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EAN : 9782889070251
224 pages
Editions Zoé (25/08/2022)
3.29/5   33 notes
Résumé :
Janvier 1974, Gaza. L’Anglaise Piper emménage avec son mari, délégué humanitaire. Leurs semaines sont rythmées par les vendredis soir au Beach Club, les bains de mer, les rencontres fortuites avec la petite Naïma. Piper doit se familiariser avec les regards posés sur elle, les présences militaires, avec la moiteur et le sable qui s’insinue partout, avec l’oisiveté. Le mari s’absente souvent. Guettée par la mélancolie, elle s’efforce de trouver sa place. Le baromètre... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Ouvrir le livre de l'épouse, c'est entrer dans un monde de fragrances porté par le vent du désert, le khamsin où surgissent des personnages comme des mirages tels Hadj le jardinier ou Naïma, la petite fille d'une famille de pêcheurs. Sur les collines ocres, le temps semble s'être arrêté sur le rythme des charrettes et des dromadaires tandis qu'au loin s'illumine la cité moderne.

Ce doux roman à la belle plume poétique et généreuse de Anne-Sophie Subilia est une singulière arme de résistance à la violence extérieure pour une jeune femme ordinaire.

Piper accompagne son mari Vivian chargé d'une mission de délégué humanitaire à Gaza au cours de l'année 1974.
Ne supportant plus ses journées oisives et privilégiées à attendre son mari dans la maison des expats, Piper traverse seule le check point des territoires occupés. Un choix transgressif mais salutaire qui l'amène au plus près d'elle-même, de ses convictions et la rend proche des familles en souffrance sans pour autant entrer dans le champ politique complexe et instable des Etats.

J'ai lu que l''autrice a écrit à partir de photographies faisant partie des archives familiales et des récits racontés par ses parents.
C'est surement pour cette raison que j'ai aimé son roman très contemplatif qui excelle à donner vie à une ambiance, un détail, les traits d'un visage, un bijou bédouin, à toute une merveilleuse galerie d'apparitions fugitives comme Vivian Maier dans ses photographies de rues.

Ce roman est d'une belle facture humaine, évocateur et touchant.
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Un jardin à Gaza

Dans son nouveau roman Anne-Sophie Subilia nous propose de découvrir le quotidien d'un couple d'expatriés partis à Gaza pour le compte du CICR. Une chronique douce-amère depuis l'un des points les plus chauds de la planète.

Un couple d'expatriés emménage dans sa nouvelle affectation, une maison un peu à l'écart à Gaza, en Cisjordanie. Employés par le Comité International de la Croix Rouge, ils bénéficient d'un statut particulier et savent qu'ils ne sont là que le temps de leur mission. Ce qui ne les empêche pas d'engager Hadj, un jardinier, afin que ce dernier plante des arbres, des légumes et des fleurs dans leur cour qui n'est que sable et poussière. Accompagné de son âne et quelquefois de ses fils, le vieil homme s'acquitte de sa tâche sous les yeux de Piper Desarzens, la maîtresse de maison.
Expatriée, elle tue le temps en attendant le retour de Vivian, son mari, parti inspecter les prisons de la région. Son occupation principale consistant à retrouver tous les expatriés au Beach Bar pour y faire la chronique de leur quotidien, se raconter et se distraire en buvant force verres, si les coupures de courant ne viennent pas mettre prématurément un terme à leur programme. Elle profite aussi du bord de mer pour se baigner. Quelquefois, quand l'emploi du temps de Vivian le permet, ils bénéficient de quelques jours pour faire un peu de tourisme, aller visiter Israël.
Si les paysages désertiques du Néguev ou les bords de la mer morte n'ont rien à voir avec ceux du cercle polaire où Anne-Sophie Subilia avait situé son précédent roman,
Neiges intérieures, on y retrouve cette quête de l'intime derrière l'exploration de la planète. Il n'est d'ailleurs pas anodin que la meilleure amie de Piper soit Mona, une psychiatre palestinienne. C'est avec elle qu'elle essaiera de comprendre la difficile situation de ce peuple sans pays, la «drôle de vie» qu'il mène. C'est en lui rendant visite à l'hôpital qu'elle constatera la situation difficile des orphelins et qu'elle se prendra d'affection pour l'un d'eux. Jusqu'au jour où on lui annonce qu'il a trouvé une famille d'accueil. Une nouvelle qui pourrait la réjouir, mais qui va la laisser en plein désarroi.
