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Ce grand voyage laisse des traces en tant que lecteur, même si elles sont insignifiantes en comparaison des profondes cicatrices psychologiques des quelques uns qui l'ont vécu et y ont survécu. Nous accompagnons l'auteur dans ce wagon à bestiaux rempli d'êtres humains, où notre monde n'a plus lieu, où le temps n'existe plus, où les sens sont effacés. Reste la pensée de Georges Semprun, dont la puissance est telle qu'elle abolit la souffrance physique dans laquelle nous nous projetons en premier lieu en tant que lecteur, une puissance de pensée telle qu'elle permet à cet homme de philosopher sur sa liberté alors qu'il nous raconte "l'histoire de sa vie" au milieu de ce wagon en même temps que l'histoire de "sa vie au milieu de ce wagon"...

Ce fut une lecture exigeante pour moi, entre cauchemar éveillé, rêverie philosophique, témoignage historique. On ne peut que se recueillir avec gravité et un profond respect face à la hauteur de vue de Georges Semprun alors qu'il a traversé le pire des enfers.
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C'est le livre que l'auteur ne veut pas écrire….enfin pas maintenant, demain peut-être quand il aura oublié….pour se souvenir, en leur mémoire.
Il n'écrit pas, il parle, il raconte, il explique pourquoi il n'est pas prêt, il mélange le présent, le passé et l'avenir, un son lui rappelle un fait passé mais il est rappelé dans le présent par un mouvement du train.
Jorge Semprun ignore comment raconter la déportation, son voyage dans l'impensable….car il en est revenu et il le sait il va devoir raconter…..mais pas tout de suite, d'abord oublier puis se souvenir.
Livre passionnant, plein de tendresse, d'amour, de volonté de partage……à lire absolument
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N°236
Décembre 2001


LE GRAND VOYAGEJorge SEMPRUN - – Editions GALLIMARD.



Je me pose souvent la question de ce qui peut motiver un lecteur d'aller au bout de ce parcours qu'il fait avec l'auteur d'un livre, ce qui fait naître en lui l'intérêt pour le texte, l'envie d'en savoir davantage, le plaisir qu'il prend à vouloir poursuivre l'histoire racontée, de partager avec cet être inconnu qui se cache derrière ses mots le moment privilégié de la lecture qui, malgré le temps, la distance et le nécessaire détachement, continue jusqu'au dernier mot de l'ouvrage d'entretenir cette complicité mutuelle.

Depuis les années déjà nombreuses que j'entretiens « ce vice impuni » qu'est la lecture, je n'ai toujours pas pu répondre à cette question, mais la passion pour les écrivains et leur oeuvre reste intacte en moi, surtout quand j'ai la chance de croiser quelqu'un d'authentique.

De ce livre, maintenant refermé, il me reste un sentiment fort de quelqu'un qui veut témoigner, non pas tant comme un « devoir  de mémoire » mais comme un jalon dans sa propre vie dont nous savons qu'elle n'a pas été quelconque !

Ce voyage, ici qualifié de « grand », c'est la relation faite par un témoin, communiste espagnol de surcroît, de ce qu'à été sa vie dans cette période trouble de notre histoire nationale qu'a été l'Occupation, la pudeur dans le récit tout juste esquissé de ce qu'a été son action dans la Résistance en faveur de notre pays qui avait pourtant si mal reçu les Républicains espagnols vaincus qui fuyaient l'Espagne, Franco, le fascisme et la mort !

C'est aussi le trajet, dans des wagons à bestiaux de ce qu'il a vu, des ces hommes parqués comme des bêtes, dans le froid, la faim et la souffrance, entassés dans des trains de marchandises qui mourraient parfois avant d'être arrivés, qui ne savaient même pas vers quelle destination les emmenait ce convoi, apparemment hésitant entre aiguillages et voies de garage, pendant que ceux qu'il transportait continuaient à mourir, comme si la mort était soudain devenue banale, sans importance.

