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EAN : 9791022610797
204 pages
Editions Métailié (14/01/2021)
3.91/5   327 notes
Résumé :
La Tante Encarna porte tout son poids sur ses talons aiguilles au cours des nuits de la zone rouge du parc Sarmiento, à Córdoba, en Argentine. La Tante – gourou, mère protectrice avec des seins gonflés d’huile de moteur d’avion – partage sa vie avec d’autres membres de la communauté trans, sa sororité d’orphelines, résistant aux bottes des flics et des clients, entre échanges sur les derniers feuilletons télé brésiliens, les rêves inavouables, amour, humour et aussi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (105) Voir plus Ajouter une critique
3,91

sur 327 notes
La nuit, le parc Sarmiento à Cordoba, en Argentine, devient le territoire des prostituées trans. Leur petite communauté est fédérée par Tante Encarna, sorte de figure maternelle pour ces filles pas comme les autres, échouées dans ce bois après un parcours douloureux et chaotique, et éternellement exposées à la vindicte et aux violences. Lorsqu'un soir elles découvrent dans les fourrés un bébé abandonné, elles décident de l'adopter clandestinement.


Quelle claque que ce premier roman, fictif, mais manifestement nourri du vécu de l'auteur dont la narratrice porte le prénom. le récit nous fait entrer de plain-pied dans la réalité de ces filles nées dans un corps de garçon, stigmatisées dès leur plus jeune âge par leurs proches comme par la société toute entière, dans un rejet doublé de violences d'autant plus ouvertes que leur différence suggère généralement l'idée d'une monstruosité perverse, à redresser par tous les moyens, et, en tous les cas, à cacher honteusement. Pour Camila et ses semblables, assumer leur nature et leur identité - vivre tout simplement -, a très tôt signifié fuir leur famille et devenir filles de rues. Car ce monde qui les condamne et les repousse n'en a pas moins l'hypocrisie de les utiliser sexuellement, dans des conditions si misérables qu'elles ne leur laissent souvent qu'une bien brève espérance de vie.


Sans s'appesantir ni se plaindre, Camila expose calmement le parcours implacable et le quotidien éprouvant de ces êtres réduits à l'ombre, nous faisant toucher du doigt leur extrême solitude dans l'exclusion et dans la honte, leur rage de ne pas trouver droit de cité parmi les humains, les tourments qui accompagnent leur enfermement dans un corps qui les aliène. Mais aussi, leur indéfectible solidarité, les trésors de tendresse dont elles débordent, leur incroyable résilience et leur sens du bonheur et de la fête, grâce auxquels le récit, comme leur vie, réussit à demeurer optimiste et à s'habiller de merveilleux. Alors, pendant un temps, le roman emprunte au conte de fée, piochant dans le fantastique les éléments d'un lyrisme flamboyant qui, seul, semble pouvoir rendre supportable une réalité tristement sordide.


