AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Tahar Ben Jelloun (Traducteur)
EAN : 9782020317207
160 pages
Seuil (17/04/1997)
3.68/5   342 notes
Résumé :
Une famille, dans le Maroc des années 40, quitte le Rif pour Tanger. Afin d'échapper à l'écrasante tutelle du père, auquel ses enfants vouent une haine sans partage, le narrateur s'éloigne bientôt des siens. Il connaît la famine, les nuits à la belle étoile, et rencontre la délinquance, les amitiés nouées dans les bas-fonds de la ville, la sexualité, la prison, la politique. Quinze ans après la parution du Pain nu, la voix de Mohamed Choukri apparaît toujours comme ... >Voir plus
Que lire après Le pain nuVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (39) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 342 notes
L'écriture de Mohamed Choukri est comme une lame tranchante où les sentiments sont étalés à vif.

Dans cette narration initiatique autobiographique, le langage du romancier marocain, à la fois cru et poétique, n'a d'égal que les épreuves de sa vie dans une extrême pauvreté imbibée de violence, de délinquance, des drogues consolatrices et de prostitution compensatrice.

Dans le pain nu, l 'analphabète devenu l'un des écrivains majeurs de la littérature marocaine actuelle se livre dans un style brut, crachant les mots de la misère, de la haine, de la colère, de l'envie de vengeance et de revanche.

« Seul dans le miroir de son âme » Mohamed Choukri ouvre son coeur et son âme sans aucun artifice.