Il y avait ces petits riens, ces paroles qu'on échangeait malgré le peu d'aisance que permettait l'entassement des hommes debout des jours durant, ballottés par le crissement des roues et le halètement de la locomotive, ces actions parfois vaines mais pourtant tentées pour sauver une vie, dans ces wagons où la mort faisait aussi partie des passagers… Elle prélevait sa dîme dans le convoi des hommes rassemblés là parce qu'ils étaient juifs, résistants ou avaient eu simplement le malheur d'avoir été pris dans une rafle.

Il y avait aussi ces retours en arrière, proustiens, du narrateur, ancien étudiant au lycée Henri IV qui aimait tant la philosophie et le grec … Il faisait lui aussi partie du voyage. Ce train de la souffrance, lent et régulier comme sait parfois être la vie elle-même, mène tout son monde vers la mort. Ils ne le savent pas encore, regardant comme ils le peuvent le paysage à travers l'ouverture grillagée d'un wagon. Ils traversent l'Est de la France, parce que le pays est vaincu, parce qu'ils ont voulu résister à l'envahisseur, parce qu'ils ont eu un sursaut de « vouloir vivre » dans cette France abattue qu'ils ont refusée, face à ceux qui ont choisi un autre camp…

Ils vont vers la mort du camp de Buchenwald, le froid, la neige, les SS et leurs chiens… Ils vont à la rencontre de tout ce dont l'homme, qui est pourtant, dit-on, la forme la plus élaborée de la création est capable en matière de bestialité, d'horreur, de tout ce qui est la négation de l'humanisme et de la culture, de la simple humanité aussi. Il y a l'épaisseur des mots dans leur simplicité même, l'émotion qu'ils inspirent au lecteur attentif… Il y a le spectacle de ces hommes guettés par la mort, ces enfants qu'on massacre pour le simple plaisir de tuer, dans la neige, dans la nuit noire de l'hiver, des projecteurs, des cris des soldats…

Dans ce camp qu'il évoquera plus tard dans « L'écriture ou la vie », indiquant qu'il privilégiait la vie à l'horreur de ce souvenir, il passera deux années qui brûleront sa vie comme si on appliquait un fer rouge sur sa peau. Il y parle pourtant de ce morceau d'Allemagne qu'aima Goethe que les nazis transformèrent en une fabrique de mort. Il y évoque ces hommes qui périssent en fumée sous les yeux apparemment apaisés, ignorants ou volontairement aveugles des habitants de Weimar, cette ville si paisible qu'une éphémère république abrita.

C'est un texte tellement présent qu'on voudrait que la mort ne fût pas au rendez-vous de ce voyage sans retour vers les camps où tant d'hommes et de femmes périrent parce qu'ils ne correspondaient pas au modèle allemand, parce qu'ils étaient livrés à la volonté de tuer de leurs geôliers.

De ce fait, L'auteur devient le gardien de la mémoire, le grand et peut-être l'unique témoin qui osera parler pour que d'autres se souviennent, pour que les générations futures n'ignorent rien de ce qui s'est passé, parce qu'il reste toujours un homme pour décrire l'horreur et qu'il a le devoir d'authentifier les faits qu'il rapporte, d'être celui qui dira ce qui a endeuillé notre XX° siècle dans cette Europe qui fut jadis celle des Lumières, d'être l'avitailleur de cette mémoire collective qu'on voudrait pourtant endormir.

