comme un drapeau qu'elle porte pour toutes les autres femmes qu'elle incarne. L'Art de la Joie est une fresque historique.
L'Art de la Joie nous décrit avec passion la pauvreté, la guerre, la résistance, les luttes politiques, l'émancipation féminine... Modesta est de tous les combats.
Il y a dans ce roman la vie, l'amour et la mort. le temps qui passe, la liberté, être femme, la sexualité féminine, la sensualité, l'intelligence, la lumière quoi ! Mais aussi les sentiments et leur tourmente plus que jamais...
Modesta est aimante, généreuse, anticléricale, cruelle aussi. Bourrée de paradoxes. Joyeuse enfin et libre plus que jamais.
C'est un livre qui perçoit aussi la lumière des autres. Elle est aussi fragile et brûlante que celle de Modesta. Et lorsque des personnages deviennent solaires, forcément il y a une part d'ombre qui se déroule à leurs pieds.
Le thème qui porte le livre est donc sans doute la liberté. Car Modesta se bat sans arrêt, prend des coups aussi, tâtonne, parfois trébuche, se trompe aussi, ne perd jamais sa joie. C'est un magnifique portrait de femme.
Ce n'est pas ce qu'on appelle un roman facile, c'est un roman dense, il n'est pas facile d'y entrer, il n'est pas non plus toujours facile de tenir la distance. C'est un roman de la patience. Le lecteur est aussi en apprentissage. Mais au fil des pages, nous entrons peu à peu dans le livre, dans la Sicile solaire et sombre, dans les pas sublimes de Modesta. Et une fois le livre refermé, l'histoire de celle-ci cogne encore en nous longtemps après.
Ce livre est profondément féminin. C'est pourquoi il doit être lu absolument par des hommes aussi...
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J'étais partagée entre la réticence et la curiosité à l'idée de découvrir ce qui est aujourd'hui considéré comme un chef d'oeuvre de la littérature italienne. Plusieurs amies m'avaient parlé d'une lecture incroyablement compliquée et c'est volontairement que j'ai écouté ce titre en dernier parmi ceux sélectionnées pour le Prix Audiolib 2019. Aussi, une sorte de mythe l'entourait, sachant que Goliarda Sapienza avait mis dix ans à l'écrire, que sa rédaction, fastidieuse, l'avait mise aux abois et qu'elle est morte avant de l'avoir vu publié partout dans le monde.


L'Art de la joie est le récit de la vie de Modesta, née d'une famille sicilienne pauvre, au même moment que le XXème siècle : le 1er janvier 1900. Nous la suivons, de son enfance à son adolescence, puis dans sa vie d'adulte, de femme, de mère. Nous assistons à la découverte de ses premiers émois amoureux - avec d'autres jeunes filles comme Beatrice, de jeunes hommes ou d'hommes plus âgés comme Carmine -, de la littérature. C'est un portrait de femme libre, forte, obéissant à son instinct, qui se déploie sur des années, tout autant qu'un roman d'apprentissage, la chronique d'une époque en proie aux bouleversements politiques, et enfin, un hymne à la joie et à la création de son destin.

L'Art de la joie est un roman incroyablement dense. Je n'avais jamais écouté un livre audio aussi long et cette lecture a parfois été pénible à suivre, mais je suis heureuse d'en être arrivée à terme. Il faut dire que la narratrice m'a beaucoup aidé à perséverer dans mon écoute !

La narration...

Je salue Valérie Muzzi d'avoir assuré la lecture à haute voix d'un si monumental et parfois si confus ouvrage, sans trop nous perdre entre les différentes narrations, les nombreux personnages - elle réussit à donner à chacun une identité, nous permettant ainsi de nous repérer, ce qui n'est pas évident avec la version écrite, la narration passant de la première à la troisième personne à certains moments. Sa voix sensuelle se prête très bien aux scènes de découverte de la chair et d'amour (et elles sont nombreuses !).