Commenter  J’apprécie          670
Le "Pain nu"est un roman de l'écrivain marocain Mohamed Chouikri ( 1935-2003 ) . Son auteur a connu une enfance dure car issu d'une famille pauvre, nombreuse qui vit sous le joug d'un père cruel et violent qui n'a aucun once de pitié pour sa progéniture d'ailleurs cette dernière le déteste. Pour fuir la misère, la famille quitte le Rif pour Tanger. Mohamed quitte sa famille à l'âge d'onze ans. Il se familiarisera avec la vie des bas-fonds. Il s'adonnera à la prostitution, le vol et connaîtra les mauvaises rencontres. Mohamed est analphabète ne sait ni lire ni écrire .
A l'âge de vingt ans, il fera la connaissance des écrivains Paul Bowles, Jean Genet et celle de Tennessee Williams. Cela constitua un grand stimulant pour Mohamed pour s'instruire et se cultiver . Il deviendra un écrivain célèbre .
Commenter  J’apprécie          6110
Il faut lire - le pain nu - avec à l'esprit les mots de Bernanos :« le monde va être jugé par les enfants. L'esprit d'enfance va juger le monde. »
Car ce monument de la littérature marocaine et maghrébine ( le livre a été traduit en 39 langues ) est un marqueur littéraire, sociologique, historique et politique.
Ce livre censuré n'a pu être lu dans le pays de naissance de l'auteur qu'en 2002... alors qu'il avait été traduit dès 1973 en anglais ( For Bread Alone ) et en français en 1980.
Notons cependant qu'il avait fait l'objet d'une brève parution au Maroc entre 1982 et 1983... mais censure oblige, il lui fallut vingt années et l'accession de Mohamed VI au trône pour pouvoir faire son entrée dans les foyers marocains.
Il faut dire que ce livre était, compte tenu de la période où il fut écrit et publié, de la nitroglycérine.
Tout ce qui pouvait remettre en cause l'ordre établi, tant au niveau des colonisateurs que des colonisés, tout ce qui avait trait aux bonnes moeurs prêchées par le pouvoir et par le Coran... tout était battu en brèche par les yeux d'un enfant confronté à l'injustice, à l'hypocrisie et aux mensonges d'un monde auquel il devait se soumettre au nom de la France, de l'Espagne, du roi et d'Allah ( cette énumération n'est pas hiérarchique... chacun peut mettre le roi, Dieu et le pays protecteur à la place qu'il entend lui assigner...).
La famille miséreuse de Mohamed Choukri quitte ses montagnes natales pour échapper à la grande famine du RIF ( 1941-1944 ).
Mohamed a six ans.
Il est le fils aîné d'une famille dans laquelle se côtoient un père violent... qui ira jusqu'à l'infanticide en étranglant son fils cadet malade... une mère qui fait tant bien que mal survivre la famille en enchaînant les grossesses.
Ces exilés vont traîner leur misère de leurs montagnes jusqu'à Tétouan, Tanger et Oran.
Mohamed va grandir entre les coups d'un père honni, le ruisseau, les petits boulots, les mauvaises fréquentations, la délinquance, l'alcool, la drogue, les bordels, la prostitution, la prison et à plus de vingt ans l'école où il apprendra à lire et à écrire ; réparation tardive mais salvatrice.
Tout est transgressif dans cette oeuvre, à commencer par la sexualité.
Ce vagabond, ce va-nu-pieds est très tôt tiraillé par d'irrépressibles pulsions sexuelles.
« Peu à peu j'allais être envahi et obsédé par mon sexe. »
Pour l'époque et dans un pays où le Coran guide les âmes et le corps, Mohamed est un déviant.
Il trouve le soulagement auprès de divers animaux : « Mes femelles n'étaient autres que les poules, les chèvres, les chiennes, les génisses… La gueule d'une chienne, je la retenais d'une main avec un tamis. La génisse, je la ligotais. Quant à la chèvre et à la poule, qui en a peur ?… ( on peut se référer et l'auteur le fait au roman de Gavino Ledda - Padre Padrone -).
Puis l'errance, la misère sexuelle aidant, et la misère tout court... c'est le viol d'un gamin plus jeune que lui : "Je le caressai. Mon envie était puissante et folle.
- Dis, je n'aime pas ce genre de choses.
Je le suppliai des yeux. Il essaya de se lever. Je le retins de force. Mon corps tremblait de plaisir. J'étais fou de désir. Il se détacha et voulut s'enfuir. Je m'agrippai à ses jambes et montai sur lui. Je le possédai. Il était à moi."
Outre les animaux, les enfants, les femmes, son instinct sexuel le pousse vers l'homosexualité : « Antonio était beau. Les yeux maquillés, du fond de teint sur le visage, la poitrine naissante comme celle d'une jeune fille. Son pantalon lui serrait les fesses. »
Et presque naturellement, cette même misère, ce même monde bestial où la pauvreté se vend et s'achète, le mènera dans les bras d'un "vieux pédéraste" : "Je respirai un air pollué et pensai : cinq minutes. Cinquante pésètes. Est-ce une pratique particulière aux vieillards ? Un nouveau métier parmi d'autres, en plus du vol et de la mendicité. Je sortis le billet de cinquante pésètes et l'examinai. Ce sexe, lui aussi, peut contribuer à me faire vivre ! Il travaille et prend du plaisir. Je repensai au vieillard. Trouve-t-il le même plaisir à sucer la verge d'un garçon que moi à embrasser les seins des femmes ? Suis-je devenu un prostitué ?"
Oui, il est devenu un prostitué ce qui ne l'empêche pas de fréquenter assidûment les bordels et de partager la vie de quelques-unes de ses pensionnaires.
Ce livre sobre, cru, honnête nous confronte à l'enfance sacrifiée sur l'autel de la violence, de la fange dans laquelle doit s'essayer à survivre " le peuple d'en bas ".
Il n'y a pas d'école pour ce gamin sinon celle de la vie... et comme cette vie est placée sous le signe de la loi du plus fort, incarnée par un père infanticide, amoral, bestial... l'exemple donné et son enseignement seront à son image : bestiale, amorale, sanguinaire, violente, crapuleuse.
Heureusement le livre se termine sur une note d'espoir.
Mohamed Choukri va "arriver premier à un concours de circonstances" et pouvoir rejoindre une école d'un genre particulier.
Sans elle ce livre n'aurait jamais existé et Choukri ne serait pas devenu un des écrivains les plus lus dans le monde Arabe... et ailleurs.
Un indispensable qui fait revivre des êtres, des villes une époque.
Depuis, le monde a changé... croit-on...
Commenter  J’apprécie          401
Le Pain Nu est le premier récit autobiographique de l'auteur.