Paradoxalement, cette chronique douce-amère d'un quotidien peu enthousiasmant fait la force de ce roman. Ici, il n'est pas question de politique, encore moins de prendre parti et pourtant, au détour d'une chose vue, d'une difficulté rencontrée pour se procurer telle ou telle chose, on saisit parfaitement le drame qui se noue ici. La vie n'est pas seulement en suspens pour Piper et Vivian, mais pour tous ces habitants qui les entourent. À la différence que pour les expatriés, il existe une porte de sortie…



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Anne-Sophie Subilia signe avec l'épouse un roman surprenant et atypique. Piper Desarzens est venue retrouver son époux Vivian, lui est délégué à la CICR et en mission à Gaza. nous sommes en 1974 . Israël est l'occupant et impose sa loi ... Piper s'occupe comme elle peut, aménager sa maison, voir Hadj et ses fils donner vie au jardin, et lutter contre le sable qui s'infiltre toujours et encore..; Vivian part souvent en mission plusieurs jours , seule lumière la soirée du Vendredi soir au Beach Club où se retrouvent les expats et où l'alcool coule à flots...
Piper sombre dans la mélancolie ...Le lecteur aussi ! Que retiendrais-je de ma lecture? Quelques très belles pages dignes d'un excellent guide touristique, quelques portraits sur le vif de gazaouis jeunes ou vieux, et un ressenti d'inanité exceptionnelle.
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Roman qui m'avait été conseillé par ma libraire préférée et qui est assez loin de mes lectures habituelles. Mais, en même temps, je n'en suis pas étonnée, ma libraire préférée parvient toujours à me faire sortir de ma zone de confort et, bien souvent, je ne le regrette pas. Et ici, même si ce roman n'est pas un coup de coeur, j'ai quand même passé un bon moment, d'autant que cette lecture a eu le don de me faire réfléchir.

Qu'est-ce que l'épouse? Au démarrage, il s'agit de Piper, une Anglo-Suisse partie avec son mari, sorte de délégué humanitaire pour la Croix Rouge, pour sa mission. Mais nous sommes en 1974, à Gaza (et encore, on serait en 2024 à Gaza que ça ne changerait pas grand chose à l'histoire). Et Piper, qui pourrait se contenter de sa vie d'épouse, soit faite d'oisiveté, de sorties aux country club avec les autres expatriés, bref d'une vie de privilégiée là où les temps sont durs, ne peut se résoudre à fermer les yeux, à faire comme si. Elle ne fera rien de révolutionnaire mais elle apportera sa petite pierre à l'édifice, au risque de voir le fossé se creuser un peu plus chaque jour avec son mari.

C'est un roman dans lequel il ne se passe pas grand chose, assez contemplatif parfois, où règne même un certain ennui, qui évoque la vie à Gaza en 1974 d'un certain point de vue, sans pour autant faire un cours d'histoire ou donner des leçons. L'écriture est plutôt froide, presque clinique, et je comprendrais qu'elle puisse rebuter plus d'un lecteur. Pour ma part, j'ai trouvé la plume parfaitement adaptée à l'histoire, à la personnalité de Piper que la narratrice appelle facilement "la femme" ou "l'épouse" pour montrer aussi qu'elle était en réalité réduite à ce simple rôle, "la femme de", "l'épouse de". Il ne faudrait pas grand chose pour trouver dans ce roman une certaine forme de féminisme.

En bref, une tranche de la vie d'une femme normale, un roman un peu abrupt parfois mais que j'ai lu pour ma part sans difficulté, j'avais plaisir à y retourner malgré une histoire plutôt banale sur le papier.
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Nous sommes en 1974, Piper, une jeune mariée, originaire d'une grande famille londonienne cultivée, arrive à Gaza conduite par un vieil homme dans une carriole brimbalante vers la bâtisse dans laquelle elle passera une année avec son mari, récent délégué du CICR, un jeune suisse d‘origine sociale modeste, Elle ne s'attendait pas au spectacle offert par le lieu, une habitation sans charme entourée de sable, de vent et de matériaux de construction abandonnés au milieu d'arbustes.
