Les ambiguïtés d'un empereur.
On retient généralement de Constantin qu'il fut le premier empereur romain à se convertir au christianisme au début du 4ème siècle de notre ère et qu'il a donné à cette religion son essor. Certains affirment même, non sans arrière-pensées, que c'est un des facteurs majeurs de la décadence de l'empire romain. On se souvient aussi qu'il déplaça la capitale de Rome à Byzance qui prit alors le nom de Constantinople. Grâce à des mémoires imaginaires,
Joël Schmidt remet en perspectives l'ensemble des connaissances historiques et nous livre une sorte de biographie romancée en faisant parler Constantin à la première personne du singulier, en comblant de façon plausible les trous et les blancs que laissent les sources et en ne prenant pas pour argent comptant tout ce que raconte ces mêmes sources (par exemple,
Eusèbe de Césarée).
Dans ces Mémoires de Constantin, on découvre une société aux antipodes de la nôtre avec ses esclaves, ses barbares (toujours prêts à déferler), ses jeux du cirque, sa justice expéditive, la faible valeur de la vie humaine, le rôle très secondaire et très subalterne des femmes servant le plus souvent de monnaie d'échange et de concubines, la soumission à une religion d'état.
Cependant, il faut bien constater qu'on se situe dans époque charnière, une époque de transition où le paganisme perd du terrain et où le christianisme commence à prendre son envol. Pour l'auteur, le génie de Constantin réside dans sa modération, sa tolérance et sa vision de l'avenir dans un siècle où ces qualités sont le plus souvent absentes. Il cherche d'abord l'affermissement de l'Empire en assurant son unité interne contre les menaces externes.
Mais une vraie question demeure: Constantin est-il devenu chrétien par conviction personnelle ou par calcul politique? Toute son action à la tête de l'Empire favorise le christianisme et tend à en faire une nouvelle religion d'état à la place du polythéisme romain sans jamais persécuter ceux, très nombreux, qui restaient fidèles au paganisme. Cependant, cette conduite ne fait pas de lui un chrétien d'autant qu'il vit avec des concubines, qu'il laissera assassiner son fils ainé Crispus et sa femme Fausta et qu'il aura parfois recours aux prédictions et aux soins relevant du paganisme ou de la superstition. Sa conversion est lente et sinueuse et son baptême à l'article de la mort, courant à l'époque, a une signification limitée. Dans une période troublée où les enjeux politiques demeurent pressants et existentiels, il reste bien difficile et périlleux de juger le comportement de Constantin tant du point de vue stratégique que moral, ce dont
Joël Schmidt se garde bien. Lui aussi laisse planer le doute.
Ces mémoires fictifs constituent un roman historique admirable par ses prises de position permettant une vulgarisation de bon niveau, par sa prudence sur le début de l'antiquité tardive, période mal connue, et par sa capacité à donner à l'ensemble une cohérence et une fluidité naturelles.