La première partie du livre est consacrée à son enfance dans le Riff, région pauvre du Maroc - surtout au début du 20ème siècle. On comprend très vite que Mohamed Choukri n'est pas né sous une bonne étoile et le peu qu'il a eu pourrait servir à un manuel de sociologie - du type "comment mal démarrer dans la vie" ou pour utiliser des mots plus savants : le déterminisme social et schémas de reproduction sociale.
Dans ces premiers chapitres, la misère morale, économique et sociale est l'invitée invisible de la famille. Et avec la misère, sa compagne la violence ne tarde pas à se montrer … le père, soldat dans l'armée espagnole, déserte, est rattrapé et mis en prison. La mère est une femme battue. Et un jour, le père tue le petit frère de Mohamed, chose dont l'auteur ne se remettra jamais et qui alimentera sa haine de la figure paternelle.
Ce "trop plein" de violence domestique sera à l'origine de la fuite de Mohamed et de son errance dans les bas-fonds des villes où il échoue.

En revanche, arrivée dans la partie de l'adolescence… On tombe dans le " kif , alcool et prostitution ". Et là … c'est LONG ! C'est répétitif , à tel point qu'on dirait volontiers à l'auteur " on avait bien compris la première fois". le récit de ces expériences est livré dans une langue rêche et parfois crue qui augmente la lassitude du lecteur - même le mieux attentionné. Bien sûr, ce type d'écriture ajoute à la violence qui nous est narrée, mais était-ce nécessaire ? Pour ma part, je dirais que les faits parlent d'eux-mêmes - mais cet avis n'engage que moi.
Au final, la multiplication des visites au bordel n'amène rien de plus dans la narration , et la fin arrive comme une délivrance.

Malgré ça, le livre fini quand même sur une note d'espoir qui suscite la curiosité du lecteur. A sa sortie de garde à vue, Mohamed admire et envie un de ses amis, un érudit, qui lui parle du Coran aussi bien que des nouvelles du journal. de quoi attirer l'attention de tout " livrophile " qui se respecte.
Commenter  J’apprécie          361
Ecrit en 1973
Le Pain nu a un statut important dans la littérature arabe, car il est l'un des premiers livres qui touche des thèmes tabous dans la société maghrébine de l'époque, comme la drogue, la violence ou la sexualité

. Il raconte l'enfance et l'adolescence de Mohamed, qui a suivi sa famille dans son exode depuis le Rif jusqu'à Tanger. le recit reprend la figure du père, figure , alcoolique, virulent, . Mohamed sombre peu à peu dans l'alcool et la drogue. Il connaît la vie des rues et décrit la violence qu'il vit au jour le jour. Il fréquente le milieu de la prostitution. La description de ses fantasmes sexuels, à propos de viols de jeunes filles, ou bien de son viol d'un jeune garçon, sont les passages qui expliquent la censure du texte. Les passages descriptifs présentent au lecteur le Maroc des années 1930 aux années 1950, mentionnant la domination française et les troubles qu'elle engendre, la soumission au régime espagnol, ou bien la famine qui fait des ravages dans le peuple marocain. La fin du roman voit Mohamed, analphabète jusqu'à ses 20 ans, demander à entrer dans une école pour apprendre à lire et à écrire.
Un roman captivant tout simplement.
Commenter  J’apprécie          291


