Souvent, et pas pour s'amuser, les géants, du haut de leur tonnerre,
Se font des pieds d'argile lorsque, conjointement,
Ils honorent la traîtrise obséquieuse et châtient l'honnêteté aimante
Parmi leurs serviteurs et leur propre famille.
L'Ecclésiaste avait raison, « tout est vanité »…et tragédie ici-même.
Pauvre Cordélia, comme Ophélie ailleurs :
« Mieux valait pour toi
Ne pas être née que de n'avoir pas su mieux me plaire. »
Et d'être bannie quand ses soeurs, gavées de récompenses,
Firent de leur père un mendiant.
Car le fourbe s'enorgueillit toujours du mauvais sort qu'il prépare
A son bienfaiteur.
Lear s'était laissé séduire,
Comme après lui un corbeau tenant en son bec un fromage.
Il erra entre folie et raison désespérée, sous le poids des trahisons.
Lear était « né pour être le jouet de la Fortune »,
Créature avide d'apocalypse.
Tandis que le serpent de l'ambition rongeait les murs de son royaume,
Le vieux roi s'alimentait de regrets amers,
Pendant que d'autres entendaient se tailler la part du lion à terre,
Tous dupés par le « vil Edmond », plein du fiel de la vengeance,
Adressant à l'au-delà les voeux de sa sombre conscience :
« A présent, dieux, dressez-vous en faveur des bâtards. »
Mais nul ne s'y retrouva, finalement, et chacun perdit beaucoup,
Sauf la Fortune, évidemment, qui s'accommode de tout.
« Au fardeau de ce triste temps nous devons obéir », nous avait prévenu Edgar.
Comment esprit d'homme a-t-il pu concevoir
Autant de vérités contemporaines dans les formes du passé ?
Comment toi, petit Anglais sans couronne,
Peux-tu encore régner sur les planches, les écrans et
Les rayons de bibliothèques avec autant de gloire ?
Comment, enfin, t'exprimer avec une justesse exacte
Ma reconnaissance,
William Shakespeare, mort un 23 avril 1616,
Il y a quatre siècles, chacun en deuil de ta disparition ?