Lorsque nous aurons perdu de vue la valeur
des heures et des kilomètres,
nous nous arrêterons
et sans avoir besoin de se dire aucune parole,
nous nous regarderons longuement.
Mais ce jour-là, mon ami, je rentrerai seule.
Je retraverserai dans l'autre sens, le fleuve,
les anneaux périphériques, les abords de la ville,
jusqu'au jardin devant la maison ;
à la nuit tombée je rentrerai chez moi.
J'espère, alors, que pour m'accueillir,
le vent fera trembler, de toutes ses dents,
le palmier du jardin voisin.
Nous essayerons de ne pas rester jeunes,
une fois pour toutes,
mais de vieillir au fil du temps
de ne pas garder, comme un dû,
nos mains blanches inconscientes
nos blanches inconsciences
mais d'entrer dans la matière
avec des mains désireuses de saisir
et d'apostropher.
Nous tâcherons de ne pas garder la peau intacte
et les yeux perçants
mais une peau creusée
comme une mémoire transparente
affichée sur nos toits, au-dessus de nos têtes.
Les cerisiers sont lourds
comme les amoureux surpris par l'orage.
Je connais une femme, sur la route,
infatigable,
qui pèse les morts,
lutte jusqu'à ce que la mer tombe,
et c'est pour elle que je dis, maintenant :
les cerisiers sont lourds
comme les amoureux surpris par l'orage.
C’est une manière, peut-être, de te dépecer,
de laisser derrière toi, aux ronces des bosquets,
les vêtements de nuit,
puis la peau
et la chair
pour paraître, un matin,
au sortir de la nuit
corps d’os
tenace
sur lequel on voit le souffle courir
sans plus aucune enveloppe,
mais sans pourtant se mêler au vent.
Faire descendre la lumière
sous la ligne de flottaison des avions
sous les immeubles
sous le canal souterrain
et vivre quelques heures
quelques jours
sans.
Quand, à force de lumière,
Les vers et les taupes auront des yeux,
Parler avec eux de ce qu’est le feu.
Et continuer à vivre.