Très forte personnalité,
Madame de Tencin a marqué son époque, collectionnant les amants, gagnant des grosses sommes dans les affaires, dont certaines très douteuses, mais aussi en tenant un remarquable salon, et en écrivant des romans célèbres en son temps, et qui ont été imités. Les
mémoires du comte de Comminge, paru en 1735 est le premier d'entre eux.
Il s'agit du récit d'un amour malheureux. le comte de Comminge tombe amoureux de sa cousine, Adélaïde. Malheureusement, les pères des jeunes gens sont brouillés, et le père du comte est même sur le point de faire un procès au père d'Adélaïde. Il refuse donc l'idée d'un mariage entre les deux cousins, et veut même faire épouser à son fils une autre jeune fille. Devant le refus du,comte il l'enferme dans une sorte de cachot. Pour le faire libérer, Adélaïde accepte d'épouser un autre homme, le prétendant le plus désagréable parmi ceux qui se sont présentés. le comte est libéré par son père, et il n'a de cesse que de revoir sa bien-aimée. Il parvient à entrer chez elle déguisé en peintre. Mais les choses tournent mal, le mari surprend sa femme avec le comte, et ce dernier le blesse en se défendant. Il doit s'enfuir, et se réfugie dans un couvent, où il apprend la mort d'Adélaïde, brimée par son époux. Il prononce ses voeux pour lutter contre ses souffrances, mais un dénouement inattendu termine le roman.
Là encore nous sommes dans un roman qui rappelle la princesse de Clèves, et cela d'une manière encore plus marquée que chez
Madame de Genlis. Il y a en effet le triangle amoureux, entre le mari, la femme et le bien-aimé. Mais de différences notables existent entre les deux romans. Chez Madame de Tencin, c'est le père du comte qui empêche le bonheur des deux jeunes gens, en dépit du bon sens, d'une manière tyrannique et abusive. Chez Madame de Lafayette, c'est le sens du devoir, le sentiment de ce que l'on doit aux autres et à soi-même qui ne permet pas la réalisation de la passion amoureuse. le conflit intérieur déchire l'héroïne, alors que les personnages de Madame de Tencin ne doivent leurs souffrances qu'aux autres. Il y a donc tout une série d'événements, de coups de théâtre, assez mélodramatiques parfois, et dont on a la sensation qu'ils anticipent sur le roman gothique (l'enfermement dans le donjon, le refuge dans le cloître, les déguisements des personnages etc) voire sur le roman romantique, avec un amour absolu qui refuse les règles sociales en vigueur, et qui est indépassable. Une sorte de passion, presque obsessionnelle semble animer le héros, qui ne semble plus pouvoir exister en dehors d'elle, menant les deux amoureux à leur perte. La sensibilité domine entièrement la raison, il n'est pas possible de la dompter, le héros perd la maîtrise de lui-même et ne peut que suivre sa passion là où elle le mène, c'est à dire à sa perte. Rien d'autre n'existe pour lui.
Madame de Tencin semble avoir traduit au goût de son époque la tradition littéraire de l'amour passion fatale. Certains aspects peuvent apparaître datés, mais le roman est intéressant, en faisant le lien entre une conception classique, et une conception romantique qui émergera un peu plus tard.