J'avais découvert cette narratrice grâce à sa lecture de Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n'en as qu'une et je suis impressionnée d'entendre sa capacité à exceller dans un registre aussi léger que celui du feel good book de Raphaëlle Giordano, que d'un classique de la littérature italienne.

Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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On développe parfois avec les livres des attentes qui rappellent celles que les vendeurs de shampoing aimeraient nous voir prendre par rapport à leurs flacons : pour telle humeur, tel état d'esprit, telle qualité de kératine ou telle envie de plaire, achetez cet embellisseur, prenez ce roman, appliquez ce baume, lisez ce livre.

Or moi, je sortais de Proust. Et George Eliot avant lui. du lourd, quoi. D'une semaine dense aussi. J'avais la mèche fatiguée, en manque d'éclat et de lumière comme qui dirait. Alors j'avais envie de facile. D'évasion à bon compte. Pas crétine mais légère.

Comme tout accro qui se connaît, j'avais prévu le coup et entassé au pied de mon lit le réconfort anticipé de quelques milliers de pages parmi lesquelles l'Art de la joie que je me suis donc décidée à entamer en traitement de choc.

Mais, contrairement aux vendeurs de shampoing, les vrais romanciers ne vous markettent pas un produit. Et là où j'attendais plonger dans une saga ambitieuse, le destin d'une femme que les tragédies du 20e siècle ne sauront contrarier, je me suis retrouvée prise dans une puissance bien supérieure à tous les faciles chabadas escomptés.

Modesta nait en 1900 dans une masure sordide des bas-fonds ruraux de Sicile. Misère, folie, abus, violences, rien ne lui sera épargné. Les premières pages la découvrent animal guidant sa vie sur la recherche du plaisir sensuel, mêlent des envolées poétiques et âpres à des éléments biographiques plus factuels dans un mélange des genres assez surprenant. Un passage au couvent, l'arrivée dans une famille riche et folle. La voilà princesse.

Je ne vous raconte pas tout et cette success story n'est d'ailleurs que la trame la plus superficielle de ce roman qui se déploie au-delà des années 50. En fond, ce qui reste, c'est le portrait d'une femme libre qui trace son chemin en faisant fi de toutes les normes, même les plus subtilement aguicheuses. C'est un discours engagé qui met sur un même pied les entraves religieuses, politiques, familiales et même psychanalytiques. La soif de pouvoir, d'argent ou de reconnaissance. Qui montre combien on peut soi-même être sa propre dupe et préférer le chemin de tous les moutons à la quête exigeante de la joie.
Modesta est l'insaisissable objet d'amour qui se donne au plaisir, à la vie quelque visage qu'ils prennent. Et c'est en procédant ainsi qu'elle est juste et qu'elle peut faire rejaillir cet amour dans n'importe quelle circonstance si cruelle soit-elle.

Le roman est envoutant même si la force démonstrative de l'entreprise m'a semblé un peu lourde par moments et que j'avoue avoir regretté qu'il y ait tant d'idées, d'allégories et de profondeur revendiquée. Il y a aussi, je crois, la distance culturelle avec un genre romanesque qui n'est pas celui que je connais bien, à la française ou à l'anglaise. J'ai senti ici des tonalités, des mélanges dont l'intertextualité m'échappait mais qui devaient inscrire ce projet dans une lignée. Les spécialistes de littérature italienne me le confirmeront peut-être. Il n'empêche que l'Art de la joie est un livre unique en son genre, séduisant et entier. Une traversée revigorante.

Et ma mèche, me direz-vous ? Bercée aux eaux siciliennes, réchauffée à la flamme des bougies, comme par surprise, elle a retrouvé son allant !
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L'art de la joie commence par un viol incestueux dès les premières pages, ce qui m'a laissé quelque peu perplexe, et assez inquiet, sur la suite des événements. Mais ce qui détruirait beaucoup de personnes n'abat pas Modesta, qui, après une purification par le feu, est déterminée à garder son destin en main.