Le résultat est un détonnant mélange de rire et de larmes, de trash et d'amour, le tout écrit dans une langue lucide et sincère où l'emportent la rage de vivre et une dignité déterminée, celles qui permettent à Camila et à ses soeurs de garder la tête haute et d'essayer de ne pas sombrer dans le gouffre du désespoir. Souhaitons que ce cri pour la tolérance et le droit à la différence soit entendu par le plus large public possible.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Les Vilaines m'ont invité dans le parc Sarmiento, à Córdoba, en Argentine. Ou c'est plutôt une certaine Camila Sosa Villada qui m'y a invité. Elle nous raconte une histoire sans doute très proche de la sienne.
J'ai découvert dès les premières pages la communauté trans qui habite ce lieu, comme un territoire protégé. Doublement protégé. Il y a l'endroit tout d'abord, et puis il y a la pension aux murs roses de la Tante Encarna. Celle-ci protège tout ce petit monde de prostituées trans qui est en quelque sorte sa famille.
Une des premières scènes du récit est touchante : il s'agit de la découverte d'un nourrisson au fond d'un bosquet. Deux bras vont l'extraire parmi les griffes de ce buisson, c'est comme un acte de renaissance, ce passage est beau comme un conte de Noël. D'ailleurs, qu'à cela ne tienne, on l'appellera Éclat des Yeux.
Oui il y a ici quelque chose qui relève du conte, de la fable. Mais ce récit est fortement inspiré de l'histoire de Camila Sosa Villada, une sorte d'autobiographie teintée d'onirisme et parfois même d'un fantastique débridé comme la littérature sud-américaine sait parfois si bien nous offrir.
On y rencontre des Hommes sans Tête fuyant les guerres d'Afrique où ils ont été décapités, on y croise des Femmes Corbeaux qui descendent des beaux quartiers avec une impunité de classe, ce sont des trans hautaines presque méprisantes qui ne s'assument pas forcément, continuant d'avoir une aura de garçons.
Mais ici, celles que nous allons côtoyer durant plus de deux cents pages d'une écriture formidable, viennent de la rue, évoluent dans la rue, mourront peut-être dans la rue, même si l'une d'elle se transforme peu à peu en oiseau...
Le parc Sarmiento est un territoire de deux cents pages grand comme le désir et l'amour. Furieux comme l'incandescence. Violent comme la misère et la répression.
Les pages suivantes nous plongent de plein pied dans la réalité du monde trans et de cette communauté ; plus qu'une communauté elle est devenue une famille de soeurs, d'amies que Camila Sosa Villada nous invite à mieux connaître dans une sororité sensible.
Être trans est une fête, clame-t-elles toutes d'une même voix, avec l'amertume cependant d'être un peu orphelines puisque leurs vraies familles les ont abandonnées à la rue ou bien dans des foyers insalubres. Mais au fond, Tante Encarna est sa maison rose n'est-elle pas leur vraie famille désormais ?
Le récit oscille entre la vie diurne des hétérosexuels et la vie nocturne des trans. Ce sont deux mondes si différents qui se couturent par l'itinéraire que nous raconte Camila de son propre chemin.
La vie diurne c'était cette vie respectable qu'on voulait si bien lui apprendre. La vie familiale, la vie universitaire, la vie que l'on voulait ordinaire...
D'un garçon qui s'appelait Christian elle va peu à peu devenir Camila. Elle est ainsi devenue Camila.
Un jour elle a eu envie de tourner le dos à cette vie, quitter ce corps de garçon qu'elle pensait « avoir usurpé sans aucune permission », s'enfoncer peu à peu dans la vie nocturne.
« Dès notre naissance, on nous avaient jetées hors du placard, nous étions les esclaves de notre apparence. »
Cette beauté ressemble à un chant crépusculaire.
Camila Sosa Villada parle de ses soeurs, de leurs corps comme une patrie. La joie se mêle aux peurs, aux drames. Ce sont des mots lyriques pour dire cela, tantôt drôles, tantôt désespérés, toujours sincères dans une rage de vivre, dans un cri de vie lucide.
La description de ce quotidien est parfois crue, c'est sans filtre, mais jamais ce n'est vulgaire, jamais ce n'est obscène. Ce qui est obscène ce sont les regards des autres.
Ce qui est obscène, c'est ce père alcoolique qui veut, à toute force, à coup de ceinturon, faire rentrer son fils dans un corps d'homme.
Ce qui est obscène, c'est la méchanceté quotidienne, les petits rires en coin, les rebuffades...
Ce qui est obscène, c'est le mépris des policiers, leur menace, leur malveillance cupide car ils aiment bien profiter un peu de leur pouvoir le soir au fond des bois, avant de rentrer de leur dernière patrouille, juste avant d'uriner sur les corps déjà souillés par leur barbarie...
Ce qui est obscène, ce sont les guerres saintes de leur voisins bien-pensants taguant les murs de la pension avec des mots et des dessins indignes que les pensionnaires ne prennent plus la peine d'effacer.
On pourrait les prendre tour à tour pour des renardes, des louves, des sorcières. Ce ne sont que des femmes, nées dans des corps d'hommes. Mais quelles femmes ! Ce sont des créatures de lumière que les regards humiliants des autres transforment en animaux de l'ombre.
Ce récit est une ode pleine d'humanité aux minorités.
Ce texte est aussi une confidence que j'ai trouvé poignante.
« Je sens qu'une partie de moi meurt dans ce récit. »
C'est une lecture âpre et flamboyante, vertigineuse. Cela faisait longtemps qu'une lecture ne m'avait remué de cette manière. Un vrai coup de poing ! Et ça fait du bien !
Camila Sosa Villada est aujourd'hui une actrice de théâtre, de cinéma et de télévision, chanteuse et écrivaine transgenre. Les Vilaines est son premier roman et je pense que c'est déjà une grande autrice dont on en entendra j'espère encore parler par de prochains livres.
Les Vilaines, livre empli de résilience, c'est la beauté de la différence.