© Hervé GAUTIER
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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Le grand voyage est le récit autobiographique du périple en train, durant quatre jours et cinq nuits de Jorge Semprun, communiste espagnol et résistant, qui le conduisit à Buchenwald, camp de concentration de sinistre mémoire, construit sur la colline d'Ettersberg, près de Weimar.
Ce grand voyage est surtout celui de la mémoire d'un homme éprouvé, prisonnier pendant deux ans du maelström nazi, qui tente de mettre en ordre ses souvenirs pour la postérité : “je me rends compte et j'essaie d'en rendre compte, tel est mon propos” déclare l'auteur. le fil narratif principal du récit est donc le voyage vécu par l'écrivain et ses compagnons d'infortunes dans un wagon bondé qui les conduit vers l'enfer. Cependant, tel un mouvement de systole et de diastole, la narration se contracte, parsemée de souvenirs et de faits postérieurs à l'histoire principale, donnant de l'épaisseur psychologique et un regain d'intérêt au témoignage, évitant par là de sombrer dans une litanie atroce et cauchemardesque de sévices et d'humiliations endurés. Pas de déroulement chronologique donc, plutôt le jaillissement spontané de souvenirs dans l'esprit de Semprun, qui par leur côté saillant permettent de déchirer la gangue d'oubli qui menace d'enserrer la mémoire de l'auteur : flash-back, retour de formules incessantes - leitmotiv de cauchemar-, telle cette phrase prononcée par un jeune homme de Semur-en-Auxois, dont on sait que le coeur exténué ne résistera pas à cet exode : “cette nuit, bon dieu, cette nuit n'en finira jamais”.

La prose et les moyens narratifs de Semprun sont simples, mais ô combien efficaces, pour atteindre leur but : captiver pour transmettre son témoignage, afin que l'oubli ne passe pas sur des faits dont l'horreur défie l'imagination humaine.
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Une longue épreuve de l'horreur, et pour le lecteur un ressenti de douleur mais également de dignité. je garde un souvenir de froid (des cadavres) de noirceur, de marche vers l'enfer.... un des meilleurs livres sur la déportation.
Le genre de livre où l'on s'arrête parfois pour laisser passer l'émotion.
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Mais où étais-je ? Comment ai-je pu passer à côté de cette oeuvre aussi longtemps ? Où étaient mes profs quand il fallait nous faire découvrir ce récit ? Grosse gifle. Les mots vous emportent, leur musique vous submerge, les images vous bouleversent. C'est sublime, tant sur le fond que sur la forme. C'est un témoignage à la fois poignant, pudique, prenant, jamais mélodramatique. A faire lire aux jeunes générations, et à ceux qui ont la mémoire courte. Impossible de faire autrement désormais: ce livre partira avec moi sur l'île déserte. Ne jamais oublier. Jamais.

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Je voulais écrire quelque chose sur les livres de Jorge Semprun et Primo Levi sur leur expérience des camps nazis. J'avais conscience de la difficulté de l'exercice.

Et puis je suis tombé sur cette critique sur Amazon. Qui parle tellement d'elle-même que tout commentaire devient superflu. Puisque cette personne parle de Jésus, moi aussi : "Ecce Homo".

« 𝑢𝑛 𝑝𝑒𝑢 𝑑𝑒́𝑐𝑒𝑣𝑎𝑛𝑡. 𝑝𝑎𝑠 𝑎𝑠𝑠𝑒𝑧 𝑓𝑎𝑐𝑡𝑢𝑒𝑙.
𝑡𝑟𝑜𝑝 𝑑𝑒 𝑣𝑒𝑟𝑣𝑒 𝑝ℎ𝑖𝑙𝑜𝑠𝑜𝑝ℎ𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑎̀ 𝑙'𝑖𝑡𝑎𝑙𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒 𝑒𝑛 𝑟𝑒𝑔𝑎𝑟𝑑 𝑑𝑒 𝑙'ℎ𝑜𝑟𝑟𝑒𝑢𝑟 𝑑𝑒𝑠 𝑐𝑎𝑚𝑝𝑠 𝑑'𝑒𝑥𝑡𝑒𝑟𝑚𝑖𝑛𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛. 𝑑𝑒𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑚𝑒́𝑚𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑐𝑒𝑟𝑡𝑒𝑠 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑗𝑢𝑖𝑓𝑠 𝑛𝑒 𝑑𝑜𝑖𝑣𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑜𝑢𝑏𝑙𝑖𝑒𝑟 𝑞𝑢𝑒 𝐽𝑒́𝑠𝑢𝑠 𝑙𝑒𝑢𝑟 𝑎̀ 𝑝𝑎𝑟𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒́ 𝑠𝑢𝑟 𝑙𝑎 𝑐𝑟𝑜𝑖𝑥. »