Et les moyens qu'elle emploiera pour y parvenir ne sont pas franchement conventionnels. Il faut dire que quand on est orpheline, et issue d'une famille pauvre, il faut avoir pas mal d'imagination et de souplesse éthique pour gravir l'échelle sociale. À coups de stratégies pas toujours moralement irréprochables, Modesta parvient pourtant à faire sa place, utilisant astucieusement les tabous de son temps à son avantage.

On comprendra sans peine que le roman a du faire dresser les cheveux des têtes de quelques censeurs. À notre époque encore, le nombre de thèmes sensibles reste conséquent : homosexualité refoulée du monde religieux, mariage d'intérêt et relations sexuelles avec un trisomique, enfants hors-mariage, relations sexuelles avec un homme puis plus tard son fils, … sans compter les thèses féministes, communistes et fascistes qui parsèment l'histoire.

Que cette accumulation ne donne pas une fausse image du livre : il n'est pas inutilement provocateur, mais décrit simplement l'histoire d'une femme fermement décidée à aller où elle le souhaite, et ne permet à personne, ni à aucune norme sociale, de lui marcher sur les pieds. On est même souvent soulagé qu'il y ait une Modesta dans les environs pour prendre un chemin, certes inhabituel, mais qui permet d'éviter des souffrances à pas mal de monde.

Le roman est dense, et on a réellement l'impression de vivre toutes les péripéties du siècle précédent à travers ce personnage, qui semble tout illuminer sur son passage. À tel point que cette « perfection », ajoutée aux situations parfois extravagantes auxquelles Modesta est confrontée, m'a fait parfois douter de l'humanité des personnages, et s'il ne fallait pas plutôt les considérer comme des allégories (dont le sens m'échappait). Comme tous les oeuvres posthumes colossales qui finissent tout de même par être publiées un jour, nul doute que celle-ci laissera une trace dans l'esprit de tous ses lecteurs, qu'ils l'aient appréciée ou non.
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Ce n'est pas vraiment une critique, mais plutôt mon sentiment que je viens vous livrer. Parce qu'au fond, c'est de cela dont il s'agit. de sentiments, d'émotions, de poésie, voire même d'Histoire.

Tout au long de la lecture, je suis restée bloquée sur la raison pour laquelle ce roman s'intitule « l'art de la joie ». J'y ai trouvé beaucoup d'art, surtout de la littérature car Modesta s'est construite à partir de livres et chaque oeuvre qui a façonné Modesta est analysée. Mais tout compte fait, peu de joie.

Je l'aurais plutôt appelé : « l'art de rêver ». Modesta décroche souvent de la réalité. On lui pose une question, elle réfléchit, divague, sait à peine ce qu'elle répond, et nous aussi d'ailleurs. On est perdus à entre ses pensées, les dialogues et la réalité. Mais quelle réalité ? C'est un roman. Alors c'est cela, il ne faut plus se contenter de lire Modesta, il faut ETRE Modesta pour percevoir toute la subtilité du personnage ? Entendu. Tout ceci est admirablement retranscrit par un switch constant entre différents modes narratifs : tantôt l'emploi de la première personne, tantôt l'emploi de la troisième, des dialogues classiques, d'autres rédigés comme ceux d'une pièce de théâtre (ah le théatre !) ce qui peut être déroutant, et j'avoue même parfois fastidieux.

Et pourquoi pas « l'art d'aimer » ? J'ai été intensément touchée par l'amour qu'elle transmet à ses « enfants ». Les enfants, aux caractères et aux destinées si différents, élevés avec tant de liberté et pourtant qui lui vouent une telle admiration et de respect. Et puis il y a l'amour que Modesta porte à ses amant(e)s. D'ailleurs, quelle frustration que le dernier, dont on ne connait presque rien.

De l'amour au sexe, il y a peu de chemin, alors pourquoi pas « l'art de jouir » ? Les descriptions coquines des relations intimes avec les amant(e)s de Modesta justifient à elles seules la difficulté à faire publier ce livre et, une fois chose faite, d'expliquer le scandale qu'il a provoqué. Mais la liberté sexuelle est une des libertés pour lesquelles Modesta a lutté et a sacrifié sa fortune et sa réputation et qu'il fallait honorer pour que le personnage soit aussi délicieusement excentrique.