critiques presse (1)
ActuaBD
10 février 2020
Une véritable aventure humaine, motivée par un profond désir de transmission, jalonnée de rencontres impromptues lui ayant notamment permis de retrouver les ayants droit de Mohamed Choukri. Avec cette publication, la maison d’édition marseillaise insuffle une seconde vie à l’œuvre de l’auteur et conclut une épopée transgénérationnelle débutée dans les geôles espagnoles du nord du Maroc.
Lire la critique sur le site : ActuaBD
Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Je m’imaginais toute la planète dans sa nudité : les arbres perdant leurs feuilles, les hommes abandonnant leurs habits, les animaux quittant leur chevelure. Nu. Tout l’univers se mettant nu. La robe glissa sur le corps d’Assia. Toute nue. Assia complètement nue. La fille du propriétaire du jardin était nue ! Un corps d’une blancheur lumineuse. Une chevelure d’un noir splendide. Une poitrine ferme. Le bout des seins bien visible. La toison de son pubis est trop noire. Je sentis une douleur dans ma verge. Elle avança sur les marches du bassin. Se retourna. Ma douleur s’amplifia. Ses cheveux lui couvraient tout le dos. Elle se baissa et son dos se découvrit. Sa chevelure, en se penchant, glissa sur ses épaules. Je découvris aussi ses fesses traversées par un fil de poils bruns. J’avais l’eau à la bouche, le miel à la bouche. Tout mon corps était secoué par un tremblement de plaisir. J’étais las, heureux sur la branche du figuier. Assia continuait sa descente dans le bassin. Lentement, évitant de glisser sur la verdure moisie. Elle contemplait l’eau et le jardin. Elle se mouillait les seins, l’aine et son bas-ventre avec crainte et prudence. Elle sursautait. Je descendis de l’arbre et, fier de moi, je regrimpai et attendis. Je mangeai les figues avec appétit. J’avais oublié mes petites affaires. Assia nageait, plongeait, jouait avec l’eau, comme une sirène. Elle apparaissait et disparaissait. Le jardin s’enveloppait des cris et chants des animaux. Tout était beau. Elle jouait avec son corps, se mettant sur le dos, sur le côté, les jambes en l’air, la tête dans l’eau… Quelle merveille ! Quelle beauté ! J’étais seul à la contempler.

Tremblante elle sortit de l’eau, une main sur les seins l’autre sur son pubis. Craintive et égarée. « Va, meurs ma bien-aimée ! » Elle retrouva sa robe qu’elle enfila à toute vitesse et disparut. « Va, meurs, belle… ! » La blancheur éblouie quitta ainsi le jardin pendant que moi j’éclatai d’un rire nerveux et fou. De nouveau l’âne se mit à braire. La nuit je rêvai d’Assia. Nue. Tantôt ailée, survolant l’espace, tantôt sirène ambiguë dans l’eau du bassin. Je l’ai suivie dans ses mouvements, nos corps mêlés, enlacés pour un doux sommeil au fond de l’eau, un sommeil où nous cessions de respirer sans mourir.

Je fus longtemps habité par cette image : le corps nubile dans sa nudité révélé. Assia restera dans ma mémoire. Image fugitive et initiation visuelle.
Commenter  J’apprécie          90
Alors je demandais à ma mère :
- Mais pourquoi Dieu ne nous donne-t-il pas un peu de chance comme aux autres ?
- Dieu seul sait. Nous, nous ne savons rien. Ce n'est pas bien d'interroger Dieu. Lui sait. Nous, nous ne savons rien. Il est au-dessus de nous tous.
Commenter  J’apprécie          470
Nous étions plusieurs enfants à pleurer la mort de mon oncle. Avant je ne pleurais que lorsqu'on me frappait ou quand je perdais quelque chose. J'avais déjà vu des gens pleurer. C'était le temps de la famine dans le Rif. La sécheresse et la guerre. Un soir j'eus tellement faim que je ne savais plus comment arrêter mes larmes. Je suçais mes doigts. Je vomissais de la salive.
Commenter  J’apprécie          280
Donc mon père nous exploitait. Le patron du café lui aussi m’exploitait, car j’ai su qu’il y avait d’autres garçons mieux payés que moi. J’avais décidé de voler toute personne qui m’exploiterait, même si c’était mon père ou ma mère. Je considérais ainsi le vol comme légitime dans la tribu des salauds.
Commenter  J’apprécie          300
Donc mon père nous exploitait. Le patron du café lui aussi m'exploitait, car j'ai su qu'il y avait d'autres garçons mieux payés que moi. J'avais décidé de voler toute personne qui m'exploiterait, même si c'était mon père ou ma mère. Je considérais ainsi le vol comme légitime dans la tribu des salauds.
Commenter  J’apprécie          270

autres livres classés : marocVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (927) Voir plus




{* *} .._..