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Lu il y a bien longtemps, ce livre marque et ne laisse pas indifférent. Encore aujourd'hui je me souviens de la force d'évocation de ce "Grand voyage", je me souviens les odeurs des corps debout serrés lors de ce voyage interminable en train où chacun cherche un peu d'air frais.
Rarement un livre ne m'a autant ouvert les yeux sur la réalité de ce drame des exterminations de la Seconde Guerre Mondiale.
A l'école, j'aurais préféré avoir ce roman à lire plutôt que le journal d'Anne Franck...
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Pour dire l'impossible et pourtant si réelle vérité sur les camps de la mort , ce livre s'attache au "voyage " vers l'un de ceux çi . Normalement dans un livre , dans la majorité des histoires il y a une étincelle de vie , y compris dans les livres les plus sombres , sauf qu'ici d'étincelle il n'y en a point . Ici c'est l'abomination du pire de l'étre humain que l'on voit , que l'on vis au travers de la prose de Semprun , pleine de poésie , et d'une force inébranlable . Que ceux qui applaudissent Voyage au bout de la nuit de Céline , lisent ce livre et ils auront vraiment devant leurs yeux l'une des plus belles pages des lettres du 20 éme siécle . Et surtout au lieu d'applaudir un type plus que douteux ils seront face a un texte écrit par l'un de ceux que Celine a critiqués , trés violemment , oui Semprun était juif , et c'est son histoire qu'il raconte ici , l'histoire de l'un des rares à étres sortis vivants de l'apocalypse hitlérien .... Un tel livre à sa place tout en haut du panthéon pour que jamais ceci ne se reproduise . Incontournable .
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Un vieux Folio acquis au début des années quatre-vingt et jamais lu. Parce qu'une génération, la mienne, voulait mettre l'horreur à distance, qu'elle croyait savoir tout en ne sachant pas, que tout cela devait être passé et révolu. Et puis il y eut le 7 octobre, l'exigence intime de se retourner, de reprendre par la bonne voie les aiguillages passés de la lecture et j'ai lu successivement La Nuit d'Elie Wiesel et le Grand voyage de Jorge Semprun. D'Auschwitz-Birkenau à Buchenwald. Là où Wiesel exprime incroyablement la mort et la mort de l'humanité, Semprun y célèbre la vie, la force inouïe de l'humanité, de la solidarité, du gars de Semur à qui il est collé pendant ce grand voyages, les « copains », copains d'infortune et de combat, ceux qui sont tombés, le gars de Semur, ceux qui ne reviennent pas, ceux qui en réchappent. le voyage de l'horreur vers l'horreur pire encore est avant tout un voyage intime, une voyage dans la mémoire, un voyage vers l'avant, un voyage vers l'après, une leçon inouïe de résilience – un mot qui n'existait pas encore – et de résistance. La résistance de l'intérieur et de la pensée, un grand voyage dans l'âme et l'esprit de l'auteur. Simplement un homme qui a choisi d'être libre, coûte que coûte, et quand la liberté a totalement la liberté, il lui reste le champ infini de la liberté de ses pensées et de son regard. Un regard qui est le seul acte possible encore pour dialoguer avec un « copain » à l'entrée de Buchenwald. Il s'est tu pendant seize ans car à peine sorti du camp, il n'a pas voulu être un ancien combattant, un de ceux qui rebâchent, qui ne vivent que par et pour le passé. Il a choisi de demeurer qui qu'il lui en coûte – et ce qu'il exprimera à travers Juan Larrea dans La Montagne blanche – avant de pouvoir toujours vivant s'armer de mots, choisir l'écriture. le grand voyage, ce voyage que chacun de nous doit emprunter, pour lire, pour avoir, pour comprendre, pour espérer. Parce qu'il y eut le 7 octobre !
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