Lu dans le cadre du Prix du roman Cezam 2022.
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Dans ce monde en folie
Qui nous montrait du doigt,
nous stigmatisait, nous reniait
nous insultait et nous frappait

Nous avions toutes rêvé un jour
de quitter le couteau qui nous servait d'appendice
donné à la naissance comme par erreur


Nous étions la Meute en colère,
Nous étions les Reines de la fête,
Nous étions les Orphelines,
Nous étions les Vilaines



Le Parlement hongrois a voté le 15 juin 2021 une loi visant à interdire la promotion ​de l'homosexualité ou du changement de sexe auprès des mineurs.
Elle entrera en vigueur ce jeudi 8 juillet 2021 malgré les protestations qui ont été soulevées dans toute l'Europe.



La loi adoptée en juin 2021 prévoit que la pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l'identité de genre, le changement de sexe et l'homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans​.


Ces éléments seront introduits dans les lois suivantes : loi de protection des enfants, loi sur les activités publicitaires des entreprises, loi sur les médias (tout contenu de ce type relèvera de la catégorie V – inapproprié pour les enfants – et la publication de tels contenus sera interdite dans les annonces des services publics), loi de protection de la famille et loi sur l'éducation publique (de tels sujets ne pourront faire partie de l'éducation sexuelle et les écoles ne peuvent inviter ni intervenants extérieurs ni ONG à des fins d'éducation à la culture sexuelle, à la vie sexuelle, à l'orientation sexuelle ou au développement sexuel​).


Concrètement, les programmes éducatifs, les productions culturelles ou les publicités d'entreprises démontrant une solidarité avec la cause LGBT ne devraient plus être autorisés. Les personnes qui violent ces règles s'exposeront à une amende ou à une suspension de leurs émissions​, regrette Amnesty International.
Le texte de la loi est, à dessein, très ambigu​, analyse le représentant du comité Helsinki (HHC) Zsolt Szekeres dans des propos rapportés par l'AFP. Les cours d'éducation sexuelle devront être assurés par des organisations agréées par l'État et devront respecter l'identité constitutionnelle ​du pays et sa culture chrétienne​.


Mais au-delà, toutes les actions pour dénoncer les actes homophobes ou transphobes dans la rue pourraient être interdites. Comment m'assurer que ce que je vais dire n'arrivera pas aux oreilles de quelqu'un de moins de 18 ans, qu'un enfant ne passera pas dans la rue lors d'une Gay Pride ?​​, se demande ainsi Zsolt Szekeres, représentant du comité Helsinki (HHC), une organisation de défense des droits humains.


Rappel:
En mai 2020, le Parlement hongrois avait déjà adopté une loi interdisant la reconnaissance de l'identité de genre des personnes transgenres et intersexuées à l'état civil en Hongrie. Il introduisait la notion de sexe à la naissance ​défini comme le sexe biologique ​dans la loi.

En décembre 2020, l'adoption par des couples de même sexe avait été interdite et la notion traditionnelle de genre ​inscrite dans la Constitution. Cette dernière stipule désormais que la mère doit être une femme et que le père doit être un homme​.


"Nous les oubliées nous n'avons plus de nom
C'est comme si nous n'avions jamais été là."


Premier Roman écrit en langue espagnole en 2015 par l'Argentine Camila Sosa Villada, femme comme elle le revendique haut et fort, qui a vécu elle-même cette vie de reine de la nuit et de paria.


Sans fioritures, parfois crûment, l'Auteure nous raconte ici son histoire,
celle de Camila, la narratrice qui trouve un temps refuge auprès de la communauté Trans du parc Sarmiento, à Córdoba, sous un arbre symbolique de la protection offerte par Tante Encarna et par les fourrés qu'il offre pour les cacher des regards.

Auprès d'une meute qui peut aussi bien se bouffer le nez entre elles après avoir ri de concert que faire face ensemble lorsqu'un danger se présente, qu'il vienne d'un client violent, de la police, d'autres soeurs prises de folie.


Une écriture à la symbolique empreinte d'onirisme poétique nous en présente quelques unes :


Maria, emprisonnée dans son handicap de sourde et muette, devient par souffrance et par douleur une femme oiseau si petite qu'elle peut tenir dans la main d'un enfant: - Eclat des Yeux, trouvé en forêt, abandonné sous des feuilles mortes pour qu'il y connaisse le même sort, adopté par Encarna et par la communauté, il deviendra leur sève, leur oracle, leur lien, leur enfant.


