SEIGNEUR, QUEL ROMAN !
Partant de faits réels en mêlant à son intrigue un vétéran et une victime de la fameuse bataille de Bruyères d'octobre 1944 durant laquelle se sont illustrés les 100e et 442e bataillons US composés de « Niseis », Américains d'origine japonaise, le Vosgien
Franck Seigneur donne à son histoire policière une solide base historique, parfaitement documentée qui en fait à la fois l'originalité et le charme. Pourquoi la petite cité vosgienne de Firville (en fait Bruyères) est-elle le cadre d'un crime pour le moins étrange (un homme sans tête découvert dans la forêt) ? le major de la gendarmerie locale s'interroge et reçoit bientôt le renfort du commandant de police parisien Yann Valroff, envoyé sur les lieux après qu'une autre exécution du même acabit a été découverte dans la capitale portant sur un homme originaire lui aussi de Firville. L'enquêteur du 36 quai des Orfèvres débarque dans un cadre rural très éloigné de la délinquance urbaine qui est son lot quotidien. Les aides conjuguées d'une jeune journaliste Kim N'Guyen d'origine asiatique et d'un vétéran de la bataille de 44 lui seront précieuses comme le soutien de Sylvie Hilaire, docteur de la petite ville qui soulagera ses plaies et son coeur.
En dépit de la mise en place d'une cellule de renseignement « Homicide 88 », le scénario s'accélère et plusieurs autres victimes viennent contrecarrer les efforts du flic migraineux pour découvrir la vérité. Peu à peu, il débusque quelques secrets enfouis au sein de la petite communauté villageoise adossés sur une légende (le samouraï des neiges) expliquant la menace terrible que fait peser sur certains habitants une société ultranationaliste japonaise aux méthodes ancestrales expéditives et sanglantes. Ce qui entraîne par ricochet l'intervention des services secrets américain et japonais. du coup, Valroff, dessaisi de l'affaire, décide de poursuivre en électron libre ce qui lui vaut quelques sérieuses mésaventures.
Ce thriller solidement charpenté, au rythme soutenu, fait la part belle à la psychologie de personnages attachants, à l'image de ce Valroff qui aurait pu devenir un héros récurrent si… (mais n'en disons pas plus). Ce livre pourrait faire un excellent film d'action (ah, cette poursuite sur l'autoroute !) et le cinéma serait bien avisé de se pencher sur le travail d'orfèvre de
Franck Seigneur. Pour autant, qu'on ne s'y trompe pas, ce dernier est un romancier soucieux de la langue et qui dépeint cette région de l'est avec un art consommé de l'image. Ainsi parlant de la forêt vosgienne où Valroff enquête : « Un décor que la neige muselait sous un voile opaque et uniforme. Dans cette stérilité de bloc opératoire, le vent d'est soulevait des nuages de particules de glace qui tels des spectres fuyaient aussitôt les lieux pour traverser la forêt en processions irrégulières ». Les Vosgiens reconnaîtront là leur terroir saisi au plus près de sa spécificité.
Quand l'Histoire avec un grand H percute tel un boomerang, un demi-siècle plus tard, la bonne conscience perverse et le confort de quelques tristes sires, on éprouve une certaine jubilation même si, pour y parvenir, elle emprunte des chemins tortueux.
Franck Seigneur a construit un véritable puzzle dont les pièces se mettent en place une à une pour le plus grand plaisir du lecteur.
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