Station Eleven, mon premier coup de coeur de 2019, m'a réconciliée avec le genre du post-apocalyptique que je pensais ne pas aimer. Il m'a surtout ouvert les portes d'une auteure sensible et qui sait camper ses personnages avec une profondeur rare. Je me suis donc empressée de poursuivre ma découverte de son univers avec
Dernière nuit à Montréal.
Habituellement, je lis les livres dans leur ordre de parution et là ce n'est pas le cas. Premier roman de l'auteure,
Dernière nuit à Montréal est moins abouti selon moi, moins immersif immédiatement aussi. Mais quel premier roman. Il m'a fallu une cinquantaine de pages pour rentrer dans le livre mais ensuite la magie a opéré a plein.
Ce livre est un objet polymorphe. Il commence par nous raconter une histoire simple : une jeune femme, Lilia, quitte un homme, Eli. Ou plutôt elle disparaît. "Personne ne reste pour toujours. le matin de sa disparition, Lilia se réveilla de bonne heure et demeura un moment immobile dans son lit. C'était le dernier jour d'octobre. Elle dormait nue." Eli aime Lilia et ne peut se résoudre à son départ sans un mot, il part donc à sa recherche. La situation est plus complexe qu'il n'y paraît : enlevée par son père en pleine nuit lorsqu'elle avait 7 ans, Lilia a sillonné les routes des États-Unis avec lui pour échapper à la police. Elle a contracté le virus du voyage. Elle ne parvient plus à poser ses valises, elle collectionne destinations et amants et part parce qu'elle ne sait plus faire autrement.
Ce livre alterne les points de vue de Lilia, d'Eli mais aussi de Christopher, le détective privé que la mère de Lilia avait engagé pour retrouver sa fille et de Michaëla, la fille de ce dernier, meurtrie et à jamais traumatisée car l'enquête a accaparé son père et atomisé sa famille.
Dernière nuit à Montréal passe aussi d'une époque à l'autre, d'aujourd'hui où Eli recherche Lilia à plusieurs moments de la longue errance du père et de la fille et d'un lieu à l'autre avec cette ville de Montréal dans laquelle semble s'être réfugiée Lilia qui fascine et effraie le lecteur. Ah cette description du froid implacable à travers le regard d'Eli, new yorkais pourtant qui découvre ce que le froid implique...Les genres sont multiples : road trip, roman d'amour, roman sur les liens familiaux, réflexion sur l'inéluctabilité du voyage pour certains humains et roman noir aussi car l'enlèvement de Lilia cache un secret que seule Michaëla connaît... alors que Lilia connaît les coulisses d'un accident arrivé au père de Michaëla.
Cette multiplicité de personnages, d'époques et de genres est déroutante au départ car Emily St John Mendel nous livre des bribes d'informations dans des chapitres courts voire très courts. Elle ne nous perd pas mais on se demande quand même quel est le but du voyage qu'elle nous propose. Et ensuite, le fil se met en place et elle nous embarque totalement. Elle écrit vraiment sublimement et sait nous capter et nous faire réfléchir. Elle excelle aussi à peindre des personnages, en profondeur, avec un talent incroyable pour les faire exister et les rendre vivants our nous. Un grand bravo au traducteur de ce livre Gérard de Chergé de savoir faire ainsi résonner les mots. Si je ne devais employer qu'un seul mot pour parler de ce livre, je dirais ENVOÛTANT.