Natali se transformant en louve-garou les nuits de pleine lune, qu'il faut enfermer et enchaîner pour que sa fureur se calme


Et bien sûr, Tante Encarna, plus que centenaire, la Mère de substitution qui accueille en son sein gonflé d'huile de moteur d'avion, toutes ces orphelines avant de se consacrer totalement à l'enfant miraculé.


Parallèlement, Camila, la narratrice, l'Auteure, nous parle de sa propre enfance, comment elle s'est réveillée dans un sexe qui n'était pas son âme et comment elle a galéré, rejetée par sa propre famille.


Il s'agit ici aussi des femmes qu'elle a côtoyées, toutes ayant une histoire différente, avec un point commun: être rejetées par leur corps d'abord, leur famille et par la société ensuite.


Camila nous raconte la protection, la solidarité qu'elle a trouvées un temps auprès de la communauté Trans toute jeune débarquant de sa province, prise sous l'aile protectrice d'Encarna, leur mère d'adoption.


Et comment cette communauté a volé en éclats lorsque les autorités ont décidé de fermer le parc, comment Eclat des yeux (l'enfant) a atterri dans leur vie à toutes, les unissant encore plus, elles qui ne pouvaient donner naissance, couteau entre les jambes.
Comment celui-ci a grandi au milieu d'elles toutes et comment cela a fini.


"Nous les oubliées nous n'avons plus de nom
C'est comme si nous n'avions jamais été là."


Ne les oubliez pas - les différences font peur certes, elles dérangent
Quand commence-t-on à devenir différent au regard des autres ?
Pourquoi ces différences quelles qu'elles soient devraient elles être pourchassées, bannies, punies - tant qu'elles ne font pas de tort,
de mal aux autres je n'en vois pas la raison, personnellement.


Ce roman a reçu en 2020 le prix Sor Juana Inés de la Cruz, du nom de la Poétesse des Amériques qui incarne aujourd'hui un certain archétype de la femme savante, indépendante et féministe.
- À une époque où les études supérieures étaient réservées aux hommes, cette femme a envisagé de se travestir pour écarter cet obstacle.
Sor Juana Inés de la Cruz, aurait vécu pendant la seconde moitié du XVIIe siècle au Mexique. Malgré son succès, elle s'est retirée dans un couvent pour dédier sa vie à l'art et à l'écriture.


Les Vilaines, publié en français en janvier 2021 a reçu le grand prix de l'Héroïne 2021 Madame Figaro Magazine.


Un témoignage fort et émouvant plutôt qu'un Manifeste.
Il nous permet d'appréhender un monde étrange, différent,
rempli des fureurs, des douleurs, des pleurs & des rires des "Trans"
Et d'essayer de comprendre plutôt que d'en avoir peur et de le rejeter.


"Una canción es una herida de amor que nos abrieron las cosas"
Gabriela Mistral


" le Parc est un espace rempli d'arbres qui ont poussé tout seuls, ils se sont retrouvés là par hasard et ont développé des racines profondes, ils sont un refuge naturel pour les oiseaux. Et également pour les prostituées Trans
qui sont aussi nécessaires que les arbres.
Je les vois de loin riant aux éclats. Celle qui rit le plus c'est Tante Encarna --

Moi je répétais encore Camila, Camila, et elle souriait, elle trouvait que c'était un très joli prénom, très féminin mais moi je savais ce que mon prénom signifiait : celle qui offre des sacrifices."


C'est en raison de l'actualité que j'ai choisi de lire ce roman maintenant
pour mieux comprendre et ---