Quelques semaines après leurs retrouvailles, Vivian, s'enquière de l'état d'esprit de son épouse. Elle concède ne pas avoir anticipé cette vie et cet environnement, elle ne se dit pas déçue pour autant malgré les longues journées passées seule la plupart du temps. le délégué étant le plus souvent absent à visiter des prisons quelquefois plusieurs jours d'affilés. Ce qu'il vit loin d'elle a un impact certain sur lui et l'entraîne à consommer de plus en plus d'alcool.
Les loisirs de l'épouse consistent à des achats de babioles dans les marchés alentours pour aménager leur intérieur et des soirées beuveries au Club voisin qui regroupe les expats tous les vendredis soir. La femme du délégué observe la vie des femmes palestiniennes qui font tout de leurs mains de l'aurore au coucher. Elle se sent inutile. Elle est mal à l'aise devant le regard que les hommes posent sur elle quand elle part nager, femme blanche indécente avec ses vêtements occidentaux. Elle ne sait comment rentrer en contact avec les personnes qu'elle côtoie, il y a bien sûr la barrière de la langue dont elle ne connaît que quelques mots, mais surtout le dénuement dans lequel ceux qu'elle rencontre se démènent et qui lui fait ressentir la honte de ne pas être heureuse alors qu'elle a plus que le nécessaire.
Et puis il y a le vieil homme, Hadj, le jardinier providentiel qui fera de la friche sur laquelle est posée la maison, un jardin magnifique et luxuriant dans lequel il fait bon se tenir à la tombée du jour pour y boire de l'alcool (trop). Il y a aussi Naïma, une petite fille pleine de joie de vivre qui la prend par la main en babillant des histoires qu'elle ne comprend pas.
Vivian est un mari amoureux et attentionné qui se rend compte que la vie du couple bat de l'aile, alors il propose des échappées de quelques jours dans les territoires pour faire découvrir à Piper la contrée. Il fait venir une petite voiture qui va permettre à la femme du délégué de lier connaissance avec quelques copines du vendredi soir au Club. Et puis un jour, dans un hôpital dans lequel travaille une femme qu'elle admire, la rencontre dans la nurserie avec une orpheline de quelques mois que le personnel néglige car ce sont les familles qui viennent nourrir et dorloter les enfants. La femme du délégué, émue par l'état sanitaire de l'enfant, sort de sa réserve et prend soin d'elle, la nettoie en lui chantant des comptines en français et le bébé devient réceptif à ses attentions quotidiennes. Mais quand le personnel commence à se poser des questions sur les intentions de la femme avec l'enfant, elle prend peur…
Un très beau roman à l'ambiance douce/amère. L'auteure suisse arrive avec délicatesse à nous faire partager, les émotions, les perceptions, les lieux que découvre l'héroïne. La narration est sans à-coups alors que ce que rencontre la jeune femme est souvent lourd et difficile mais contre balancé par les lieux et les personnages qui croisent sa route et nous font ressentir la beauté de la vie malgré tout et pour toujours.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Gaza, janvier 1974
Arrive une carriole tirée par un petit âne brun. Elle quitte la route Al-Rasheed, qui borde la mer, et s’engage dans l’allée à peu près cimentée de la maison. Elle passe la grille restée ouverte et fait halte plus près du mur d’enceinte que de la bâtisse, peut-être pour ne pas se montrer intrusive. L’âne comprend qu’il faut attendre, il piétine. Ses sabots claquent contre le ciment pour chasser les mouches, qui reviennent. Il trouve une touffe de foin dans le sable et entraîne la carriole un peu plus vers la maison. Son maître le laisse brouter. Assis en tailleur dans sa robe, sur le plateau de bois, l’homme regarde en l’air.
La première chose qu’il a cherchée des yeux depuis la route, c’est le drapeau fixé à une hampe au centre du toit-terrasse. Une plaisanterie collective parle du «grand mouchoir sorti d’une poche suisse». Ce jour-là, le tissu blanc ne faseye presque pas et, dans son affaissement, il mange la croix rouge. L’homme qui regarde longtemps ce pavillon flottant pense peut-être que le travail aurait pu être mieux fait pour éviter que le tissu se plisse aux heures creuses. Il éprouve une pointe de déception et de gêne pour les nouveaux arrivants. Leur drapeau ne devrait jamais s’enrouler. On devrait toujours voir la croix entière, même si la plupart des Gazaouis reconnaissent cet emblème au premier coup d’œil.
