Rwanda, avril 1994. Deux journalistes, Sacha et Benjamin, en suivant depuis le Cap la trace de camions remplis d'armes, arrivent à Kigali. Dans la capitale rwandaise, l'atmosphère se plombe de menaces que la presse alimente encore par des appels à l'éradication des "inyenzi". Un mot qui signifie "cafards" et que les Hutu utilisent pour qualifier les Tutsi. Plongés dans le déchaînement effroyable d'une violence qu'aucun mot ne peut exprimer, Sacha et Benjamin font connaissance de Daniel, médecin proche du FPR (Front Patriotique Rwandais). Celui-ci est à la recherche de Rose, sa femme, et d
e Joseph, leur fils, fuyant les machettes et les fusils hutu des voisins, des anciens amis, des bandes avinées d'adolescents. Muette, Rose écrit des lettres pour Daniel, chaqu
e jour, dans son carnet.
Le récit de ces jours épouvantables se construit ainsi selon deux points de vue : l'un, européen, emprunte le regard de Sacha et Benjamin, rompus aux reportages en zones de conflits, et qui, pour la première fois ne peuvent faire autrement que de dépasser ce rôle de témoin pour intervenir, même s'il faut pour cela "poser son stylo et son carnet". L'autre, rwandais, tutsi, est celui de Rose qui transcrit l'horreur, vécue de l'intérieur, pour garder vivant le lien avec son mari. Cette double narration permet de décrypter le génocide des Tutsi en démontant les mécanismes de l'endoctrinement et en précisant le contexte qui y a conduit. Cette fonction informative est pleinement et clairement assumée par l'histoire de Sacha. le point de vue de Rose, quant à lui, est baigné d'émotions, de sensations. La raison se fracasse à la terreur pure face à ce qui reste inexplicable : cette haine latente des Hutu pour les Tutsi depuis des générations, qui explose dans un déferlement de férocité.
Le génocide des Tutsi au Rwanda demeure du domaine de l'indicible et le roman de
Yoan Smadja montre à quel point le langage est impuissant à exprimer ce qui s'est passé en avril 1994 comme à en rendre compte. le mutisme de Rose comme le choix du silence de Sacha sont, de ce point de vue, symboliques de cette parole démunie de ses fonctions essentielles : informer, exprimer, témoigner, relier... Cette incapacité à dire rejoint les interrogations qui furent celles de
Primo Levi, de
Jorge Semprun et de ceux qui sont revenus des camps d'extermination nazis. "
J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi" tire une grande partie de sa force de ce paradoxe implacable : faire le récit de ce qui ne peut être mis en mots.
D'où vient alors que je ne me sente pas complètement convaincue par ce tour de force méritoire ? Comment se fait-il que je sois restée relativement extérieure au récit ? Ma seule hypothèse est que, d'une part, je suis restée trop marquée par ma lecture de "
Inyenzi ou les Cafards" de
Scholastique Mukasonga (Gallimard - Continents noirs - 2006) et que, d'autre part, entre la fin de ma lecture et l'écriture de ce commentaire, j'ai lu "
Tous tes enfants dispersés" de
Beata Umubyeyi Mairesse, deux romans qui m'ont intégralement bouleversée-chavirée. Je crois que "
J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi", malgré ses qualités indiscutables, a pâti de ces lectures aux thèmes similaires. Il n'a provoqué chez moi ni choc, ni émotion notable. J'en reconnais la facture maîtrisée et son intérêt, mais, voilà, c'est tout.