Il est fini le temps des sacrifices
Enfin, je l'espère sincèrement.
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Les noms d'oiseaux ou les appellations imagées, la communauté transexuelle du parc Sarmiento à Cordoba en Argentine les collectionne, une guirlande de fleurs pourries offerte généreusement par la population : " la manivelle, les gros paquets, les suceurs de bite, les culottes au parfum de couille, les travelingues, les ladyboys, les Osvaldo..". Il n'y a guère qu'entre elles que les prénoms circulent, ceux qu'elles se sont octroyés dans leur quête féminine, souvent refoulés par la société civile.
Il en va ainsi de Christian devenu Camila, narratrice de ce microcosme déchainé où l'on fait la connaissance de personnages grandiloquents, tante Encarna en figure de proue avec "son huile de moteur d'avion qui l'avait aidée à modeler son corps", véritable tata poule pour ces âmes écorchées, qui du haut de ses cent-soixante-dix-huit ans tient la pension qui les réchauffe après leurs pérégrinations nocturnes de prostitution déglinguée. Une pension comme un petit cocon d'entraide, de tendresse et d'humanité désenchantée en guise de refuge aux violences de l'extérieur, faites de chasse au trans, de bagarres avec les clients, de souffrances ou de découverte de cadavre, et synonymes de vieillissement prématuré. Mais au sein du foyer, il y a aussi Eclat des Yeux comme un ralliement des coeurs de toutes ces maternités impossibles, bébé adoptif d'Encarna découvert dans un buisson, appelé ainsi parce que "nous toutes, en vérité, nous retrouvions l'éclat de nos propres yeux lorsque nous étions avec lui."
Le périple est agrémenté d'exubérance et de fantastique, comme une accentuation du réel qui colle naturellement au "petit monde rose trans", partagé entre souffrances et fête d'être trans. Croiser ainsi Maria la muette dont les flancs s'agrémentent de plumes, ou Natali qui se transforme en louve les nuits de pleine lune, découvrir une statuette de vierge de Guadalupe aux chaudes larmes, ou les 178 ans de tante Encarna, "cette déesse aux pieds de boue et aux mains de boxeur", tout cela fait partie du décor exacerbé et théâtral, teinté de symbolisme.
Camila Sosa Villada entremêle aux péripéties de la communauté des parts supposées biographiques de sa construction transexuelle, érigée sur la peur générée par un père et "ses accès de violence après l'alcool", même si elle croit que" lui aussi éprouvait une terrible peur" pour elle." Il se peut que telle soit l'origine de toutes les larmes des trans : qu'elles viennent de la terreur réciproque qu'éprouvent le père et la toute jeune trans. "
Au final, Les vilaines donne une belle consistance à la communauté trans, en plus de prénoms. Porté par une écriture alerte et saisissante, c'est un premier roman immersif et bouillonnant, naviguant entre fantastique et construction intime, qui réussit à toucher, déconcerter, révolter et passionner.
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«  Nous sommes là pour qu'on écrive à notre sujet. Pour être éternelles , dit Camila» .
«  Ce que la nature ne te donne pas, l'enfer te le prête » .

«  .Personne ne nomme les trans, nous sommes les seules à le faire. Nous , les trans, sommes la manivelle, les gros paquets, les suceurs de bite, les culottes au parfum de couilles , les travelingues, les ladyboys, les Osvaldo, d'autre fois, les sidaïques, les malades , voilà ce que nous sommes » .

«  Nous, les oubliées nous n'avons plus de nom .... »

Quatre extraits de ce récit hors norme dont la dernière phrase .....signe la fin de l'ouvrage.
Autobiographie, témoignage , conte et littérature fantastique , terreur, fable poétique , délirante, condition trans en Argentine , voilà le décor .

Comment qualifier ce premier roman à la fois tragique , envoûtant , lumineux , hypnotique , fougueux , coléreux , bouleversant ?

Bienvenue au Parc Sarmiento , au coeur de la ville de Córdoba , centre incandescent de cette communauté de prostituées déclassées.

Parmi elles , deux sont femmes , dont tante Incarnat, déesse aux pieds de boue, et aux mains de boxeur, la «  gourou » , la mère protectrice , sorte de figure de maman pour ces filles aux abois, échouées là suite à un parcours douloureux et chaotique .
Le reste de la communauté , une dizaine , damnées en tant qu'homme étaient donc devenues trans ..
La nuit , le parc Sarmiento devient leur territoire .

L'auteure , ancienne prostituée, entremêle les péripéties de la communauté à la part supposée biographique transsexuelle, fondée sur la peur irrépressible de son père , surtout de ses accès de brutalité après l'alcool .




Cet ouvrage reflète la violence d'un milieu et la réalité saisissante de ces filles nées dans un corps de garçon , stigmatisées depuis leur enfance par leurs proches et leurs familles, l'auteure a souffert d'être la Honte de LA FAMILLE.
Elle expose crûment , le parcours implacable, le quotidien accablant de ces êtres réduits à l'ombre .

Mais la communauté est soudée dans la fureur, le rire ,le drame et les larmes .
C'est un livre lyrique , entre désespoir , sororité , prostitution, pétri d'humanité , de fougue , d'horreur , de joie mêlées .
Ce récit physique , visuel , à l'écriture âpre, alerte , originale, flamboyante , sensorielle, noire , magnifique , doté d'une bonne dose de fantastique liée à une construction intime , partagé entre souffrances et larmes au réalisme magique donne une belle part d'humanité à ces trans magnifiques .