Il regarde en plissant les yeux, à cause du soleil blanc du mois de janvier. Il continue d’attendre sans oser descendre. Heureusement, les bêtes ne sont pas entravées par les mêmes règles de politesse. L’âne s’agite et commence à braire à sa façon, timide. Trois têtes de dromadaires viennent de faire leur apparition de derrière le mur et se frottent les unes aux autres, le museau bien tendu vers ce qui pourrait se manger. Le terrain d’à côté est une sorte de friche où ces animaux paissent librement. L’âne veut prendre ses distances et entraîne la carriole toujours plus près de la maison. Le maître dit quelques mots en arabe à sa bête, il parle aussi aux dromadaires.
C’est alors que surgit la femme sur le perron à loggia. Elle noue vite ses cheveux, enfile une veste en daim sur sa blouse. On la voit dans l’ombre, les gestes rapides, se retenant d’une main à la colonnade, elle glisse ses pieds dans des mocassins. Elle découvre une scène assez drôle et désolante dans son jardin – une vision un peu anarchique, qui confine aux situations de rêves : une carriole qui tourne sur elle-même, un âne au museau gris, un vieillard muni d’un fouet et trois dromadaires surgis du voisinage, arrachant autant d’herbes hautes que possible. À cet instant, le vieux maître semble incapable de guider sa bête qui caracole et finit par amener la carriole devant les jambes de la dame. Lui la regarde en baissant légèrement la tête. Est-ce un sage ? Un soufi ? Il porte un de ces bonnets brodés magnifiques, un kufi. La couleur bleu roi couronne sa vieillesse. Le couvre-chef lui vient à l’extrême bordure des sourcils et semble reposer sur eux. Ce sont d’énormes sourcils hirsutes, blancs et gris, splendides. Les tempes blanches leur font harmonie sur la peau foncée. On dirait un veilleur, aux rides gorgées d’ombre. Un de ces princes immortels, son bonnet bleu pour seule extravagance. Il touche son front et se présente. Hadj.
Hadj ? La femme semble chercher dans son esprit. Elle remarque qu’il est atteint de cataracte.
Il ajoute «Muhammad, garden».
Ça lui revient, tandis qu’elle fixe le cristallin opacifié du vieillard.
La proposition que leur avait faite le propriétaire, Muhammad, de faire appel aux services de quelqu’un pour le jardin.
— Oh ! Welcome !
Elle cherche du regard les mains de l’homme. L’une d’elles est restée cachée sous le caftan, mais l’autre se laisse entrevoir. À l’embouchure d’un poignet étroit se déploie une main raffinée, qui semble faire l’objet de soins et se ramifie en cinq doigts juvéniles, assombris au niveau des phalanges. Les ongles sont roses.
En pointant l’alliance qu’elle porte à l’annulaire, il lui demande où est son mari.
— Sinaï.
Il dit qu’il peut revenir une prochaine fois.
— Pourquoi ? Restez !
Elle le retient. Faisant le geste de l’invitation et d’une boisson, elle lui montre un endroit à l’abri pour l’âne et file à la cuisine. Dans la pénombre, elle se dépêche de préparer du café. Puis elle se ravise, tranche trois énormes citrons qu’elle presse et coupe avec de l’eau et du sucre de canne. Elle cherche quelques biscuits pour accompagner ce jus. Mais des cafards se sont réfugiés dans le paquet qu’elle secoue au-dessus de l’évier. Elle prend une grappe de dattes.
Lorsqu’elle retourne au jardin avec son plateau, la grille de l’allée est refermée. La cour est vide. Elle voit la carriole s’éloigner sur la route et, dans un nuage de sable et de poussière, bifurquer au carrefour. De dos, la tache claire de la robe qui ne se retourne pas. Seule la trace des sabots dans le sable du jardin atteste qu’elle n’a pas rêvé cette visite. Demi-lunes qu’au crépuscule le vent revenu commence à effacer.
Ils ont trouvé leur logement avec l’aide du bureau du CICR.