Oui, à propos de lutte, cela pourrait être « l'art de la résistance ». Justement pour ce combat contre sa destinée, puis contre la religion, le fascisme, et pour la liberté des femmes… La vie de Modesta est une lutte constante, une joute équilibrée entre la résistance et l'acceptation ; comment accepter l'immuable (la vieillesse, la Certa) et résister aux idées qui vont à l'encontre de ses convictions, quand bien même sont-elles répandues dans le monde entier et dut-ce-t-elle mettre sa vie en danger ?
Elle résiste même aux mauvais côtés de la vie pour ne garder que les meilleurs. Tiens, alors pourquoi pas « l'art de la résilience » ? La voit-on pleurer la mort d'être chers ? les séparations de ses amants ? La voit-on souffrir d'un choc post traumatique à l'issu de ses 5 ans
d'emprisonnement et de torture ? de son viol ? Si certains passages difficiles de la vie de Modesta sont décrits de façon factuelle et dénuée d'émotion, d'autres pans de son histoire sont complètement occultés. Aucun oubli de la part de Goliarda Sapienza, seulement Modesta ne garde de sa vie que ce qu'elle a apporté de meilleur.

Alors est ce que REVE + AMOUR + SEXE + RESISTANCE + RESILIANCE = JOIE ? Je n'en suis pas convaincue mais cela donne matière à réflexion, pour le plus grand BONHEUR… de ses lecteurs.
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Copié collé d'une critique remarquable mais pas vraiement remarquée par les Babelistes. Mais n'oubliez pas d'attribuer vos "bons points" à HECTORETTE !

"Modesta est née le 1er janvier 1900 en Sicile, de père inconnu. Elle a une soeur, mongolienne, qui prend toute l'affection de leur mère. Elle se retrouve bientôt sans famille et est placée dans un couvent où elle devient la préférée de soeur Léonora. Celle-ci décède alors que Modesta n'est qu'une adolescente et la nouvelle mère supérieure l'expédie dans une riche famille sicilienne où Modesta va rester et y faire son apprentissage de la vie, à sa manière.
A sa manière, c'est-à-dire de façon très libertaire:d'abord elle épouse l'héritier de la famille malgré sa différence. La voilà riche et même princesse, libre, avec une volonté farouche de s'instruire et vivre comme elle l'entend. Alors elle va faire un enfant illégitime, connaître des expériences sexuelles variées, mais souvent féminines,être accusée pendant la Seconde guerre mondiale de sympathiser avec les communistes puis finir sa vie paisiblement, entourée de sa famille.

Ce roman est un pavé, 800 pages en version poche, mais il se lit assez vite car la vie de cette Modesta est particulièrement bien remplie. D'ailleurs il débute sur les chapeaux de roue, avec quelques scènes plutôt chaudes. On comprend donc rapidement que l'héroïne ne va pas s'en laisser conter.
Je me suis littéralement laissé prendre au jeu pendant la première moitié du livre, malgré quelques passages difficiles à cerner. La 2ème partie, sans être ennuyeuse, connaissait plus de longueurs qui,à mon avis, n'avaient pas lieu d'être. J'ai eu comme l'impression que Goliarda Sapienza voulait aborder trop de sujets: histoire, psychanalyse, politique, relations intimes, par le biais de longs dialogues tombant un peu comme un cheveu sur la soupe et entraînant une espèce de fouillis, du moins pour moi.

Cela dit, ce fut une excellente lecture, à la fois divertissante et enrichissante."
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Je suis envoûtée par ce roman dès les premières pages. Cette petite Modesta est dotée d'une grande curiosité et de son corollaire, une intelligence supérieure. Fille sans père, nantie d'une mère indifférente et d'une soeur trisomique, elle sera, pour survivre dans l'obligation de cacher ses émotions et ses pensées dans la Sicile miséreuse du début du XXème siècle. Et tous les coups sont permis, même monstrueux, afin de rester elle-même.

