Les livres sont comme tous les événements ils n'arrivent pas au hasard.
La lecture de ce livre m'a été confiée par une de mes amies, qu'elle en soit ici infiniment remerciée.
J'ai lu le roman qu'elle m'avait conseillé. Et je partage ici un extrait du retour que je lui ai adressé. ...« Oui, c'est un très bon roman. Bon par sa bienfaisance, et l'ouverture qu'il propose.
Un roman à spectre large. Très large, infiniment large, puisqu'il s'agit de
l'Amour.
Aux dimensions infinies. Temporelles et à la fois éternelles, pleines de ramifications, et de mouvements. Où tout se lie, se tient, s'emmêle et s'enchaîne, et où tout se relit, s'élève, s'entraide, se libère, et progresse.
Je ne saurais pas vous dire si Dieu existe. Ce dont je suis convaincue c'est de la force qui existe en chacun de nous. La force de vie explique beaucoup de choses. Mais ce n'est qu'une moitié de nous. Il faut la puissance de
l'Amour pour que nous nous réalisions pleinement.
Est ce cela la Transcendance ? le dépassement de soi ? La capacité de chacun d'accueillir en soi la totalité de tout ? La nuit comme le jour, la vie et la mort. Rien n'a de prix, mais tout a sa valeur.
Je comprends mieux l'essence du soufisme. Je ne suis pas experte en religions. Mais peut être est ce l'un des meilleurs chemins proposés pour éviter à toutes et tous de nous entre-tuer, nous ignorer, nous saccager.
Ce livre résonne formidablement à travers les temps troubles que nous traversons.
Et il est rassurant, parce que
l' Amour par lequel Shams et Rûmi se sont délivrés, et mieux encore , se sont élevés, a existé au XIIIe siècle.
Alors cela a chacune et à chacun une bonne marge d'espoir.
Quand j'ai commencé la lecture, j'ai immédiatement ressenti un poids. Je savais que cela allait appuyer « quelque part » comme on dit. Sur le sternum. J'ai senti le poids d'un verrou. Et je savais que ce livre où qu'il me mènerait, me permettrait de travailler « la dessus », c'est à dire en moi.
Bienfait, pour moi me suis-je dit.
Nous avons tous en nous un peu d'Ella, d'Aziz, de Shams, de Rûmi, et tous sont parmi nous.
C'est notre côté lumineux, d'autres personnages incarnent notre côté sombre, et notre côté entre chien et loup.
Des vies, des instants, des époques comme des phases, avec des avancées, des stagnations, des régressions, et de nouveaux départs.
J'ai aimé ce mélange, la progression sinueuse mais aussi la volonté persistance du cheminement des personnages quoiqu'ils puissent traverser. Je les trouve très humains et supérieurs à nombre de supposés dieux.
Certains diront sans doute qu'il est très simple d'aimer et qu'il est bien triste d'y renoncer. Lui donnant ainsi l'aspect d'une gourmandise, un devoir ou même d'un droit.
On a bien des lois qui nous disent ce qu'ils ne faut pas aimer, tellement de lois, mais c'est entre lignes peut être que peut apparaitre ce que
l'Amour peut éclairer. Les livres nous ressemblent, puisqu'ils sont nos oeuvres, ils ont plusieurs dimensions. A chacun de bien vouloir se déplacer. C'est comme l'anamorphose végétale de François Abelanet que j'ai pu voir à l'institut du Monde Arabe. Il a beaucoup à lire dans certains jardins. Beaucoup à apprendre.
C'est à la valeur de
l'Amour à laquelle il faudrait penser. Il désarme et pourtant il est chargé de tant de possibles, qu'il faut peut être plusieurs vies pour apprendre à en connaître le bon usage.
Apprendre qu'en fait il n'a aucun usage, puisque ce n'est pas un objet mais le sujet principal qui fait entrer l'esprit dans l'âme, c'est peut être le bon chemin pour espérer pouvoir s'élever.
L'Amour doit être enseigné. On doit apprendre à faire du pain avant de savoir le partager.
Et avant même que de faire le pain, il faut apprendre tellement de choses. La saison, la terre, la graine, les éléments, la patience, l'effort, le travail , la contemplation, le mûrissement, l'abondance, la reconnaissance, la générosité, la précarité, enfin toute ces choses que l'on doit apprendre et faire siennes avant de comprendre toute la valeur que contient une bouchée de pain.
Je ne sais si
l'Amour est dans le pré, comme on veut nous le vendre, mais je crois que
l'Amour est dans le pain qui nous est donné, et également dans celui que nous gagnons. Cela chasse l'amertume de l'ivraie.
Si nous ne sommes pas transformés par
l'Amour, c'est que nous n'avons pas vraiment aimé. C'est tellement vrai.
Il n'y a pas de hasard. A aucun moment, mais on voudrait se voir marcher dans un rêve alors que l'on erre vers sa destinée.
L'Amour et son empreinte nous force à évoluer. Et partant de la nuit nous n'avons que le lumière pour nous diriger. C'est une histoire singulière et à la fois universelle.
Il est question de beaucoup d'histoires dans ce livre.
Parce qu'on a besoin d'histoires et de mémoire.
On écrit des romans, des contes, des légendes, et puis aussi des poèmes. On les transmet. Et particulièrement ceux qui portent une Lumière.
Ceux là sont intemporels, universels.
On ne meurt pas pour le Livre. Même si l'on massacre des peuples et le Livre. Rien ne meurt, parce que l'esprit est dans le Livre comme il est dans un peuple. C'est l'Esprit qui est notre demeure et non le Livre. On peut lire l'esprit de beaucoup de prières, de psaumes, de poèmes dans le cours d'un ruisseau. Il faut apprendre à reconnaître l'esprit avant de pouvoir prononcer la première lettre.