Quand le délégué est arrivé en novembre, tout était organisé, le contrat de location, les clés, une assurance et un semblant d’état des lieux. Des prix adaptés aux expats.
L’habitation n’était pas exactement prête, il avait fallu attendre le 10 janvier pour y entrer.
C’est une construction ocre un peu cubique, située à l’extrémité sud de la ville de Gaza, à un kilomètre du centre. Elle est assez isolée. Il n’y a guère que cinq ou six autres bâtisses, plus ou moins habitées, et ces terrains en friche, qui semblent inanimés, déjà rendus au sable, mais où parfois on parque des chameaux.
Au plafond de la loggia, Muhammad a fixé une balancelle en rotin. De là, on regarde la mer pardessus le muret d’enceinte. La maison, c’est comme si elle avait émergé du sable sous la forme d’un cube et qu’elle s’était durcie naturellement à l’air. Elle est sable, et celui-ci entre par tous les côtés. Il y en a dans les mailles du tapis, sous le tapis, dans les dents, à l’intérieur des fruits dès qu’on les entaille. Il crisse et on le croque autant que du sel.
La maison, c’est une poterie en pisé. Mais à l’allure un peu massive, comme peuvent avoir les châteaux de sable ou les plots. C’est ça que la femme a d’abord dit en arrivant, une poterie. Puis elle a dit, un château de sable.
L’un des murs est pistache, parcouru par une frise blanche meringuée. Il y a comme ça quelques détails originaux, comme ces volets de bois en accordéon et les grilles en fer forgé, très ouvragées, protectrices des fenêtres. On se sent tantôt dans une forteresse miniature, tantôt dans une résidence de nantis. L’élément central reste le drapeau de la Croix-Rouge, hissé sur le toit-terrasse, marqueur des zones de conflits. À lui seul, il transforme l’endroit. La femme est fière du drapeau sur sa maison temporaire.
Au début de leur installation, Muhammad, le propriétaire, vient presque tous les jours les aider. La maison qu’il leur loue « meublée » est pratiquement vide. Un lit, une armoire, une grande table à rallonges, quelques chaises. Les prédécesseurs ont finalement tout repris. La salle de bain est en travaux et sent bon le plâtre. Protégé par une bâche, son carrelage hélas fêlé figure un entrelacs d’oiseaux ornés et de grappes de raisin. Une curieuse fenêtre en losange permet d’apercevoir la Méditerranée. Muhammad s’emploie à organiser plusieurs trajets chez des marchands de Gaza. Il présente le couple européen au tisserand, au potier et au vannier. C’est ainsi que leur logis se remplit peu à peu de mobilier, de tapis, d’objets, de corbeilles et textiles de toutes sortes.
Un jour, il arrive en voiture, accompagné du vieux Hadj. Ce dernier porte un costume de flanelle grise raccommodé avec du beau fil rose qui surgit çà et là des coutures. Ils traversent le terrain. Le vieux monsieur se déplace à l’aide de son long fouet qu’il pique dans le sable. À chaque pas, il marque une brève halte et observe le jardin en terrasses inachevées autour de lui, hochant la tête comme si mille et une idées lui venaient à l’esprit, avec lesquelles il est d’accord. Ses sourcils florissants, hérissés, augmentent son expression étonnée et lui donnent un air sympathique et doux. Il boite, ou alors ce sont ses hanches qui le font claudiquer, et suscite la compassion. Muhammad et lui gravissent les quatre marches du perron et attendent sous la loggia après avoir toqué. Le propriétaire fait la conversation pour deux. Hadj, tu as vu mes beaux murs tout neufs ? Il tape du plat de la main sur la partie de façade repeinte en vert pistache. L’autre, mains jointes sur le ventre, se contente de sourire. Le propriétaire fait deux fois le tour de la maison et toque encore. Les clés il les a dans sa poche, mais il n’oserait pas entrer chez ses locataires sans y être invité, et ce n’est pas le but de l’opération. C’est ainsi qu’ils repartent bredouilles cette fois-là.
C’est un samedi quand ils reviennent. Cette fois, grâce à Dieu, il y a tout le monde. Le propriétaire Muhammad, le vieux Hadj, son âne, le délégué et sa femme.
