Fanions en tête, les tirailleurs arabes, avec leurs noubas, défilent sous l’œil médusé de la foule qui sait maintenant de quelle façon ils ont enfoncé les lignes allemandes des Abruzzes, débordé Cassino, franchi le Garigliano, balayé la campagne romaine. Hommes d’une réputation terrifiante, qui ont le privilège du viol et du pillage, mais les femmes et les enfants de Rome acclament ces libérateurs farouches, au regard noir, au pas mal cadencé, qui foulent les pavés de la ville plusieurs fois millénaire […], gorges nouées, cœurs battants, ils voient passer ces tirailleurs parfaits dans leurs uniformes d’été, goumiers et tabors enturbannés, au soleil déjà brûlant qui resplendit sur les toits, les clochetons, les coupoles et les terrasses de Rome. (1944, description de l’entrée des troupes du général Alphonse Juin dans Rome après la victoire alliée de Monte Cassino)
Les tirailleurs arabes se sont élancés, hurlant leur chant de guerre, sur toute la ligne de front, du Liri au Garigliano, chant terrible et grave qui glace d'épouvante les ennemis blottis dans leurs trous, derrière les murettes de pierres sèches. [...] Et les tabors en djellabas rayées, lestés de grenades, les poches gonflées de balles, baïonnette au canon : "Regardez les goums qui meurent sans un cri comme des loups..." en s'élançant tels des diables dans la fournaise. Quelques rares blockhaus, des casemates de fortune, résistent encore et les tirailleurs attaquent à la grenade, au poignard et à la baïonnette, coiffés du casque de 1916, le casque des "poilus", en lançant leur chant de guerre qui est un chant de mort : "Zidou l'goudem ! / La Allah ihl Alla". (Mai 1944, lors de la bataille de Monte Cassino)
« Le 11 février, par un beau matin gelé, des avions se sont emparés du ciel […], des forteresses volantes avancent comme sur un rail, dures, déterminées et à la verticale du monastère, lâchent en vrac de petits objets qui s’éparpillent comme un vol de moineaux et plongent de biais vers la terre avec des sifflements d’une stridence épouvantable. […] Une cinquième vague, une sixième, une septième enfin, et, lorsque dans un silence nouveau qui glace les troupes d’épouvante, car il leur apparaît comme le comble du malheur, les gigantesques cumuli de fumée pourpre se sont dispersés au bout d’un temps quasi séculaire, la merveille des Abruzzes, matrice de la Regula sancta, s’exhibe dans son linceul. Le monastère de Saint-Benoît n’est plus qu’une horrible molaire pourrie… Alors des milliers de rossignols emplissent la vallée de la mort de leur chant de triomphe. (1944, lors de la bataille de Monte Cassino en Italie)
Personne n'ignore aujourd'hui que c'est la 3e division d'infanterie algérienne du général de Monsabert qui a rompu la solide ligne Gustav et que cette action a précédé, et non suivi , la manœuvre alliée . (1944, bataille de Monte Cassino en Italie)
La France, alors sourde à la canonnade et au fracas des batailles qui secouaient l’Italie, a longtemps ignoré la grande et dure marche de son armée d’Afrique. Qu’en sait-elle encore ? Un demi-siècle a suffi pour que ces combats, alors déjà promis à l’oubli, n’existent plus que dans la mémoire de ceux qui en furent les témoins. Eux disparus, l’épopée sombrera dans l’épaisseur nocturne du silence. S’en faire le peintre, et une petite lampe éclairera peut-être encore quelque temps un recoin de ces ténèbres. (1944, lors de la bataille de Monte Cassino en Italie)
À l'occasion du Printemps des Poètes, Bruno Doucey décline le mot "Désir" en toutes lettres !
Pour la dernière lettre du mot Désir, ce sera donc R comme Rage de vivre que Bruno Doucey explore en poésie...
Livres évoqués :
/ "Le désir – Aux couleurs du poème", anthologie
/ "Vive la liberté", anthologie
/ "Par le sextant du soleil", Frédéric Jacques Temple