C'est la force de la création contre la stupidité de la récitation. Même si la récitation est bonne pour exercer sa mémoire, elle n'est que répétition. Mais même au théâtre toute bonne création exige quelques répétitions avant que tout soit prêt. Il faudrait que je fasse preuve de plus d'indulgence.
La vision de la poésie dans ce livre est une très belle vision. Celle de sa destinée : celle de servir et d'aider.
Si Dieu se trouve en chaque homme, et qu'il est parfois possible que Dieu se retrouve en nous, la poésie fait partie de Tout. L'un ne va pas sans l'autre.
Servir et aider, rendre Amour.
Je sais que ce n'est pas très coutumier en ce moment. J'ai du mal à trouver la lumière dans certaines poésies contemporaines qui se veulent performantes, et qui font vibrer tant et si fort l'ego de leur géniteur qu'on finit par se demander comment il est possible que les mots soient parfois considérés comme des objets, des accessoires de bonne fortune.
On peut faire de la musique sans être musicien. C'est une phrase que Monsieur de
Sainte Colombe prononce dans le livre de
Pascal Quignard, dans
tous les matins du monde.
Je trouve qu'il y a du soufisme dans la pensée de
Quignard.
C'est peut être pour cela que j'aime beaucoup sa pensée. Il est spirituel. Dans le sens noble du terme. Il y a une phrase de lui dans
les ombres errantes : « Souvenez-vous qu'il est heureux de perdre ce qu'il n'est pas permis d'aimer. » . Elle est puissante cette phrase.
Et j'ai trouvé l'esprit de cette pensée dans le livre d'
Elif Shafak. Une valeur donnée à l'acception d'événements dont nous comprenons pas la valeur parce que nous sommes mis en furie par le déchaînement d'émotions qu'on ne maîtrise pas. Par manque de calme, de lumière et donc de lucidité.
Entre, alors, la nécessaire confiance.
Pas d'Amour sans désarmement, pas d'Amour sans confiance.
Pas d'Amour sans une prise de risque, non pas aveugle, mais consciente. Un lâcher prise.
Il y aurait tellement à dire, tellement nous avons toutes et tous à vivre, et à nous raconter à travers les pages de ce livre.
Il n''y a jamais de hasard dans les rencontres quelles soient humaines, littéraires, artistiques, spirituelles, tout est lié.
Comme les cercles que dessinent les derviches, comme les boucles d'une écriture, la « spiralité » de nos destinées.
Rien n'est pré destiné à être mais pour autant tout est destiné à devenir.
Je refuse l'immobilisme de l'éternité et je crois à la perpétuité de
l'Amour.
L'Amour perdure, quelque soit le temps, il est vivant, l'éternité quant à elle fait,... son temps.
Alors merci à vous de m'avoir confié l'histoire merveilleuse de cet Amour, celui d' Ella et d'Aziz, de Shams et de Rûmi.
Un de mes livres préférés de
Duras est le roman
le ravissement de Lol.v Stein. C'est là que j'ai rencontré
Duras. Avec ce livre là. Les autres je les aime aussi, mais celui là est celui où elle parle de
l'Amour. Même si cela peut paraître obscur je crois qu'elle a touché avec ce livre une spiritualité qu'elle même ne soupçonnait pas. C'est peut être le seul livre qu'elle a
écrit sans être sous l'emprise de l'alcool.
Lacan, je crois que c'est lui, s'étonnait paraît il du fait que
Duras ait pu survivre à ce livre. Elle seule aurait pu nous dire la puissance de ce qu'elle a pu, par ce livre, approcher. Il aurait peut être fallu qu'elle soit l'ami de Rûmi plutôt que l'élève de
l'Amant. Qui peut le dire. Elle ne se serait pas détruire comme elle l'a fait.
Vous savez que j'ai rencontré Rembrandt ? Quand je dis ça généralement je vois les gens un peu dépités par l'évidence de ce que j'annonce. Mais c'est vrai j'ai rencontré Rembrandt dans son tableau « Titus lisant ». Titus était son fils. Et ce qu'à fait Rembrandt avec la lumière est prodigieux. Il a sur le front et sur la main de Titus posé deux baisers. C'est prodigieux d'avoir faire un si bel usage de la lumière. C'est ça le secret de sa lumière. Pour moi peindre c'est ça. Je laisse la technique aux plus instruits que moi. Moi j'y vois
l'Amour , et d'autres y voient de la maîtrise.
Je me demande si cela ne s'oppose pas.
Je crois que c'est
l'Amour que je recherche dans l'Art. Ses traces, son souffle, sa présence.
C'est ça qui me pousse à aller à la rencontre de ce que je connais pas et qui pourtant semble nous rassembler. Nous ne sommes pas étrangers à l'Art. L'empreinte que nous y déposons est la preuve que
l'Amour a toujours existé.
C'est un peu « l'empreinte à Crusoé » de Chamoiseau. Si vous n'avez pas déjà lu ce livre, laissez vous tenter. Mais je crois que « Vendredi ou les limbes du pacifique » de Tournier est encore plus concret. Je sais que parfois je fais des associations pas très évidentes, mais je crois qu'il y a toujours l'espoir d'une vérité.
Je vais terminer mon courrier, je crois . Je pourrai vous écrire des heures. Et vous auriez raison de dire que cela n'a que trop duré.
Excusez la longueur de mon écrit, elle est à la mesure de tout ce que j'aimerais pouvoir vous dire au sujet de ce livre. » ...
Il n'a pas de hasard dans aucune rencontre. Ce livre nous est à toutes et à tous : Destinée.
Astrid Shriqui Garain