Autobiographie ou autofiction ? Dans tous les cas, avec «
Messaouda », l'auteur marocain
Abdelhak Serhane raconte la jeunesse dans un quartier pauvre de la petite ville d'Azrou. Des nombreux frères et soeurs, une mère soumise et craintive, puis un père autoritaire et égoïste. D'ailleurs, ce dernier, après avoir éré mêlée à une affaire peu claire (contre les Français colonisateurs), devra s'éclipser et il en profitera pour retrouver le lit d'une très jeune épouse dans un village lointain. Laissée sans ressource, la famille devra survivre et Abdelhak deviendra un enfant de la rue. Mais, même avant cet événement terrible, le narrateur l'était déjà un peu.
La rue, c'est l'univers des garçons d'Azrou. Ils y jouent ensemble, y passent continuellement pour aller à la mosquée ou à la médersa suivre l'enseignement de l'imam, puis, plus tard, à l'école française. C'est là aussi qu'ils croisent parfois
Messaouda, la prostituée du village, sans doute aussi un peu sorcière. Vénérée de tous – jeunes et moins jeunes –, elle envoûtera également le jeune narrateur qui entre dans l'adolescence. Il passera plusieurs nuits à rêver à elle, puis, éventuellement… je vous laisse deviner la suite.
Ce roman raconte le passage à l'adolescence du jeune narrateur mais aussi le quotidien dans la vie d'un jeune homme, le destin de n'importe quel Marocain à une époque où le pays marche vers l'indépendance. Peut-on dire la voix d'une génération ? Les peurs, les craintes, les désirs... les obsessions. Et, comme toile de fond, ce quartier pauvre d'Azrou. le café d'à côté, où les jeunes trainent sans pouvoir y acheter quoi que ce soit, le vieil aveugle qui se promène dans la rue, les prostituées, quelques figures famillières – ne le sont-elles pas toutes ? – le muezzin qui lance son appel à la prière.
C'est un voyage dans un univers fascinant – pour le lecteur – et qui, s'il n'a pas complètement changé, n'est plus tout à fait le même non plus. La très grande maitrise de la langue française de Serhane lui permet de faire évoquer cet univers sous nos yeux. Tellement que j'avais l'impression d'y être. Ses descriptions précises, sans lourdeur, quoique parfois assez crues, vont droit à l'essentiel, et la narration est étrangement bien rythmée, malgré le peu de dialogues. Décidément, c'est un auteur à découvrir et à suivre.