Une lecture coup de poing qui ne se laissera pas oublier.

Elle secoue, remue , passionne et déconcerte ..... sans misérabilisme , sans auto - compassion .
Une force de survie furieuse et poignante , fulgurante ,pétrie d'humanité .
Elle montre comment et pourquoi on vend son corps .
Et comment on aime .
Lu d'une traite , emprunté car exposé à la médiathèque.
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critiques presse (1)
LeMonde
08 mars 2021
Histoire d'un livre. Camila Sosa Villada s'inspire de son passé de prostituée et de la légende d'une sainte argentine pour « Les Vilaines », hommage empreint de magie aux travailleuses du sexe.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (105) Voir plus Ajouter une citation
-- Elle m'a montré son flanc gauche, d'où sortaient de minuscules plumes grises, comme on voit sur les poules cendrées.
Elle pleurait et semblait inconsolable, et moi, la seule chose qui m'est venue à l'idée, ça a été de passer la main sur ses plumes, pensant qu'elle les avait collées avec de la glu. Mais non.
Pour me prouver que les plumes sortaient bien de son corps, elle en a arraché une et l'a mise devant mes yeux : une larme de sang est apparue à l'endroit d'où elle l'avait enlevée. J'ai pensé qu'elle allait devenir une sainte; là devant moi, que tel était son destin.

Elle était effrayée. Sur l'ardoise qu'elle utilisait pour communiquer avec nous, elle a écrit KI VA MAIME KOMESA
Que pouvais-je répondre ?
L'homme qui ne voudrait pas aimer une femme qui promettait de devenir un oiseau était un idiot qu'il valait mieux oublier.
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J'ai passé beaucoup de nuits à prier et prier encore pour qu'au réveil la vie soit différente, pour que le lendemain soit un autre jour. Au début, je prie pour changer, pour être comme ils veulent que je sois. Mais à mesure que je plonge dans cette foi chaque jour plus intense, je commence à prier pour me réveiller, le lendemain, transformée en la femme que je veux être. Transformée en la femme que je sens à l'intérieur de moi, de manière tellement claire que je passe des heures à prier pour elle. Quand je tombe amoureuse de mes camarades d'école, je prie pour qu'ils me voient comme une petite fille. Quand je commence à m'épanouir, je prie pour que, durant la nuit, il me pousse des seins, pour que mes parents me pardonnent, pour qu'un vagin apparaisse entre mes jambes.
Pourtant, non. Entre les jambes, j'ai un couteau.
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Moi, je dis que peu à peu je suis devenue la femme que je suis aujourd'hui par pure nécessité. Cette enfance de violence, avec un père qui, à la moindre occasion, balançait sur nous ce qui lui tombait sous la main, enlevait son ceinturon et donnait une correction, devenait furieux et tapait sur tout ce qu'il trouvait près de lui : femme, fils, objet, chien. Cet animal féroce, qui me hantait, qui était mon cauchemar : tout ça était trop horrible pour avoir envie d'être un homme. Je ne pouvais pas être un homme dans ce monde-là.
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S'il est vrai que le bien est contagieux, Maria la Muette était capable de rendre les gens heureux.
Eclat des Yeux ne pouvait que la regarder, surpris et amusé à la fois.
Nous pouvions entendre ses éclats de rire quel que soit l'endroit de la maison où il se trouvait avec Maria.
Le rire de l'enfant se déplaçait dans l'air, et parvenait jusqu'à nous. Et il était si joyeux, si manifestement vivant, qu'aussitôt nous étions sur le diapason de son énergie.
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Le désir de mourir remonte à mon enfance, un fantasme de suicide précoce, qui m’accompagne depuis que je suis petit. Je sais qu’il est là, je l’identifie clairement, je le distingue parmi tous les désirs possibles, mais j’ignore encore que je m’en libérerai en devenant trans, je ne sais pas encore que, contrairement à ce qu’on m’avait annoncé, le salut pour moi allait être une paire de chaussures à talons et un rouge à lèvres couleur vieux rose.
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Vidéo de Camila Sosa Villada
Camila Sosa Villada remporte le Grand Prix de l'Héroïne Madame Figaro 2021 dans la catégorie « Roman étranger », pour son premier roman « Les Vilaines ».
Pour en savoir plus sur ce roman : https://bit.ly/2SrEzgz
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