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sur 1526 notes
Karoo est l'histoire d'une déchéance racontée par elle-même - et c'est très drôle. Stojan Tesic est né en 1942 dans ce qui est aujourd'hui la Serbie et s'est appelé Steve Tesich après que sa famille a émigré aux Etats-Unis, en 1957. Dramaturge et essayiste, il fut aussi romancier, publiant Summer Crossing en 1982 tandis que Karoo ne parut qu'en 1998, deux ans après sa mort. Mais Steve Tesich fut surtout un scénariste réputé. Saul Karoo, le narrateur de son roman pendant 450 pages avant que la troisième personne ne prenne la relève pour les 150 dernières, est un riche consultant d'Hollywood pour les scénarios, les réécrivant afin qu'ils plaisent plus à la production. Il ne se fait d'illusions ni sur son talent ni sur celui des autres. «Cela dit, la plupart du temps je travaille sur des scénarios qui sont si mauvais que j'aurais pu les avoir écrits moi-même.» Quand le roman débute, au lendemain de la chute des Ceausescu dont c'est un jeu amusant de déterminer comment leur nom se prononce, il est en proie à une étrange maladie : il ne parvient plus à être ivre, et l'énormité de sa consommation d'alcool n'y change rien. Dans ces conditions, il n'arrive plus à être lui-même, «ce bon vieux moi-même». La «fuite devant l'intimité» est une autre de ses maladies, il ne peut mener sa vie privée qu'en public, quand il est assuré qu'elle n'est pas privée. Il ne cesse de lutter contre «le danger que quelque chose de réel se produise». Quand il célèbre le culte de l'amitié, c'est pour que le culte prenne toute la place et l'amitié aucune. Face aux cassettes où chaque enregistrement détruit l'enregistrement précédent, il constate avoir «beaucoup de choses en commun avec ces objets inanimés».

Le héros manifeste en permanence une hypocrisie si spontanée qu'elle mérite à peine son nom. Pour se préserver de son fils (adoptif) qui devrait dormir chez lui, il lève une fille de manière à être obligé de renvoyer le garçon chez sa mère, disant à celui-ci : «On va te ramener d'abord.» «Le ton de ma voix n'aurait pu être plus aimant ou plus affectueux, mais le problème, avec le langage, c'est qu'il a parfois un contenu qui vient s'ajouter au contenant.» Par le processus de purification morale qui le caractérise, Saul Karoo en veut à son fils de l'avoir placé dans cette situation. «Je me sentais victimisé par son innocence.» Karoo est en train de divorcer de Dianah (mais le processus semble infini), et le portrait de celle-ci, éparpillé tout au long du livre, vaut son pesant de joyeuse misogynie. Quand, au tout début, elle soupire «Saul…» dans une soirée après une énième incartade : «Je me suis senti défini par son soupir.» Après une réflexion au téléphone : «Si ses mots étaient imprimés sur une page, il faudrait plusieurs polices de caractères pour leur rendre justice. Les mois de travail minutieux des moines du Moyen Age pour créer une seule lettre enluminée, Dianah les fait surgir en un instant, rien que par le son de sa voix.» Elle veut à tout prix qu'il s'améliore : «Elle est Madame Sisyphe en personne. Prête à reprendre ses travaux sans fin, visant à me faire remonter la pente abrupte de la santé et du bonheur jusqu'au sommet.» Et elle ne déroge jamais à sa vertueuse délicatesse : «Ça me désole de devoir dire ça en public, conclut-elle en haussant avec une grande aisance le volume de sa voix, pour que tout le monde autour de nous puisse entendre combien ça la désole de devoir dire ça en public.» Au moins, aucun lecteur ne pourra reprocher au narrateur de se traiter mieux lui-même.

Le narrateur évoque «la soupe psychique de mon esprit», mais Steve Tesich fait preuve d'une inventivité morale et littéraire sans faille dans cette mise à distance de la vie qu'est Karoo. le personnage va avoir affaire au génie cinématographique et à diverses formes d'amour humain, avec les mêmes résultats pour l'oeuvre et les êtres qui croisent sa route, mais sans déroger à son traitement lamentable de toute réalité qui permet au contraire à toute la fantaisie de l'écrivain de s'exprimer. Son comptable lui dit-il les risques de ne pas avoir d'assurance santé, cela donne : «Jerry semblait insinuer que les maladies travaillaient en fait pour les compagnies d'assurances, comme des nervis de la mafia, et qu'elles étaient envoyées pour semer la dévastation sur les vies et l'argent d'hommes comme moi, que "cela n'intéressait pas d'être assuré à ce moment-là".» Dans un restaurant où il retourne après une longue absence, le maître d'hôtel accueille Karoo «avec l'extrême émotion que l'on associe normalement aux pèlerins musulmans contemplant La Mecque».

Autoportrait du narrateur quand il comprend ne plus être «un être humain» : «J'étais un électron libre, dont la force, la charge et la direction pouvaient être inversées à tout moment par des forces aléatoires extérieures à moi. J'étais l'une des balles perdues de notre époque.»

Mathieu LINDON
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Saul Karoo est un écrivaillon (c'est lui qui se définit ainsi). Il est odieux, n'a pas d'ami et ne pense qu'à lui. Pourtant sa vie est belle... jusqu'au jour où il décide de faire une bonne action. Là tout commence à se gâter.
Ce livre est dense, bien écrit et drôle. Pourtant, la fin me laisse un peu sur ma faim.
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