"Un roman visuel" : le plus beau compliment qu'on puisse faire à une oeuvre d'art littéraire, au fond. Ce sont les si justes mots de notre amie nelly76 à propos du court "Bildungsroman" ["roman de formation"] d'
Adalbert STIFTER (1805-1868), peintre et écrivain auteur de "Der Hagestolz" / "
L'homme sans postérité" (1844), publié à l'âge de 39 ans et justement célébré ici...
Victor, le jeune protagoniste, part à son tour "sur les chemins" (ici : les sentiers de montagne) : tel le Wilhelm Meister de Johann Wolfgang von
GOETHE ("Wilhelm Meisters Lehrjahre" / "
Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister", 1795-96), au parcours décidément très picaresque, ou encore le jeune sot de Joseph von EICHENDORFF traînant son "spleen" dans "Aus dem Leben eines Taugenichts"/"Scènes de la vie d'un propre-à-rien", 1826.
Il manquerait presque (et seulement) à "Der Hagestolz" l'accompagnement de la musique merveilleusement lancinante de Jürgen Knieper soulignant les déambulations ferrovières et pédestres de l'acteur Rüdiger Vogler dans l'excellent et immortel "Falsche Bewegung" /
faux Mouvement" (1975) de
Wim WENDERS...
La merveille ici est la justesse du "ton" et la pertinence discrète de la traduction de Georges-Arthur Goldsmith, l'excellent traducteur de l'Autrichien
Peter HANDKE, ce dernier étant l'auteur du scénario de "
Faux Mouvement" : tiens, comme le monde est petit, et les passerelles nombreuses entre la poésie en prose (et en mouvement) de Stifter et la poétique cinématographique des premiers films de Wenders...
Victor va au-devant son destin :celui-ci se présente sous les traits gracieux d'un lac d'altitude (où l'on pourrait rencontrer le diable en sabots...) et un oncle acariâtre et mutique vivant cloîtré dans une maison cernée par les ruines d'un ancien monastère...
L' "argument" (... car il en faut bien un ! Pourtant ce qui fait la grâce d'un livre est bien son STYLE et l'épaisseur des personnages, pas forcément "l'histoire" ! Car l'histoire, au fond, on s'en fout... surtout quand elle est mal ou platement écrite... Ici, vraiment, zéro clicheton !! Rien que du classicisme...) : ici, la très lente évolution du personnage tout "frais" de Victor et celle de l'oncle aigri et vieillissant, au seul contact l'un de l'autre...
Je n'en dirai pas plus : les sept chapitres sont autant d'étapes dans ce processus de transformation, de "Verwandlung" intime au sens le plus kafkaïen mais ici porteur d'espérances...
"Contrepoint", "Unisson", "Séparation", "Voyage", "Séjour", "Retour", Epilogue".
Le lecteur sera aussi "du voyage" : étape par étape, page après page (on avance TRES lentement, avec Victor)...
"L'écriture comme regard", l'avant-propos de G.-A. GOLDSCHMIDT (daté de 1978) est lui aussi formidablement instructif !