— Here is Hadj. He is a farmer.
Sans attendre, Muhammad confie à la dame les grands sacs en plastique bleu qu’il tient à la main. Pain pita, olives et pistaches. Elle file à la cuisine chercher de quoi leur offrir à boire. Ils s’installent sous la pergola.
Hadj est venu avec ses deux cadets, Samir et Jad. Les garçons attendent près de la grille qu’on leur fasse signe. Pour qu’ils s’assoient eux aussi, on va chercher une planche derrière la maison et deux briques creuses en béton, il y en a des tas disséminées dans le jardin. La femme rapporte un coussin pour le vieux Hadj, qui n’en veut pas. Sur ces bancs de fortune enfoncés dans le sable, tous les six ont les genoux près du menton, mais semblent satisfaits. La lumière hivernale mordore la vigne nue et non taillée qui s’entortille autour de leur petite communauté improvisée du c
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Elle retourne à la cuisine, se penche sur sa lettre et continue sa phrase. C'est que nous avons un jardin de sable. Son collier de grosses perles en bois lui fait un poids au cou. Du menton, elle joue avec. Elle raffole des kumquats, c'est peut-être pour ça que son collier ressemble à une rangée de ces petits agrumes. Elle s'interrompt une seconde pour se gratter le tibia. La maison aussi est remplie de sable, on s'accoutumera. Un rai de lumière entre dans le champ de la feuille de papier. La femme se décale, puis se lève. Elle se hisse sur la pointe des pieds et tire un casier en rotin poisseux. Elle tend encore le bras et saisir l'anse d'une tasse de camping. Chaque vertèbre affleure sous la blouse fleurie. Sa tignasse gonflée remplit le creux de la nuque. Elle s'énerve à chercher le sucre et le café. Quelque chose la fait sursauter, pivoter, guetter. "Vivian, c'est toi?" Mais il n'y a personne dans son dos. Lui est parti à l'aube.
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Elle veut chasser ces mouches humaines. N’a pas d’argent, pas de bonbons. Rien. Elle retourne ses poches pour le prouver. Certaines des mères rappellent leurs enfants. Elle continue sa promenade. À un moment donné, de façon inattendue, une fillette en guenilles glisse la main dans la sienne. Comment tu t’appelles ? « Naïma. » Son visage est ensablé, des nattes pleines de poussière, une petite tunique brodée au niveau du col, déchirée près du nombril. Ses sandalettes cassées l’obligent à sautiller bizarrement.
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La seule chose qu’on puisse faire est continuer de vivre. Rester pour le patron qui s’est donné de la peine pour leur trouver un film récent. On remet les chaises autour des tables, des bougies de cire sortent d’une caisse et sont disposées à gauche et à droite. Les Européens se remettent à boire, à fumer et jouent aux cartes. Juda reprend son service de plus belle. Des cernes sombres et luisants agrandissent son regard. Dans leur dos, Gaza gronde et s’endort sur le ressentiment.
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La femme sait qu’elle a un visage étrange.
Des cheveux noir de jais, fournis.
Un oeil plus haut que l’autre, vert émeraude.
Des sourcils démesurément épais.
Un nez d’oiseau.
L’air étonné, capricieux.
Sa garde-robe est anarchique, insensée. Mais toujours ajustée à sa taille.
Elle ne craint pas le ridicule.
Elle enfonce souvent ses mains dans les poils des bêtes au marché aux bestiaux de Gaza.
On la remarque, surtout les femmes, qui jettent sur elle quelques regards suspects qu’elle essaie d’ignorer pour ne pas souffrir.
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Matthieu Ruf, Aude Seigne, Anne-Sophie Subilia et Daniel Vuataz lisent un extrait de leur roman "Le Jour des silures".
Dans un futur proche, la montée des eaux a eu lieu. Jeune présidente d'une ville pratiquement engloutie, Colombe croit à la décrue. Alors que la population se serre dans les derniers étages des immeubles et mène une vie nouvelle, communautaire, aquatique, Boris et Salömon, un duo de scaphandriers, plongent dans les rues à la recherche de vestiges et d'archives. Une mission qui n'est pas sans danger – surtout quand disparaissent les enfants et que rôdent les silures.
https://www.editionszoe.ch/livre/le-jour-des-silures
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