Il règne dans ce roman une atmosphère de désir, de chaleur, de mystère avec toujours la guerre en filigrane. Un monde où résonne les idées révolutionnaires, les montées des fascismes d'Hitler et Mussolini, de Freud et de féminisme. Modesta vit avec son temps et analyse ces idées nouvelles, mais toujours elle y trouve un enfermement et s'en tient plus ou moins éloignées. Elle résiste à toutes les formes de pensées ou d'amours qui veulent l'enfermer. Elle veut rester libre d'aimer comme elle le désire.

Sa force de vie réside dans sa volonté farouche de ce non-enfermement que ce soit à travers des idées ou avec les êtres humains. Mais elle sait aussi que seul l'argent peut lui donner cette liberté.
Modesta est totalement vivante au sens le plus profond du terme. Je ne la taxe pas d'anarchiste, de bi-sexuelle, de féministe pour ne pas l'enfermer moi-même. Une oeuvre brillante d'une femme certainement exceptionnelle elle aussi.
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La conjonction de la saison estivale et de ses pavés et d'une trouvaille en boîte à livres m'a fait attaquer enfin L'art de la joie, dont je remettais sans cesse la lecture depuis une tentative il y a quelques années. La plupart des critiques promettent un chef d'oeuvre, je n'allais donc pas plus longtemps reporter cette lecture !

L'art de la joie, pour faire court, raconte le destin d'une petite fille née en janvier 1900 dans une famille sicilienne aussi pauvre que peu aimante. le roman la suit jusqu'à un âge avancé, et détaille comment, toute jeune, elle connaît ses premiers émois amoureux, comment elle quitte sa famille pour le couvent, après un drame intime et familial (ce passage est particulièrement saisissant), comment elle développe ses capacités intellectuelles puis devient par des circonstances étonnantes, Princesse et maîtresse d'une grande demeure proche de Catane, puis mère, égérie et lumière d'une famille dont elle restera pourtant indépendante. Mais surtout, comment les rencontres et les amours que Modesta aborde avec toujours la plus grande liberté, et sans toujours se soucier des sentiments des personnes qui l'entourent, ont contribué à former sa personnalité. le féminisme et le socialisme avant l'heure de Modesta vont se mêler avec l'histoire de la Sicile tout au long du XXème siècle, et former une fresque hors norme.

Mais, et il faut bien que j'en arrive à l'avouer, j'ai trouvé tout cela original, parfois enthousiasmant, souvent très intéressant, mais aussi bien long !
Les changements de rythme, s'attardant sur des discussions entre les personnages pendant des pages et des pages, pour passer ensuite plusieurs années en quelques lignes, m'ont souvent gênée, plus que les passages de la première à la troisième personne, qui, eux, m'ont paru cohérents, et apportent quelque chose de plus au texte.
Je trouve que les points forts du roman portent en eux-mêmes chacun leur inconvénient : par exemple, j'ai trouvé beaucoup d'intérêt au côté féministe du texte, mais, il apparaît au travers de longs dialogues où les idées progressent et gagnent du terrain dans les esprits, mais assorties de longueurs finissant par lasser. Quant au magnifique personnage, libéré et incomparable, de Modesta, s'il est de toutes les pages et de toutes les avancées intellectuelles, il fait paraître tous les autres personnages assez insignifiants, en particulier les autres femmes.
Au bout du compte, ce n'est pas pour moi la coup de coeur annoncé, je lui ai préféré les romans de nature autobiographique de Goliarda Sapienza, moins délayés, que sont Moi, Jean Gabin, sur son enfance à Catane, et L'université de Rebibbia, sur son incarcération dans une prison romaine.

L'autrice a travaillé dix ans à ce roman qui n'a été publié qu'après sa mort, et a connu le succès surtout après sa publication française, chez Viviane Hamy tout d'abord, puis au Tripode.
Lien : https://lettresexpres.wordpr..
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